La stratégie discrète des symbioses

Jean Garbaye

Des champignons discrets mais indispensables : tels sont ceux qui, associés aux racines, forment des organes mixtes racine-champignon appelés mycorhizes. Un bel exemple de symbiose

Figure 1 — Exploration du sol par le champignon associé à la racine. On voit des extrémités de racines fines d’un diamètre de l’ordre de 0,5 mm. Tout ce qui est blanc est un champignon symbiotique qui émane des racines et émet des filaments très fins ; ceux-ci assurent la connexion entre la plante et les particules de sol – © Jean-Louis Churin

Presque toutes les plantes terrestres mobilisent et absorbent l’eau et les éléments nutritifs du sol par l’intermédiaire de champignons spécialisés associés aux racines fines. Les organes mixtes racine-champignon ainsi formés sont appelés mycorhizes. Les filaments du champignon font le lien entre le sol et la plante. Une partie d’entre eux sont extérieure à la racine et explorent le sol à grande distance, jusqu’à plusieurs décimètres dans certains cas (Figure 1). Du fait de leur diamètre beaucoup plus petit que celui des racines, ils pénètrent dans des pores très fins où ils peuvent extraire l’eau résiduaire dans un sol en voie de dessèchement, ainsi que les éléments nutritifs auxquels la racine seule n’aurait pas accès. De plus, les champignons mycorhiziens protègent les racines contre les bactéries et les champignons pathogènes. Ils sont aussi capables de solubiliser et de mobiliser, en secrétant dans le sol des agents chimiques qui leurs sont propres, les éléments nutritifs rares ou peu solubles. En même temps, ils pénètrent à l’intérieur de la racine où ils forment des structures spécialisées dans le transfert de l’eau et des éléments nutritifs vers les tissus conducteurs de la plante.

Le contrat mycorhize

Le bénéfice dû à l’association mycorhizienne n’est pas gratuit pour la plante, qui doit en retour alimenter le champignon en carbone sous forme de sucres provenant de la photosynthèse réalisée au niveau des feuilles. Le bilan est donc positif pour les deux organismes du fait de la mutualisation de fonctions complémentaires. De plus, dans la plupart des cas, l’association est obligatoire : dans les conditions naturelles, la plante ne peut pas vivre sans le champignon et inversement. Une telle coopération entre deux organismes très différents, mais intimement associés, est très commune dans le monde vivant (lichens, coraux, mollusques et vers marins, insectes crustacés, etc.) : elle porte le nom de symbiose. Il existe plusieurs sortes de mycorhizes selon les groupes végétaux et les types de champignon associés :

Les plus fréquentes : les endomycorhizes arbusculaires

Figure 2 — Un arbuscule (car ressemblant à un petit arbre) formé par la ramification de l’extrémité d’un filament du champignon ayant pénétré à l’intérieur d’une cellule de racine. Cette structure d’environ 0,020 mm est caractéristique des endomycorhizes mycorhizes arbusculaires. La grande surface développée de l’arbuscule facilite les échanges entre les deux partenaires de la symbiose – © Mark Brundrett

Les endomycorhizes arbusculaires sont ainsi nommées parce que le champignon pénètre les cellules de la racine et qu’il forme des arbuscules à l’intérieur de ces dernières, comme on le voit sur la Figure 2. Elles concernent plus de 80 % des espèces de plantes terrestres, notamment la plupart de celles d’intérêt en agriculture et en horticulture. Elles existent depuis le début de la colonisation des continents par les végétaux au Silurien, il y a environ 450 millions d’années, et sont dues à des champignons invisibles à l’œil nu et à la morphologie peu différenciée, les Gloméromycètes. De ce fait, l’observation et l’étude de ces endomycorhizes arbusculaires ne peuvent se faire qu’au microscope, après des traitements chimiques appropriés.

Les plus spectaculaires : les ectomycorhizes

Ecto-, parce que le champignon reste entre les cellules de la racine sans les pénétrer. De plus, les filaments du champignon enrobent complètement les extrémités des racines fines sous la forme d’un manchon feutré (Figure 3) qui les rend visibles à l’œil nu ou à l’aide d’une simple loupe à main. Ces ectomycorhizes ne concernent que certaines familles de plantes ligneuses, essentiellement des arbres forestiers de la zone tempérée comme les Pinacées, Fagacées, Bétulacées ou Salicacées. Les champignons associés sont des Ascomycètes ou des Basidiomycètes supérieurs qui forment pour la plupart de grosses fructifications ou sporocarpes. C’est ainsi que la majorité des « champignons » que l’on rencontre en forêt (bolets, amanites, russules, chanterelles, truffes, etc.) ne sont que la manifestation éphémère mais bien visible des partenaires symbiotiques des arbres. Les ectomycorhizes sont beaucoup plus « récentes », au sens de l’évolution, que les endomycorhizes arbusculaires : elles datent « seulement » du Crétacé (140 millions d’années).

Figure 3 — Deux types morphologiques d’ectomycorhize, formés par des champignons d’espèces différentes avec des racines fines de hêtre. Dans les deux cas, la racine courte est entièrement revêtue d’un manchon constitué de filaments fongiques, mais ce manchon est clair et lisse pour la mycorhize de gauche (formée par une Russule) et noir et hérissé de gros filaments raides à droite (Cenococcum). Échelle : diamètre des racines courtes de l’ordre de 0,5 mm - © Jean-Louis Churin
Figure 3 — Deux types morphologiques d’ectomycorhize, formés par des champignons d’espèces différentes avec des racines fines de hêtre. Dans les deux cas, la racine courte est entièrement revêtue d’un manchon constitué de filaments fongiques, mais ce manchon est clair et lisse pour la mycorhize de gauche (formée par une Russule) et noir et hérissé de gros filaments raides à droite (Cenococcum). Échelle : diamètre des racines courtes de l’ordre de 0,5 mm – © Jean-Louis Churin

Les autres, plus exclusives

D’autres types de symbiose mycorhizienne ne concernent que des groupes très restreints de plantes. C’est par exemple le cas des mycorhizes éricoïdes que l’on ne trouve que dans la famille des Éricacées ou orchidoïdes exclusivement chez les Orchidées. Les données de la paléobotanique et de la phylogénie moléculaire montrent que la symbiose mycorhizienne est apparue au moins sept fois depuis l’origine des plantes terrestres, chaque fois indépendamment entre des groupes de champignons et de plantes différents. Cette récurrence évolutive démontre le très fort avantage adaptatif que la symbiose mycorhizienne confère aux végétaux.

Mais il y a des exceptions…

Pourtant, il existe un petit nombre de familles végétales qui se sont secondairement affranchies de la dépendance vis-à-vis des champignons mycorhiziens, comme les Cypéracées, Chénopodiacées, Brassicacées, Polygonacées ou Protéacées. Comme ces plantes sont surtout des rudérales spécialisées dans la colonisation de milieux perturbés où les champignons mycorhiziens font défaut, le fait de pouvoir fonctionner sans eux les rend très compétitives par rapport aux plantes « normales » qui ont besoin de symbiotes. Morphologiquement, l’absence de filaments fongiques est compensée par l’hypertrophie des poils racinaires qui jouent le même rôle d’exploration de la porosité du sol.

Des bactéries pour exploiter l’azote de l’air

Certains végétaux supérieurs contractent aussi des symbioses avec des bactéries qui leur confèrent la capacité d’utiliser l’azote gazeux de l’atmosphère du sol en plus ou à la place des formes combinées solubles de cet élément (nitrate et ammonium). Cela concerne les familles des Fabacées (anciennes Légumineuses) avec des bactéries associées du groupe des Rhizobiacées, des Casuarinacées (filaos) et des Bétulacée (aulnes) avec des bactéries filamenteuses du genre Frankia. Les bactéries partenaires pénètrent les racines fines qui réagissent en formant des renflements appelés nodosités bactériennes (Figure 4). Protégées dans ces nodosités, les bactéries se développent massivement, réduisent l’azote gazeux en ammonium et le fournissent à la plante en échange de sucres photosynthétiques. Le « contrat » à bénéfice mutuel est donc du même type que dans le cas de la symbiose mycorhizienne.

Figure 4 – Les racines fines réagissent aux bactéries partenaires en formant des renflements appelés nodosités bactériennes – © J. Garbaye

Une préoccupation des agronomes

Alors que l’importance des symbioses racinaires dans la vie des plantes est bien connue depuis plus d’un siècle, ce n’est que très récemment que les agronomes commencent à se préoccuper de mettre ces connaissances en pratique au bénéfice des productions végétales. Des inoculants fongiques et bactériens sont disponibles sur le marché pour renforcer le potentiel symbiotique du sol mais un système de culture durable nécessite avant tout la préservation de la biodiversité naturelle du sol en maintenant un stock élevé de matière organique et en évitant tout pesticide impactant cette diversité. A rebours du paradigme actuel de l’agro-industrie à forts intrants chimiques (dite « agriculture conventionnelle »), seule l’agriculture biologique remplit ces conditions vers lesquelles il faut tendre.

A lire …

  •  Blondeau R (1995) Fixation biologique de l’azote atmosphérique. Éditions Vuibert, Paris.
  •  Fortin JA, Plenchette C, Piché Y (2016) Les mycorhizes, l’essor de la nouvelle révolution verte. Éditions Quae, Versailles.
  •  Garbaye J (2013) La symbiose mycorhizienne. Éditions Quae, Versailles.

 

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