Reproduire pour cultiver : Les enjeux du jardinier

Couverture

La biologie de la reproduction décrit un processus permet tant la production de nouveaux organismes d’une espèce à partir d’individus préexistants de cette espèce.

D’où quelques interrogations :

• Que souhaite-t-on obtenir exactement, espèce ou variété ?

• Par multiplication végétative ou par reproduction sexuée ?

• Quels sont les facteurs de réussite ?

Que la plante soit ligneuse, vivace ou annuelle, plusieurs méthodes s’offrent à nous. On peut acheter un sachet de graines ou un plant raciné : la méthode est plus ou moins rapide et assez sûre. Mais la palette des espèces ou variétés reste limitée, la fiabilité des semences n’est pas toujours assurée, la viabilité des plantes en pot ou des plants demeure aléatoire.

 

Pour multiplier une plante bien déterminée, d’autres moyens sont à notre disposition :

• Plante observée dans un lieu déterminé par prélèvement
d’une bouture ou de graines en récoltant le fruit ;

• Plante découverte dans la littérature ou par ouï-dire que
l’on peut se procurer dans le commerce ou par relation.

Les semences sont issues de la reproduction sexuée, par fécondation. L’œuf porteur d’un embryon possède des gènes des deux parents. Enfermé dans différentes enveloppes, il constitue la graine. Dans la nature, si les parents sont de la même espèce, la fécondation est possible. Dans le cas contraire, s’ils sont proches génétiquement, elle peut advenir dans certaines conditions. Si ces dernières sont réunies, il y a souvent auto-incompatibilité, c’est-à dire que la plante ne peut se féconder elle-même, la nature favorisant la fécondation croisée, permettant le brassage génétique.

Sans ce brassage, par autofécondation, il peut y avoir production de gènes délétères compromettant le maintien de l’intégrité des caractères spécifiques. C’est pourquoi, d’un seul exemplaire en pot ou au jardin, les graines ne sont parfois pas viables. Environ 80 % des angiospermes (1*) sont hermaphrodites, ce qui favorise l’autofécondation et entraîne une forte réduction de la valeur sélective, due à la présence de ces gènes délétères.

Le jardinier dispose de différentes techniques pour produire ses plants, par reproduction sexuée ou multiplication végétative. La voie privilégiée dépend des objectifs et des plantes. Tour d’horizon.

Kalanchoe pinnata
Autobouturage de Kalanchoe pinnata (Lamarck) © Persoon - CC BY-SA 3.0
Ficaria
Bulbilles de Ficaria verna subsp. bulbilifera © S. Lefnaer - CC BY-SA 4.0
Culture in vitro de la vigne
Culture in vitro de la vigne au centre de recherches Forschungsanstalt Geisenheim. © M. Bahmann - CC BY-SA 3.0

Toutefois, différents systèmes d’auto-incompatibilité permettent souvent la fécondation croisée. Selon les conditions, les deux systèmes existent : c’est une recette de la nature pour le maintien du patrimoine génétique de l’espèce à travers les générations.

L’Homme, depuis qu’il cultive, a trouvé des stratagèmes de sélection pour produire plus et mieux également :

• La sélection massale est une des premières utilisées, en sélectionnant les semences issues des plants les plus productifs et les plus intéressants, et en les ressemant de génération en génération ;

• La multiplication végétative, sans passer par la case reproduction sexuée, permet la multiplication des individus par le biais des boutures, marcottes, drageons, à partir de divers organes. La plasticité des cellules végétales permet assez souvent de recréer un individu à partir quelquefois d’un fragment de feuille, de tige ou de racine (cultures de tissus).

La greffe peut aussi être considérée comme une méthode reproductive. Ce qu’il faut retenir en matière de biologie reproductive, ce sont les recettes qui permettent au jardinier de réussir ses cultures.

Le semis

Cycle de vie d'une angiosperme
Cycle de vie d’une angiosperme © LadyofHats

 

L’emploi de semences certifiées du commerce permet d’obtenir une garantie sur la pureté d’origine, espèce ou variété, la qualité sanitaire et le pouvoir germinatif. Par esprit d’aventure, on peut utiliser des semences récoltées dans la nature ou dans des jardins d’agrément ou potagers. Il existe une saison optimale pour récolter les graines : la période qui suit la fin de la floraison.

Lorsque cette dernière est groupée, que les graines sont formées, et qu’à l’écrasement elles ne perdent plus aucune partie liquide, les graines sont viables et à l’optimum de maturité. Quand la floraison est étalée, les graines doivent être récoltées au fur et à mesure. On peut les conserver au frais (température du réfrigérateur), à long terme en congélation autour de – 20 °C. La graine peut entrer en dormance, qu’il faudra lever. À température ambiante, la graine perd rapidement son pouvoir germinatif.

 

La plante produit parfois des antigerminatifs dont l’action peut être levée naturellement par le pourrissement au sol des enveloppes du fruit, ou pour le jardinier, par le lavage ou le trempage des graines, accompagné d’une action mécanique ou chimique sur les téguments.

Voici quelques cas :

• Le gland du chêne a un fort pouvoir germinatif immédiat, il est ensuite rapidement parasité. La conservation en nature se fait à l’état germé, la plantule pouvant passer plusieurs saisons sans se développer ;

• Les semences d’apiacées (carotte, panais, angélique…) sont très vite parasitées sur la plante. Elles peuvent même être récoltées juste avant maturité, la maturation se terminant ensuite ;

• La « prune » de ginkgo qui tombe au sol n’est pas un fruit portant une graine, mais un ovule non fécondé.

L’anthérozoïde (2*) produit par le grain de pollen reste enfermé dans une chambre pollinique et ne gagnera l’ovule pour la féconder qu’au printemps suivant. En pratique, oubliez les ovules récoltés couverts de feuilles dans un récipient dehors. La germination se fera automatiquement au printemps, il n’y aura plus qu’à repiquer.

Concernant les hybrides, si votre récolte de graines a eu lieu sur des espèces hybridées (F1) pour bénéficier de l’hétérosis (3*) et des caractères cumulés des parents, la ségrégation de ces caractères peut aboutir, lors de la génération suivante, à une grande hétérogénéité du semis (dit F2) et décevoir (floraison rare, plantes non poussantes, voire graines stériles).

Parfois, un caractère dominant d’un des deux parents va ressortir, mais pas celui pour lequel vous l’aviez choisi (le semis de graines de camélia prises sur l’arbre a souvent les caractéristiques de l’espèce type). Et puis il y a les « bonnes surprises », comme Berberis thunbergii atropurpurea (4*). Bien que le cultivar obtenu soit une mutation du type, la plante demeure stable au semis, ce qui reste relativement rare.

« Ce qu’il faut maintenir, c’est la diversité au jardin. »

Les boutures et autres moyens

Boutures, marcottes, drageons, greffage, caïeux et bulbilles dans la nature, toutes les parties de la plante, suivant les espèces, peuvent être multipliées. Le génome reste invariant, reproduisant celui de la plante-mère et les qualités recherchées par le jardinier (floraison, feuillage…). La répétition adlibitum peut toutefois aboutir dans certains cas à une forme de dégénérescence.

Les parties pérennes de la plante, racines ou tubercules des plantes herbacées, sont sollicitées. On choisit les zones méristématiques (5*), où la multiplication cellulaire demeure active, où la dédifférenciation (6*) reste possible, après avoir identifié les tissus adéquats, comme la peau de la pomme de terre, qui est en fait le revêtement de la tige dont le tubercule est une partie. Chez les ligneux, arbres, arbustes ou lianes, on utilise les rameaux de l’année.

Types de carottes
Variétés de populations de différents types de carotte présentant une certaine hétérogénéité © D. Veschambre
Variété hybride F1
Variété hybride F1 de carotte présentant une bonne homogénéité © D. Veschambre

Leurs assises génératrices, productrices de cellules destinées aux tissus conducteurs et de soutien, sont organisées mais dédifférenciables. Nombreux sont les procédés pour obtenir de nouveaux plants, chacun avec ses particularités, avantages et inconvénients. Ce qu’il faut maintenir, c’est la diversité au jardin, et si on fait des expériences, connaître l’espèce ou la variété, ainsi que son pouvoir de dissémination…

Philippe Richard
Directeur du Jardin botanique de Bordeaux, membre du conseil scientifique de la SNHF

(1*) Plantes à fleur.
(2*) Gamète mâle.
(3*) Vigueur de l’hybride par rapport aux parents.
(4*) Alain Cadic. Berberis à feuillage pourpre : son origine. Jardins de France n° 618. 2012
(5*) Zone de divisions cellulaires, génératrices de tissus ou d’organes.
(6*) Les cellules, non différenciées au départ, prennent une forme déterminée ensuite (différenciation), le processus inverse existe (dédifférenciation)