Semences orthodoxes et semences récalcitrantes : conséquences pour la survie des espèces

Les semences de tournesol, soja, colza, féverole, haricot, blé ou pois peuvent avoir des durées de vie différentes, allant jusqu’à quinze ans pour les céréales – © C. Nicolas, Inra

 

Les semences pourraient raconter une très simple histoire : la graine tombe de la plante dans le sol et, après un temps plus ou moins long, finit par germer. Cela serait oublier que rien, dans la nature, n’est aussi simple. Les semences orthodoxes, qui survivent déshydratées, et les récalcitrantes, qui ne peuvent perdre d’eau, en sont la preuve.

Deux types biologiques de semences

Sur le plan biologique, il existe deux grandes catégories de semences. Les premières, les plus connues, qualifiées d’orthodoxes, subissent une très forte déshydratation au cours de leur maturation et survivent dans cet état. Au moment de la récolte, leur teneur en eau varie de 4 % à 12-15 % par rapport à la matière sèche. Les secondes, au contraire, restent riches en eau au cours de leur développement et meurent quand elles se dessèchent. Elles sont dites récalcitrantes, c’est-à-dire intolérantes à la perte d’eau.

Les semences orthodoxes acquièrent leur tolérance à la déshydratation pendant la phase d’ac­cumulation de réserves. En effet, au cours de leur développement, les semences accumulent des glucides, sous forme d’amidon, ainsi que des lipides et/ou des protéines qui servent à la croissance des plantules après la germination. Une perte d’eau trop poussée lors d’un séchage drastique pendant la phase d’embryogenèse (*1) entraîne la mort des graines immatures.

Ces stratégies biologiques posent des problèmes pour la survie des espèces, selon les conditions de l’environnement, et dans le management des technologies mises en œuvre pour la conservation des collections de semences.

Les semences orthodoxes, organes de survie

La déshydratation des semences au cours de leur maturation sur la plante entraîne une réduction importante de leur métabolisme. La respiration en particulier devient très faible. Cet état cor­respond au phénomène de vie ralentie, qui permet aux semences de tolérer des conditions extrêmes : température basse jusqu’à celle de l’azote liquide (-196 °C), quelques heures à des températures élevées supérieures à 50-80 °C, absence d’oxygène. Ces organes peuvent aussi résister à une déshydratation plus poussée allant jusqu’à la perte totale de l’eau libre par lyophilisation.

Mais, attention, cette résistance aux conditions extrêmes de l’environnement n’est possible que lorsque les semences sont déshydratées ! Elle disparaît lorsqu’elles s’imbibent et après la sortie de la radicule au cours de la germination.

Le cocotier présente des semences récalcitrantes. Ici, aux îles du Salut, en Guyane française – © C. Maitre, Inra

Glands de chêne sessile (Breteuil, 78), l’une des quelques espèces des climats tempérés à développer des semences récaltitrantes – © J. Goacolou, Inra

Les semences récalcitrantes, organes intolérants à la déshydratation

Le caféier développe des semences récalcitrantes – © Creative Commons, 2017

Les semences récalcitrantes se rencontrent chez quelques espèces de climats tempérés (Châtaignier, Chêne, Érable, Hêtre, Marronnier d’Inde, Noyer). Elles sont beaucoup plus nombreuses chez les espèces tropicales ou subtropicales. Citons, par exemple, des espèces fruitières (Avocatier, Citrus, Litchi, Manguier, Oranger), des espèces d’intérêt alimentaire (Cacaoyer, Caféier, Cocotier, Théier) ou industriel (Hévéa) et des espèces forestières (Araucaria, Shorea sp., Hopea sp., Symphonia).

La teneur en eau critique en dessous de laquelle les semences récalcitrantes sont le siège d’une perte de viabilité de l’axe embryonnaire dépend de l’espèce. Elle varie entre 0,1-0,2 g/g de la matière sèche (Citrus, Hopea, Shorea, Caféier, Érable) et 1-1,2 g/g de la matière sèche (Cacaoyer, Avicennia). La germination doit se produire dès qu’elles tombent sur le sol, sinon elles se déshydratent et meurent. De plus, ces semences ne présentent pas de processus de dormance et germent souvent sans apport supplémentaire d’eau. Cette forte sensibilité à la perte d’eau des semences récalcitrantes les rend donc dif­ficiles à conserver.

La durée de vie des semences

Les semences, comme tout autre organe, vieillissent et finissent par mourir. La très longue durée de vie des semences orthodoxes a été soulignée dès le début du XXe siècle par Becquerel dans les Annales de sciences naturelles (1907) et dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences (1934). Dès 1908, Ewart a proposé une classification des semences en trois catégories, selon leur longévité dans des conditions non contrôlées :

  • Les semences macrobiotiques survivent plus de quinze ans. Parmi celles-ci, nous pouvons citer de nombreuses légumineuses (Mimosa, Mélilot, Cytise, Trèfle, Lupin). Des records de longévité ont été mis en évidence chez des graines de Chenopodium album et de Spergula arvensis (1 700 ans) ou de lupin arctique (10 000 ans).
  • La majorité des semences sont dites mésobiotiques. Elles restent vivantes pendant trois à quinze ans. Par exemple, la durée de vie moyenne des graines de Colza, Pois, Cyclamen et Capucine et des akènes de Carotte se situe entre trois et cinq ans alors que celle des semences de Céleri, Betterave, Choux, Chicorée et Tomate et des grains de céréales (Blé, Avoine, Orge) est de l’ordre de cinq à quinze ans.
  • Les semences microbiotiques ont une durée de vie allant de quelques jours (Oxalis) à quelques semaines (Peuplier). Généralement, elles ne survivent pas plus d’un an (Oignon, Sauge, Pensée, Delphinium) ou de deux-trois ans (Poireau, Persil, Dahlia, Pétunia, Centaurée). Les semences récalcitrantes et de nombreuses semences contenant des réserves lipidiques font aussi partie de cette dernière classe.

Chez les plantes de nos climats, les semences orthodoxes se retrouvent stockées dans le sol avant de rencontrer les conditions permettant leur germination. Les semences non germées survivent en état de quiescence lorsque les conditions de l’environnement ne permettent pas la germination, ou en état de dormance. Leur survie et l’établissement des plantules dépendent alors de leur aptitude au vieillissement. Le nombre de semences viables trouvées dans les sols va de 26 000 à 73 350 au m2.

Création de banques de gènes

Les semences orthodoxes ont développé des mécanismes biologiques leur permettant de résister à une déshydratation poussée, ce qui leur permet de survivre longtemps et d’assurer la pérennité des espèces. Leur résistance à la perte d’eau et aux températures basses est mise à profit pour la conservation des espèces dans les banques de gènes. Les technologies mises en œuvre ont donc pour objectif, premièrement, l’abaissement de la température pendant la conservation à 2-5 °C (réfrigération), à -18 °C (congélation) ou dans l’azote liquide (-196 °C) (cryoconservation) et/ou, deuxièmement, l’augmentation de la perte d’eau par un séchage sous vide ou par lyophilisation. La banque mondiale du Svalbard (Norvège) conserve environ 1,06 million d’échantillons d’espèces d’intérêt agricole, mais peut conserver 4,5 millions d’échantillons. Le projet européen « The Milllenium Seed Bank », localisé à Wakehurst Place (The Royal Botanic Gardens Kew au Royaume-Uni), a pour objectif de conserver 75 000 espèces sauvages, représentant environ 25 % de la flore connue, d’ici à 2020.

L’eau et la température, deux facteurs de longévité des semences

Le vieillissement des semences orthodoxes, c’est-à-dire leur longévité, dépend des conditions de l’environnement. La teneur en eau et la température de conservation sont les deux principaux facteurs de cette longévité. Il est admis que la durée de vie est doublée quand la teneur en eau est réduite de 2,5 % et que la température s’abaisse de 5-6 °C. La conservation à moyen et long termes des semences orthodoxes tient compte de leurs propriétés biologiques (tolérance à la dés­hydratation et aux températures basses). L’IBPRI (International Board for Plant Genetic Ressources) recommande de dés­hydrater les semences à une teneur en eau de 5 +/- 1 % et de les stocker entre 1 et -18 °C.

Françoise Corbineau

Professeur à la Sorbonne, Université Pierre et Marie Curie-Paris 6
UMR7622, équipe Biologie des semences

*1 Embryogenèse : cette phase correspond à la formation de l’embryon après la fécondation. Elle est caractérisée par des divisions cellulaires et par la mise en place des organes (radicule, gemmule, cotylédons) de la future plantule.