Petits habitants de l'herbe…

Vincent Albouy

Le gazon est une version « de poche » appauvrie de la prairie de pâture ou de fauche des campagnes d’autrefois. Si son entretien n’est pas trop intensif, il accueille une petite faune dont la diversité augmente sensiblement quand il est conduit en pelouse fleurie.

Cetoine hérissée (Tropinata hirta) - © Vincent Albouy

Le sol du gazon n’est pas travaillé et accueille une vie animale appréciant cette tranquillité. Les vers de terre sont nombreux. Certains sont parfois jugés nuisibles par des jardiniers pointilleux, car ils rejettent à la surface du gazon des tortillons de terre inesthétiques. Le jardinier naturaliste n’y voit que la preuve de la bonne santé du sol. Beaucoup de larves d’insectes s’attaquent aux racines des herbes. Les vers blancs, larves de hanneton, sont dodus, blanchâtres et recourbés en « U ». Les vers fil de fer, larves de taupin, sont coriaces, brun luisant et allongés. Les larves de tipules sont de gros asticots gris terne sans pattes ni yeux.
Vers de terre et larves d’insectes constituent le menu de la taupe qui creuse ses galeries sous la pelouse. Elles participent à une bonne aération et à un bon drainage du sol, avantages à mettre en balance avec  la nuisance qu’elles représentent pour la lame de la tondeuse…

 

Taupin souris (Agrypnus murinus) - © Vincent AlbouyUne vie foisonnante… jour et nuit

À part quelques carabiques et staphylins courant à la surface du sol, un gazon régulièrement tondu a une vie aérienne assez pauvre. Les fourmis arrivent également à s’en accommoder et la plus commune dans les jardins est probablement la fourmi noire des gazons. Son nid souterrain, établi dans les endroits secs et bien ensoleillés, est surmonté d’un dôme de terre.
Là où le gazon peut pousser en toute liberté, au pied de la haie ou dans les zones les plus isolées du jardin par exemple, il attire de nombreux végétariens mangeurs de graminées. Petit papillon de jour discret, aux couleurs ternes, la chenille du fadet commun consomme les pâturins et autres graminées communes. Le crambus des jardins, papillon de nuit aux ailes gris sale à brunâtres, se tient immobile le jour dans l’herbe et sa chenille se nourrit des racines de graminées. La chenille de la psyché du gramen confectionne un fourreau fixé sur les feuilles, les poteaux, les murs... Avec de la soie, elle assemble autour de son corps divers débris végétaux.
Les adultes de plusieurs espèces de taupin peuvent se trouver dans la pelouse, comme le taupin rayé ou le taupin souris. Actifs la nuit, ils rongent les feuilles des herbes. Le jour, ils se tiennent immobiles sur les tiges et les feuilles des plantes basses. Avec son corps allongé, ses deux grandes ailes et ses longues pattes qui semblent plutôt l’encombrer, la tipule adulte est souvent prise par erreur pour un moustique géant. Les pièces de sa bouche étant atrophiées, elle ne se nourrit pas.


 

Encore plus riche avec l’âge

Une pelouse âgée s’enrichit souvent de plantes vivaces diverses supportant la tonte ou la fauche. Les puristes le déplorent et souvent ressèment le gazon pour le renouveler. Les naturalistes s’en félicitent, car de nouveaux animaux apparaissent, attirés par le feuillage ou les fleurs de ces plantes.
Le mâle de l’azuré de la bugrane aux ailes bleues est plus visible que la femelle, brune avec quelques reflets bleus. La chenille se nourrit de trèfle et autres légumineuses. Le cuivré commun, aux ailes orange vif plus ou moins marquées de noirâtre selon qu’on a affaire à la femelle ou au mâle, est moins fréquent dans les jardins. La chenille vit sur les renouées, les patiences, l’oseille. La plupart des plantes vivaces, compagnes des graminées, fleurissent abondamment. Pâquerettes, pissenlits, boutons d’or, marguerites, centaurées représentent une ressource en nectar et en pollen très appréciée de nombreux insectes. Les papillons sont les plus visibles, à côté des coléoptères, guêpes, mouches et abeilles domestiques ou sauvages. Parmi ces dernières, l’andrène rousse se distingue par sa capacité à coloniser les jardins péri-urbains. Dès le printemps, elle butine pour accumuler le miel de ses larves. Son terrier est creusé dans le sol.
 

Guetter… dans la pelouse fleurie

L’un des coléoptères floricoles les plus fréquents au printemps, notamment sur les inflorescences jaunes de Composées, la cétoine hérissée se distingue par son corps brun noirâtre recouvert de longs poils sur le ventre. Plus tard, dans la saison apparaît l’oedémère noble aux reflets verts, dont le mâle se reconnaît à ses fémurs arrière renflés. Ces visiteurs des fleurs aiguisent bien des appétits. Les araignées-crabes, thomise et misumène, les attendent à l’affût dans les corolles et les capitules, prenant souvent la teinte de leur fleur d’adoption. Dans les herbes hautes, le danger vient de la grande sauterelle verte ou de la mante religieuse…
Facile à intégrer dans un jardin, la pelouse fleurie est plaisante à l’oeil par la variété des fleurs qui peuvent s’y installer. Riche de nourriture et d’abris divers, elle favorise une vie animale originale. Moins fatigante à entretenir que le gazon traditionnel, car elle n’est coupée qu’une ou deux fois par an seulement, c’est un précieux atout pour enrichir la biodiversité du jardin.

Thomise chargée (Thomisus onustus) - © Vincent Albouy Tortillon de ver de terre (Allobophora) - © Vincent Albouy