Quels substrats horticoles pour demain?

Tourbe

Alors que les tourbes, principal substrat utilisé aujourd’hui dans les cultures hors sol, voient leur utilisation remise en question, les projections pour la demande en 2050 poussent à rechercher des alternatives. Des fibres de coco aux écorces en passant par la perlite ou la pouzzolane, tour d’horizon des propositions actuelles.

Les besoins d’une population mondiale croissante et de plus en plus urbaine conduisent à redéfinir les priorités : besoins alimentaires de fruits et légumes sains, frais, produits localement, issus de pratiques toujours plus respectueuses de l’environnement. Besoins également de végétalisation dans les zones urbaines pour améliorer le cadre et offrir une meilleure qualité de vie (qualité de l’air, atténuation des îlots de chaleur urbains, etc.).

Plus de substrats pour plus de productions hors sol

Pour répondre à ces défis, les productions hors sol sont en pleine expansion en raison de leurs multiples avantages par rapport aux cultures en pleine terre : meilleure efficacité de l’utilisation de l’eau et des éléments nutritifs, protection contre les ravageurs et les maladies, rendement et qualité supérieurs.

Cette augmentation de la demande en produits horticoles cultivés hors sol s’accompagne d’un besoin croissant de matières premières pour confectionner des substrats horticoles. Un diagnostic du marché mondial en 2017 et des perspectives pour 2050 fait ainsi état d’une demande qui devrait augmenter de plus de 400 % dans les trente prochaines années (Tableau n° 1). Cette perspective d’accroissement considérable tient pour beaucoup de l’essor du marché asiatique (Tableau n° 2), mais aussi d’une progression continue sur tous les autres continents.

Tableau marché

Les tourbes dans la tourmente

Aujourd’hui, les tourbes, et en particulier les tourbes de sphaignes, dites tourbes blondes, sont, de loin, les principaux constituants des substrats (Tableau n° 1, Figure n° 1). Elles sont utilisées principalement en raison de leurs qualités de rétention d’eau, d’aération et de stabilité en culture.

Toutefois, il s’agit d’une ressource fossile carbonée issue de zones humides (tourbières) qui représentent un important puits de carbone à l’échelle du globe. La demande sociétale et les politiques environnementales visent à limiter leur utilisation et à promouvoir des matériaux alternatifs et renouvelables. Certains pays européens exportateurs de tourbes ont déjà stoppé leur extraction, comme l’Irlande en 2019.

D’autres sont en voie de le faire comme l’Allemagne d’ici à 2025. Les principales ressources de tourbes en Europe se concentrent maintenant majoritairement dans les Pays Baltes. Pour autant, au niveau mondial, les perspectives pour 2050 indiquent que la demande en tourbe devrait doubler, même si sa proportion devrait diminuer de moitié (Tableau n° 1). Ainsi, la tourbe fait partie de la réponse à la demande de demain en substrats horticoles.

Une forte demande pour les alternatives

Néanmoins, les fabricants de substrats sont très actifs dans la recherche d’alternatives à la tourbe. Parmi celles-ci, les fibres de bois voient leur part de marché en forte croissance depuis une quinzaine d’années environ. Elle devrait perdurer avec une demande dix fois supérieure d’ici à 2050. Toutefois, ces fibres présentent des caractéristiques agronomiques complémentaires plutôt qu’alternatives à la tourbe. Ce matériau facilite en effet l’aération, mais est peu rétenteur en eau.

Les écorces, principalement celles issues du pin, sont déjà utilisées depuis bien longtemps comme composant des substrats et leur demande va aussi considérablement croître d’ici à 2050. Utilisées fraîches, compostées, ou vieillies, elles présentent des propriétés aératrices recherchées qui sont, là encore, complémentaires à la tourbe. Toutefois, l’usage de fractions assez fines peut leur conférer une certaine rétention en eau.

Les produits à base de coco proviennent pour l’essentiel d’Inde et du Sri Lanka, bien qu’on en importe aussi en France en provenance de Côte-d’Ivoire. Là encore, la demande devrait très largement augmenter dans les trente prochaines années. Il convient de préciser ce qu’on entend par coco. Ces matériaux sont issus de l’enveloppe fibreuse (mésocarpe) de la noix de coco, composée de fibres (jusqu’à plusieurs centimètres de long) et de fines particules, définissant respectivement la fibre de coco et la fine de coco. Cette dernière est souvent dénommée “cocopeat” ou « tourbe de coco » par abus de langage. Or ces termes doivent être absolument proscrits car ils ne correspondent en rien à de la tourbe extraite de tourbières ! On distingue aussi des chips de coco issues du broyage du mésocarpe.

De fait, les propriétés physiques varient largement d’un matériau à l’autre. Les chips offrent des propriétés aératrices au substrat. À l’inverse, la fine de coco fournit une forte rétention en eau, se rapprochant des qualités physiques de certaines tourbes. Enfin, de la taille des fibres de coco dépendent leurs propriétés de rétention en eau ou d’aération. En outre, la coco se distingue par un caractère hydrophile (comme certaines fibres de bois), conduisant certains fabricants de substrats à l’introduire en mélange avec la tourbe afin d’améliorer l’aptitude à la réhumectation du substrat. À ce jour, fibres de bois, écorces et coco constituent les principaux composants alternatifs et/ou complémentaires à la tourbe.

Toutefois, bien qu’il existe des terreaux sans tourbe, ces matériaux sont la plupart du temps utilisés en mélange avec de la tourbe, parfois en tant que substituts à la tourbe (c’est-à-dire des alternatives présentant des propriétés assez proches) comme la fine de coco, mais le plus souvent en tant que complémentaires pour améliorer les qualités agronomiques du substrat.

Les autres matériaux ne sont pas des alternatives

D’autres matériaux sont également utilisés comme composants des substrats, mais aucun d’entre eux ne joue le rôle d’alternative à la tourbe. C’est le cas des composts de déchets verts dont l’emploi est principalement réservé à un usage grand public plutôt qu’aux professionnels, qui l’emploient peu et en proportion très limitée afin d’introduire une certaine vie microbienne dans le substrat. Pour le marché grand public, son pH relativement élevé et sa forte conductivité électrique obligent à les utiliser en mélange.

La perlite est la plupart du temps utilisée en mélange dans des substrats tourbeux pour ses propriétés aératrices. La pouzzolane est également un matériau aérateur, particulièrement utilisé dans des mélanges pour les substrats sur toiture dans les aménagements urbains, lesquels privilégient de fortes quantités de matière minérale plutôt que des matières organiques.

Sable ou gravier sont aussi parfois utilisés pour leurs propriétés drainantes, comme d’autres matériaux minéraux expansés. Enfin, l’utilisation de la laine de roche est spécifique des cultures de fruits et légumes sous serre. Pour autant, les perspectives pour 2050 font état d’un volume conséquent de nouvelles ressources nécessaires pour répondre à la demande. Le défi est de taille pour les fabricants de substrats, qui font de gros efforts pour augmenter l’offre de matières premières et en trouver de nouvelles, qui soient agronomiquement performantes, mais aussi durables, disponibles plus localement, et relativement peu coûteuses.

 

Jean-Charles Michel
L’Institut Agro Rennes-Angers