Recyclage et réutilisation de l’eau pour l’agriculture : une alternative durable et écoresponsable !

La rareté de l’eau représente un problème mondial qui entraîne une pression sans précédent sur l’approvisionnement en eau douce, essentiellement dans les régions arides et semi-arides. Aujourd’hui, entre 1,5 et 2 milliards de personnes vivent dans des territoires où, au moins pendant une partie de l’année, l’eau douce disponible ne suffit pas à répondre à la demande. Un demi-milliard d’individus est même concerné par cette rareté tout le temps, selon l’Organisation des Nations unies (ONU).

Dans la région de Murcia (Espagne), 96 % des eaux recyclées (issues de stations de traitement des eaux usées, STEU) sont réutilisées pour l’irrigation agricole © F. Etchebarne

Le traitement des eaux usées constitue une ressource alternative précieuse et leur réutilisation pour l’irrigation agricole s’est développée dans le monde entier, depuis le début du XXIe siècle, pour faire face à la pénurie d’eau. Cette crise est accentuée par la croissance démographique et le changement climatique qui entraînent, d’une part, une augmentation de la production agricole irriguée, et d’autre part, une pression sur l’eau disponible dans le
monde.

Pourquoi recycler et réutiliser l’eau?

Recycler et réutiliser l’eau s’impose parce qu’il s’agit d’une ressource d’eau alternative dans des endroits où il n’y a pas d’accès à une autre source d’eau, parce qu’elle est devenue rare, parce qu’il s’agit d’une solution reconnue pour la gestion durable de l’eau et, enfin, parce qu’il s’agit d’un élément clé dans la gestion intégrée des ressources en eau. Tout cela conduit à une prise de conscience de la « valeur » de l’eau recyclée.

 

Cycle d’extraction et de distribution de l’eau: d’un modèle de consommation « linéaire » à un modèle d’économie circulaire

Les modes de consommation d’eau basés sur une économie linéaire, c’est-à-dire « collecte → potabilisation → distribution → utilisation → assainissement → rejet dans le milieu naturel » ne sont pas durables, ni d’un point de vue économique ni d’un point de vue environnemental.

Si nous essayons de concevoir l’eau comme un élément clé du concept d’économie circulaire, nous devons viser à améliorer le niveau de qualité de l’eau en sortie des stations de traitement des eaux usées (STEU) et lui donner ainsi une deuxième vie. Le but est de rapprocher le cycle hydrologique naturel du cycle technique de la réutilisation de l’eau, tout en essayant de le rendre circulaire, efficace et durable. Par exemple, en redessinant le réseau des villes et des infrastructures (double tuyauterie), en optimisant l’efficacité du processus (réduction de la consommation d’eau potable) et en utilisant des énergies renouvelables (biogaz, éolien, photovoltaïque, hydraulique).

La préservation des ressources en eau est aujourd’hui considérée comme une triple exigence: humaine, environnementale et économique © F. Etchebarne

 

Gestion responsable : un vrai défi sanitaire et environnemental

L’eau recyclée et adéquatement traitée peut être réutilisée pour des applications variées, y compris l’agriculture, l’aménagement paysager, l’industrie, les espaces récréatifs, le nettoyage et l’entretien des voiries, ainsi que la recharge des nappes phréatiques. De plus, l’eau recyclée peut fournir aussi des résidus de matière organique, des nutriments et de l’énergie. En ce qui concerne l’agriculture, les principaux facteurs qui déterminent la qualité de l’eau recyclée pour l’irrigation sont: la salinité, les métaux lourds et les agents pathogènes, qui peuvent avoir des effets néfastes sur les sols, les plantes et la santé humaine. La préservation des ressources en eau est aujourd’hui considérée comme une triple exigence : humaine, environnementale et économique.

 

Recycler l’eau, c’est la traiter en fonction de la demande

Actuellement, l’assainissement des eaux usées requiert de nombreux traitements pour une restitution dans le milieu naturel. De ce fait, améliorer la qualité de l’eau en vue de sa réutilisation serait plus simple et moins coûteux. Il existe des procédés conventionnels (lagunage aéré, boues activées…) auxquels s’ajouterait un traitement dit « tertiaire » (filtration et désinfection). Il y a également des systèmes de traitement compacts appelés bioréacteurs à membranes (BRM), qui intègrent à la fois le traitement biologique, avec des boues activées, et la clarification sur des membranes d’ultrafiltration. En France, la réutilisation des eaux usées traitées est encadrée, réglementée et autorisée, tant pour l’irrigation des cultures que pour l’arrosage des espaces verts.

Production de concombres sous serre irriguée avec des eaux recyclées. « Le potager de l’Europe », Almeria (Espagne) © F. Etchebarne

Affinage de la salinité de l’eau pour l’irrigation

En cas d’eaux saumâtres, un procédé d’affinage de la salinité s’avère indispensable. Il faut l’adapter au type de culture et au système d’arrosage. L’objectif étant aussi de conserver les nutriments contenus dans l’eau recyclée, qui profite à une démarche durable et écoresponsable !

D’un point de vue agronomique, l’électrodialyse (ED) paraît plus appropriée que l’osmose inverse (OI) pour cette application. C’est une technique utilisée depuis des décennies pour l’élimination ou l’ajustement de la salinité dans l’eau de diverses sources (eaux de surface, eaux souterraines saumâtres, effluents industriels, marins ou autres), mais également dans divers produits agroalimentaires. De plus, la combinaison de l’électrodialyse avec la désinfection (électrochimique ou non) et/ou la filtration (sable, micro, ultra ou autres) peut être utilisée pour générer une eau traitée adaptée à différents usages.

 

Eau recyclée et irrigation

L’agriculture est de loin la plus grande consommatrice d’eau douce, avec 70 % des prélèvements dans le monde. L’intérêt principal de la réutilisation des eaux usées traitées dans l’agriculture est de compenser les déficits hydriques saisonniers, d’éviter des pertes de rendement grâce à un approvisionnement adéquat et de perpétuer l’activité agricole dans les zones sans accès aux ressources hydriques conventionnelles mais aussi d’y maintenir une activité économique locale.

 

Flor Etchebarne
Business manager chez Eurodia

 

À LIRE

ARS. 2018. La réutilisation des eaux usées traitées. https://www.paca.ars.sante.fr/reutilisation-des-eaux-usees-traitees

Commission des affaires européennes. 2019. Rapport d’information sur la politique européenne de l’eau. http://www.assembleenationale.fr/15/europe/rap-info/i2495.asp

FAO. 2003. Irrigation avec des eaux usées traitées – Manuel
d’utilisation. https://www.pseau.org/outils/ouvrages/fao_irrigation_avec_des_eaux_usees_traitees_2003.pdf

Escudier J.-L., Gillery B., Ojeda H., Etchebarne F. 2019. Maîtrise de
la salinité des eaux d’irrigation pour la viticulture. https://www.bio-conferences.org/articles/bioconf/pdf/2019/01/bioconfoiv2018_01010.pdf

À Gruissan, dans le sud de la France

Le premier démonstrateur d’utilisation d’eau recyclée pour l’irrigation de la vigne verra le jour en 2021

 

Irrigation de la vigne avec des eaux recyclées. Programme R&D Irri Alt’Eau 2013-2018, Gruissan © F. Etchebarne

 

Depuis 2010, la réutilisation des eaux usées traitées pour l’irrigation des cultures et des espaces verts est autorisée en France, ce qui a permis à plusieurs projets de voir le jour. C’est le cas du projet R&D Irri-Alt’Eau mené à Gruissan, dans le département de l’Aude. Irri-Alt’Eau a été la première « Plateforme expérimentale et  édagogique de terrain » en France sur la réutilisation des eaux usées traitées pour l’irrigation par goutte-à-goutte de la vigne en quantité et qualité maîtrisées(1*)

Six ans d’expérimentations de terrain ont montré que la qualité du vin est plus sensible aux effets millésime – c’est-à-dire aux conditions météorologiques de l’année de récolte des raisins – qu’au type d’eau d’irrigation. Par ailleurs, outre les bénéfices environnementaux, l’utilisation d’eau recyclée pour l’irrigation présente plusieurs avantages, grâce notamment à sa teneur en nutriments essentiels pour les cultures qui pourrait, selon les recherches menées, permettre de réduire les besoins en engrais chimiques. L’eau recyclée possède toutefois une teneur en sels plus élevée que les eaux conventionnelles. Il faut donc la mesurer et la maîtriser!

Enfin, cette expérimentation entrera dans sa phase « démonstrateur grandeur nature » en 2021 avec la mise en service d’une STEU(2*) avec traitement tertiaire qui permettra d’irriguer 80 hectares du vignoble gruissanais.

 

(1*)https://theconversation.com/et-si-on-irriguait-les-vignes-en-recyclant-leau-105591
(2*)Station de traitement des eaux usées