Du raisin sans insectes pollinisateurs

Laurent Torregrosa

Inflorescence au moment de la floraison
Fig. 3 – Inflorescence au moment de la floraison – © L. Torregrosa

Le raisin est un fruit qui ne nécessite pas l’intervention des insectes pollinisateurs…

Les vignes cultivées pour leurs fruits appartiennent aux espèces Vitis vinifera, V. labrusca, V. amurensis et Muscadinia rotundifolia. L’espèce V. vinifera, originaire d’Europe centrale, est l’espèce prédominante pour la production de vins fins et de raisins de table. Alors que les vignes sauvages sont dioïques et anémophiles, les variétés modernes sont à fleurs hermaphrodites et auto pollinisatrices, ce qui permet d’éviter la complantation de plantes pollinisatrices et réduit les aléas de production.

Chez la vigne, la formation d’ébauches inflorescentielles concerne deux types d’axes végétatifs : les rameaux latéraux (ou prompts-bourgeons) et les bourgeons d’hiver (ou bourgeons latents). Dans le premier cas, l’induction, la différenciation des l’inflorescences et la formation des grappes se succèdent au cours du même cycle végétatif. Dans le cas des bourgeons latents, le développement reproducteur s’étale sur plusieurs cycles végétatifs : mise en place des ébauches inflorescentielles l’année de formation du bourgeon et développement différé des ébauches inflorescentielles au cycle végétatif suivant.

Développement de l’inflorescence à partir des bourgeons latents

Trois semaines après le débourrement, les inflorescences sont bien visibles
Fig. 1 – Trois semaines après le débourrement, les inflorescences sont bien visibles – © L. Torregrosa

La formation des ébauches inflorescentielles débutent dès le mois de mai pour les bourgeons de la base des rameaux et se poursuit jusqu’au milieu de l’été, c’est à dire jusqu’à la lignification des axes et la mise en dormance des bourgeons. Les bourgeons de la base des rameaux (ceux qui sont conservés par le tailleur) initient de 1 à 3 ébauches inflorescentielles en moyenne, ce qui fixe le potentiel de production des futurs rameaux au cycle végétatif suivant. Au printemps suivant, lorsque les températures sont supérieures à + 10°C, les bourgeons reprennent leur développement. Les inflorescences sont  visibles, peu après le débourrement, dès le stade 3 feuilles étalées (Fig. 1).

De 100 à 1 000 fleurs

Les ramifications inflorescentielles s’allongent et les boutons floraux se différencient  pour former de petits groupes  constitués de 1 à 5 fleurs directement connectées aux ramifications (Fig. 2). Chez les variétés, les inflorescences développent entre 100 et 300 fleurs en moyenne (Fig. 3), mais les variétés les plus fertiles peuvent produire plus de 1 000 fleurs. Quelques jours avant floraison et durant les 2 semaines suivantes, des boutons floraux et des jeunes baies avortent pour diminuer naturellement le nombre de baies par inflorescence (taux d’abscission variant de 30 % à 70 %) en fonction de la variété et des conditions environnementales.

 Bouquet terminal de 5 fleurs correspondant à un dichasium double
Fig. 2 – Bouquet terminal de 5 fleurs correspondant à un dichasium double – © L. Torregrosa

Structure de la fleur hermaphrodite des variétés

Le bouton floral est supporté par un court pédicelle qui le rattache à la rafle. Cet axe a pour fonction de décompacter la grappe car la baie va beaucoup grossir. Classiquement, la fleur hermaphrodite de vigne est formée de séries de 5 pièces florales (Fig. 4). De l’extérieur vers l’intérieur on trouve donc :

– 5 sépales rudimentaires, soudés entre eux formant un calice chlorophyllien ;

– 5 pétales alternant avec les sépales, également soudés entre eux et qui forment une corolle en forme de capuchon protégeant les organes sexués (calyptre) ;

osition des pièces florales de la fleur de vigne hermaphrodite
Fig. 4 – Position des pièces florales de la fleur de vigne hermaphrodite – © L. Torregrosa

– l’androcée (appareil mâle) est constitué de 5 étamines axillaires des pétales. Les étamines sont libres : un long filet supporte des anthères introrses, c’est à dire qu’elles tendent à diriger le pollen vers le centre de la fleur ;

– on trouve ensuite un disque composé de 5 nectaires qui alternent avec les étamines. Ils ne produisent pas de nectar mais peuvent émettre des substances odoriférantes ;

– au centre, le gynécée (appareil femelle) comporte 2 loges, chacune contenant 2 ovules. L’ovaire se poursuit à la partie supérieure par un style très court terminé par un stigmate simple. Le stigmate sécrète un liquide qui permet l’adsorption des pollens et facilite leur germination.

Floraison et développement des raisins

La floraison intervient au printemps, rapidement après le débourrement (45 jours après en climat méditerranéen pour les variétés précoces). Le stade phénologique de pleine floraison correspond à 50 % de fleurs ouvertes (calyptre détaché), mais la floraison dure le plus souvent de 3 à 12 jours en fonction de la température et de l’humidité de l’air.

Chez la vigne cultivée, à fleurs hermaphrodites, la pollinisation ne nécessite pas d’insectes pollinisateurs et le rôle du vent est secondaire (en serre, en l’absence de vent et d’insectes, la pollinisation se réalise sans problème). On ne connaît pas de cas d’auto-incompatibilité au sein des espèces de vignes. Les anthères qui sont à maturité quelques jours avant la déhiscence du capuchon floral, déversent le pollen sur le stigmate (déjà réceptif) soit avant l’ouverture de la fleur, soit lors de la chute des capuchons floraux (Fig. 5). Le contact du pollen conduit au flétrissement naturel du stigmate et du style même si la fécondation n’a pas eu lieu et même si le pollen n’a pas germé, ce qui limite l’allogamie (fécondation croisée). En réalité, même si l’autopollinisation est prédominante, la pollinisation exogène du fait du vent peut intervenir : on dit que le mode de fécondation est auto-allogame.

Après fécondation, la croissance de l’ovaire est considérable (masse multipliée par 100 à 1 000). Une première phase d’augmentation du volume durant laquelle les baies sont dures et vertes est suivie, après leur ramollissement, d’une deuxième phase de croissance par hypertrophie cellulaire qui double le volume du fruit à maturité. Les acides organiques et les tannins s’accumulent pendant la première phase de croissance alors que les sucres (hexoses), les pigments et les arômes s’accumulent durant la seconde phase.

Ouverture des fleurs de vigne au moment de la floraiso
Fig. 5 – Ouverture des fleurs de vigne au moment de la floraison – © L. Torregrosa

Sans pépins

Le volume final et les caractéristiques des baies dépendent des facteurs environnementaux (alimentation hydrique, microclimat des fruits) mais aussi du nombre de pépins. Lorsque la fécondation n’a pas lieu ou s’il y a avortement des ovules, la croissance des baies est limitée. Récemment, des variétés de raisin de table apyrènes[1] capables de produire de grosses baies malgré l’absence de pépins et sans application de gibbérellines ont été sélectionnées (ex. Centennial seedless).

Classiquement, chez la vigne, on reconnaît deux types d’apyrènie : sténospermocarpique et parthénocarpique. Dans le premier cas, des ébauches de pépins sont formées mais elles ne sont pas perceptibles par le consommateur. L’apyrènie parthénocarpique, caractéristique de la variété Corinthe Noir, correspond à une apyrènie vraie, c’est à dire à l’absence de formation de pépin ou d’ébauche de pépin. Les baies sont de très petites dimensions (en général moins de 0.5 g). Cette apyrènie n’est utilisable que pour la production de raisins secs.

[1] Dont les baies sont dépourvues de pépins

 

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