Paysages d’intérieur : d’un décor symbole de domination de la nature à un emblème de bien-être et d’altérité

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Des premières orangeries, il y a cinq siècles, aux centres commerciaux modernes, les plantes ont investi les intérieurs et y composent de véritables paysages dans certains cas. Cet engouement touche tous les environnements, personnels, professionnels ou commerciaux. Les plantes d’intérieur présentent des effets bénéfiques sur notre santé et notre bien-être.

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Bref historique du paysage d’intérieur

Après l’intérêt suscité par les agrumes arrivés en Europe dès le VIIIe siècle et la création des premières orangeries au XVIe siècle, l’attrait pour les plantes dites d’intérieur suit de près les découvertes botaniques et les progrès des techniques horticoles. Au XVIIIe siècle, l’époque coloniale voit se développer les jardins botaniques qui s’équipent bientôt de grandes serres, à l’image de celles du jardin royal de Kew Gardens, près de Londres. « Dès 1830, plus de 160 variétés de palmiers étaient inscrites au catalogue des frères Loodiges pépiniéristes anglais. (1*) » La culture des plantes dans les intérieurs s’accélère considérablement avec l’ère industrielle. Elles compensent en quelque sorte une urbanisation massive privant un nombre important de personnes d’un contact avec la nature. Au XIXe siècle, les jardins d’hiver, prolongement de l’habitat, se développent. Les palmiers, fougères, lierres et autres plantes, pour la plupart originaires des régions tropicales, sont cultivés à l’intérieur. « Installées dans des terrariums, sur des tables d’appoint, sur des rebords de fenêtre, sur des meubles accueillant déjà des aquariums et dans des cheminées inutilisées, elles apportent couleur et texture aux intérieurs richement décorés. » (2*). La fin des années 1960 est celle du développement du « paysagisme d’intérieur » qui a conquis aujourd’hui tous les espaces de vie : logements, bureaux, centres commerciaux, hôtellerie, gares et aéroports. Les décennies 1970 à 1990 sont celles des grands atriums, composés de végétaux directement plantés au sol. Les années 1990 et 2000 voient l’apogée des plantes en pot, dont l’entretien est favorisé par la diffusion de l’hydro-culture. Les années 2010 sont celles de la végétalisation du bâti, en particulier du développement des murs végétalisés. Il semble que les années 2020 ouvrent la voie à de multiples formes, allant des plus rustiques aux nouvelles technologies. L’innovation se situe d’une part dans la diversification des végétaux cultivés, avec l’apparition de potagers d’intérieur, et d’autre part dans la diversification des usages : coworkig, lieux de restaurations et tiers-lieux (3*).

Un engouement qui touche aussi (et surtout) les jeunes, à la maison comme au travail

L’engouement pour les plantes d’intérieur est réel et gagne les jeunes générations. En témoigne le succès des ventes éphémères de plantes, dans les grandes villes de France ou l’éclosion de jeunes pousses spécialisées dans l’aménagement végétal intérieur. Ce succès est encore plus manifeste sur les réseaux sociaux. Le mot-clé #monstera est cité dans plus de deux millions de publications sur Instagram, tandis que #plantsmakepeoplehappy en totalise plus de six millions et demi. La demande de contact avec la nature gagne aussi les entreprises et les jeunes diplômés (4*) : la présence du végétal est importante pour 83 % d’entre eux et 61 % indiquent que le végétal contribue au bien-être au travail (5*). La crise sanitaire liée à la Covid-19 et le développement du télétravail font naître de nouvelles aspirations, qui pourraient être résumées par des bureaux favorisant les échanges interpersonnels et un contact accru avec la nature.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column width= »1/2″][vc_single_image image= »19306″ img_size= »full » add_caption= »yes » alignment= »center »][/vc_column][vc_column width= »1/2″][vc_single_image image= »19304″ img_size= »full » add_caption= »yes » alignment= »center »][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]

De nombreux bienfaits relatés

Le végétal a des effets sur des éléments de confort. En présence de plantes, l’humidité relative augmente de manière significative, passant de 25 à 30 %, atteignant ainsi la valeur minimale recommandée (LOHR et al., 1992) (6*). D’autre part, la poussière – en partie responsable des toux d’irritation citées dans le « mal des bureaux » – est réduite de près de 20 % avec les plantes (LOHR et al., op. cit.). À Oslo, l’absentéisme au travail est passé de 16 à 6 % (FJELD et al., 1998) (7*). De plus, les travailleurs qui avaient davantage de plantes dans leur bureau « ont pris un peu moins de journées de congé de maladie et ont été un peu plus productifs au travail (8*) ». De même, des travailleurs entourés de verdure seraient 15 % plus productifs que ceux qui n’ont pas de plantes autour d’eux, d’après une enquête menée conjointement par des chercheurs de l’université d’Exeter, de Groningen (Pays-Bas) et du Queensland (Australie) (9*). D’autres, enfin, attestent d’effets positifs en matière économique, comme la synthèse « The Economics of Biophilia », parue en 2015 aux États-Unis (10*).

L’hypothèse de biophilie

C’est à l’écologue américain Edward Osborne Wilson, par ailleurs l’un des pères de la « biodiversité » que l’on doit la popularisation du terme « biophilie ». Ce mot est formé à partir de la racine grecque « bio » (la vie) et du suffixe « -phile » (« qui aime »). La biophilie serait donc le fait d’aimer le vivant et plus particulièrement, pour l’Homme, d’aimer les autres formes du vivant. Wilson s’inscrit dans la continuité des travaux du psychosociologue américain Erich Fromm, qui avait défini la biophilie dans un cadre éthique. Pour Wilson, la biophilie est « un penchant naturel, instinctif, qui nous pousse à rechercher un contact authentique ou dérivé avec le vivant ». Reconnecter les humains avec la nature (11*). Déjà, Jean-Jacques Rousseau, le promeneur solitaire, nous invitait à retrouver une intime connexion avec la nature. Au milieu des années 1970, une publication scientifique alertait sur « l’extinction de l’expérience de nature » (Pyle, R.,197512). En 2002, Robert Kahn relatait une « amnésie environnementale générationnelle ». Pour Cynthia Fleury et Anne-Caroline Prévot, qui ont dirigé l’ouvrage Le souci de la nature, paru en 2017, « savoir avoir ne suffit visiblement pas. Il faut le vécu. L’expérience »13. La pratique du jardinage en intérieur, tout comme la médiation entre plantes et usagers, que réalisent des jardiniers professionnels par l’entretien régulier des paysages d’intérieur, pourraient contribuer à la réalisation de ces expériences de nature.

© Les Jardins de Gally

Un contact bienfaiteur pour la santé humaine comme pour celle de l’environnement ?

La professeure d’histoire et de design britannique Penny Sparke constate une évolution dans les rôles attribués aux paysages d’intérieur: « En raison du besoin des êtres humains de rester connectés à la nature en milieu urbain, nous avons, au fil des années, noué des liens affectifs avec des plantes d’intérieur analogues à ceux que nous développons avec nos animaux domestiques. (14*) » Le contact permis par les plantes, même loin de leurs régions d’origine, dans des milieux parfois inhospitaliers, contribue à rapprocher les humains du vivant. Wilson concluait déjà, en 1984, son ouvrage Biophilia par ces mots : « C’est pour autant que nous en viendrons à comprendre d’autres organismes que nous leur accorderons plus de prix, comme à nous-mêmes. » Pour certains, les liens entretenus avec les plantes d’intérieur étaient, au XIXe siècle « ancrés dans le contrôle que les êtres humains ont exercé sur les autres formes de vie, résultant, sur le long terme, à un déséquilibre entre nature et culture […] », en particulier à l’époque victorienne, où de nombreux parallèles sont faits avec la pensée colonialiste. Aujourd’hui, « des tentatives de rétablir un sentiment d’égalité et de respect pour les plantes d’intérieur, et avec la nature en général, ont été entreprises » (Sparke, 2021, op. cit.). Un message d’espoir, où le bien-être individuel et la protection de la biodiversité pourraient être améliorés !

 

Christophe Boutavant
Ingénieur paysage, environnement et développement (les Jardins de Gally)

Pierre Darmet
Directeur marketing et développement commercial (les Jardins de Gally)

 

(1*) Des orangeries aux serres botaniques, Xavier Laureau et Gérard Pontet, 2008.
(2*) Plant fever, vers un design phyto-centré, Laura Drouet, 2021.
(3*) « Les tiers-lieux sont les nouveaux lieux du lien social, de l’émancipation et des initiatives collectives », précise le ministère de la Cohésion des territoires https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/tiers-lieux, consulté le 22/03/2021.
(4*) En 2018, une étude de la chaire immobilier et développement durable de l’Essec révélait que les jeunes diplômés étaient demandeurs de verdissement.
(5*) Étude Mon bureau de demain®, Chaire Workplace Management, Essec Business School, Ingrid Nappi et al., 2018
(6*) The Contribution of Interior Plants to Relative Humidity in an Office, LOHR et al., 1992
(7*) The Effect of Indoor Foliage Plants on Health and Discomfort Symptoms among Office Workers, FJELD et al., 1998
(8*) Psychological Benefits of Indoor Plants in Workplaces : Putting Experimental Results into Context : Tina Bringslimark, Terry Hartig, and Grete Grindal Patil, 2007
(9*) Why Plants in the Office Make us more Productive, University of Exeter, 2015
(10*) The Economics of Biophilia, why Designing with Nature in Mind Makes Financial Sense, Terrapin, 2015
(11*) Voir aussi les articles de Bastien Vajou et Alice Meyer Grandbastien dans ce numéro
(12*) https://www.thenatureofcities.com/2015/03/15/extinction-of-experience-does-it-matter/
(13*) Le souci de la nature, Anne-Caroline Prevot et Cynthia Fleury, 2017
(14*) In Plant Fever, vers un design phyto-centré, Laura Drouet, 2021[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]