Repenser le verger pour produire des fruits sans pesticides

Un verger circulaire pour s’affranchir des pesticides ? C’est l’idée, pas si farfelue, qu’explore l’unité expérimentale Inra de Gotheron, dans la Drôme. Les différents cercles constituent tant des barrières contre les bioagresseurs que des ressources pour les auxiliaires des cultures. Ou comment tourner en rond pour mieux avancer.

Agencement du verger et disposition des espèces du projet Alto à l’Inra de Gotheron (Drôme) © Thomas Nicolas

Comment produire des fruits en renforçant les services écosystémiques pour limiter, voire supprimer, l’utilisation des pesticides ? Dans le cadre du projet Alto (1*), l’unité expérimentale Inra de Gotheron (Drôme) et ses partenaires explorent et expérimentent une approche agroécologique pour relever ce défi.

 

Mobiliser la biodiversité fonctionnelle

L’objectif est de mobiliser la biodiversité fonctionnelle, dans le temps et dans l’espace, pour limiter l’arrivée des bioagresseurs sur la parcelle, leur installation, leur développement et les dégâts qu’ils occasionnent. Le dispositif expérimental, implanté depuis février 2018 à l’Inra de Gotheron, inclut ainsi des barrières physiques et chimiques (plantes répulsives), des plantes pièges et vise également des effets dilution et masquage des arbres fruitiers avec une diversité d’espèces, de variétés fruitières et de plantes associées. La faible sensibilité variétale aux maladies est également un élément important des choix de plantations. Les principaux éléments structurants sont les suivants (Figure n° 1) :

  •  un agencement en cercles concentriques : le cercle est la forme qui minimise le ratio périmètre/surface, permettant ainsi de limiter les effets de bordure et l’arrivée de bioagresseurs (ex. spores de tavelure, pucerons migrants…) depuis l’environnement extérieur du verger. Par ailleurs, cette forme, avec une mare centrale et des voies de circulation en rayon, devrait permettre de « distribuer » au mieux la faune auxiliaire entre zones de biodiversité, zones périphériques et centrales, et arbres fruitiers.
  • Une diversité de cercles de fruitiers et d’espèces associées assure différentes fonctions dans l’espace de production.
Figure n° 1

Une structure en cercles concentriques

Plus en détail, le cercle externe (R9), première barrière, joue également un rôle de brise-vent avec des essences forestières de haut-jet implantées au nord et au sud (vents dominants en Vallée du Rhône). Il vise une production secondaire avec des châtaigniers et amandiers en situations est et ouest. Les arbustes associés aux hauts-jets dans cette haie double ont été sélectionnés pour leur richesse en auxiliaires. Ils proposent une diversité de ressources et d’habitats tout au long de la saison avec des feuillages persistants (nerprun alaterne, viorne tin), des floraisons précoces, de saison (saule, cornouiller, seringat, arbre de Judée…) et tardives (Eleagnus)…

Le cercle R8, implanté avec un duo de variétés de pommiers, a une fonction de piège. L’une des variétés est attractive pour le puceron cendré, un des principaux ravageurs du pommier, à son vol de retour sur cette espèce fruitière à l’automne. Le puceron se reproduit donc et pond sur cette variété, sans conséquence pour la production l’année suivante du fait de sa très faible sensibilité variétale au puceron. L’autre variété, très précoce, ne permet pas au carpocapse de réaliser son cycle complet vu la date de récolte : cet évitement permet de limiter les populations en situation périphérique de la parcelle.

Le cercle R7 ou cercle « müesli » est constitué de noisetiers, petits fruits, grenadiers, figuiers, plaqueminiers, arbousiers et néfliers. Ce sont des espèces de diversification, sans pommiers ni arbres à fruits à noyau. Ils constituent à nouveau une barrière, entre les pommiers de R8 et ceux des rangs intérieurs (R1 à R6).

Les cercles R1 à R6 sont constitués de six spirales emboîtées d’espèces fruitières, avec trois spirales de pommiers et trois spirales de fruits à noyau : pruniers, abricotiers pêchers. Chaque spirale est constituée d’un duo de variétés qui alternent sur le cercle. Cette diversité vise à accroître la résilience du système, c’est-à-dire sa capacité à produire malgré des aléas climatiques ou biotiques (attaques de ravageurs ou maladies par exemple). Le choix d’implanter des spirales permet, d’une part, d’alterner les espèces à pépins/à noyau entre les cercles de R1 à R6, dans une recherche d’effet barrière-dilution et, d’autre part, d’avoir le même nombre d’arbres en production pour chaque espèce à noyau et chaque duo de variétés de pommiers. Enfin, cet agencement permet d’optimiser les trajets au sein de la parcelle, avec la possibilité de travailler sur une spirale donnée (donc sur une espèce fruitière) de R6 à R1 sans voyage à vide, afin de limiter les temps de trajet dans la parcelle ou encore le tassement du sol.

 

Des aménagements complémentaires

Des habitats artificiels et aménagements ont également été mis en place : une mare au centre entourée d’une zone de biodiversité, des nichoirs à mésanges, prédateurs insectivores, des perchoirs à rapaces pour la gestion du campagnol, des abris à chauve-souris consommatrices d’insectes, des pierriers et branchages pour favoriser les reptiles et les petits mammifères prédateurs de campagnols… Enfin, des arbustes hébergeant une faune auxiliaire riche ont été implantés en corridor le long des trois axes principaux de circulation ou encore associés aux espèces fruitières dans le cercle R7, en relais entre R9 et la mare centrale.

Le dispositif couvre 1,6 hectare, pour un diamètre de 140 mètres environ. L’ensemble du dispositif est mécanisable avec des distances de plantations supérieures ou égales à 6 x 4 mètres. L’irrigation est différenciée par espèce fruitière(par spirale ou par cercle pour R7 à R9). Le dispositif a été implanté dans une luzernière de deux ans, après destruction de la luzerne sur les cercles de plantation. Un entretien mécanique du rang est prévu pendant les trois premières années afin de limiter la concurrence herbacée pour les arbres fruitiers. L’inter-rang est fauché de manière alternée, par moitié,
afin de limiter la suppression massive de ressource pour les auxiliaires. La luzerne n’est pas exportée de la parcelle mais déportée sur le rang de fruitiers en fertilisation. Aucun pesticide ni intrant de biocontrôle ne sont appliqués sur la parcelle afin d’observer les processus de régulation se mettant en place en limitant les interférences dues aux pratiques.

Premier désherbage mécanique sur le rang © S. Borne Inra Gotheron

 

Un dispositif évolutif

Ce dispositif va évoluer au fil du temps, avec enrichissement en plantes de service en fonction des besoins identifiés (contrôle de bioagresseurs, fourniture d’azote…). Ces plantes de service ne visent pas une production en première intention, mais leur valorisation peut être envisagée en production secondaire le cas échéant. Le couvert de luzerne actuel sera également à renouveler à moyen terme avec une autre espèce ou un couvert spontané.

Les travaux actuels consistent à réaliser des suivis pour évaluer ce dispositif de manière multicritère et à caractériser les processus se mettant en place : répulsion/attraction, prédation, compétition… En particulier, la présence de bioagresseurs, de leurs antagonistes et leurs relations (prédation) sont suivies et spatialisées. Sont également enregistrées des données agronomiques, technico économiques et de faisabilité : travail et machinisme nécessaires pour conduire ce type de dispositif très diversifié, organisation du travail, productions (quantité, qualité) et valorisations possibles… Implanté début 2018, ce dispositif devrait entrer en production en 2021 pour la plupart des espèces fruitières, avec production de petits fruits dès 2019. L’évaluation prévue sera conduite dans la durée (quinze ans). Le dispositif constitue également un lieu d’interactions avec un public très diversifié de professionnels, d’apprenants, de chercheurs… en vue d’échanger sur la démarche de co-conception, sur le dispositif lui-même, sur son pilotage et, enfin sur diverses pistes pour repenser le verger de demain.

 

Sylvaine Simon
Inra, UERI Gotheron de Saint-Marcel-lès-Valence

 

(1*) https://www6.paca.inra.fr/ueri/Contrats-et-projets/Expe-DEPHY-Ecophyto-II-ALTO

À LIRE

www.jardinsdefrance.org/verger-des-haies-pour-favoriser-les-auxiliaires/