On améliore aussi les plantes médicinales !

Alors que, depuis toujours la cueillette permettait de se fournir en plantes médicinales, la deuxième moitié du XXe siècle a vu les travaux de sélection et d’amélioration génétique s’emparer du sujet. Plus de volume, une meilleure qualité et la réponse à des critères bien définis en sont les motivations principales.

Salvia officinalis au Conservatoire national des plantes à parfum: la sauge officinale voit la sélection améliorer ses feuilles, l’huile essentielle, et la production de métabolites comme les thuyones © Liné1 – CC 3.0

 

La bibliographie internationale concernant la sélection mentionne plus de 2 000 références de plantes médicinales, aromatiques et à parfum. C’est ainsi que nous trouvons dans la littérature plus de 100 mentions de menthe (Mentha sp.), 110 de basilic (Ocymum sp.) ou bien encore 50 de souci officinal (Calendula officinalis) avec une visibilité peu évidente en termes de variétés, cultivars, populations, espèces horticoles, confusions botaniques, etc. Beaucoup de travaux ont débuté dès les années 1950 dans les anciens pays du bloc de l’Est et c’est ainsi qu’après la chute du mur de Berlin, en 1989, de nombreuses variétés sont devenues accessibles en Europe occidentale. Citons les variétés de matricaire (Matricaria recutita), telle que ’Bohemia’ créée en 1952 en République Tchèque, ’Zloty Lan’, créée en 1970 en Pologne, ainsi que la variété ’Topaz’ de millepertuis perforé (Hypericum perforatum) créée dans les années 1980 en Pologne. Notons aussi que le pavot à morphine (Papaver somniferum) a été travaillé dès les années 1960 en Bulgarie, Hongrie et Ukraine.

En France, l’amélioration génétique des plantes médicinales date des années 1970 avec le développement des cultures, qui ont remplacé peu à peu la cueillette des plantes sauvages. Une espèce aromatique comme le thym (Thymus vulgaris) a contribué à répondre à de nouveaux besoins, notamment sur le marché de l’herboristerie et de l’aromathérapie, grâce à la découverte de chémotypes intéressants.

Sur plus de 120 espèces cultivées en France, seule une vingtaine a fait l’objet d’une amélioration, notamment grâce à des structures professionnelles soutenues en partie par des fonds publics, comme l’Itepmai (1*) depuis les années 1980. Quelques grandes firmes françaises du secteur privé ont également entrepris des travaux de sélection sur les plantes médicinales ou sur les plantes utilisées dans le domaine de la liquoristerie (pavot œillette, fenouil amer…). Notons également que pour les plantes à parfum, c’est en 1935 qu’apparaît le premier cultivar de lavandin (Lavandula × intermedia) qui portera le nom de son créateur, le professeur Abrial.

Quels apports de la sélection aux plantes médicinales ?

Le rôle de la sélection est de créer, par voie génétique, des variétés toujours mieux adaptées aux exigences de la production agricole, en quantité et en qualité. Dans le domaine des plantes à parfum aromatiques et médicinales (PPAM), la création variétale est conduite à l’institut technique Iteipmai; c’est depuis les années 1990 l’axe prioritaire de cet institut. Les espèces travaillées présentent deux caractéristiques permettant de réaliser des progrès certains : l’existence d’une importante variabilité génétique et une bonne héritabilité (transmission) des caractères. Il est possible de doubler les teneurs en principes actifs en deux ou trois cycles de sélection. Les principaux caractères pris en compte sont les suivants :

• Les aspects quantitatifs liés à la production de feuilles (mélisse officinale…), de fruits ou graines (coriandre cultivée…), de racines (valériane officinale…), de fleurs (matricaire) ou d’essence (angélique…);

• Les aspects qualitatifs et la notion de métabolites recherchés : huiles essentielles et principes actifs (valériane officinale, mélisse officinale…);

• La notion de tolérance ou de résistance aux maladies (mildiou du basilic, mildiou du persil, anthracnose du millepertuis perforé…);

• L’adaptation à la mécanisation (matricaire…);

• L’adaptation aux adversités naturelles : gel (romarin…), sécheresse (lavande…).

L’amélioration de certaines espèces peut porter sur tous, ou la plupart, des critères définis plus haut. Par exemple, la sélection de l’angélique a porté sur la production des fruits, des racines ou de l’huile essentielle, répondant ainsi à des utilisations différentes.

Sur ces critères, certaines plantes ont fait l’objet d’une simple sélection massale (comparaison de populations entre elles). Elle permet des gains substantiels, rapides et à moindre coût (belladone, anis vert…).

Exemple de la sélection de la valériane officinale par sélection généalogique maternelle (source: Iteipmai)

Conserver et caractériser la richesse génétique

La grande diversité des espèces sauvages, dont sont issues beaucoup de PPAM, promet des gains génétiques très importants. Les travaux de sélection qui en découlent nécessitent de collecter, de conserver et de caractériser cette richesse génétique. Cette partie du travail est largement réalisée en France par le CNPMAI (2*).

Au vu de l’importance relative des marchés, du coût de la sélection variétale et de l’allogamie de la plupart des plantes travaillées, les schémas de sélection utilisés en France sont relativement simples. Ainsi, la sélection généalogique maternelle est largement utilisée pour aboutir en six à huit années, selon la nature de l’espèce (annuelle ou vivace), à une variété, appelée parfois « variété synthétique ». La sélection généalogique maternelle consiste à vérifier l’aptitude héréditaire des parents sur la descendance. La stabilité des variétés est ensuite assurée par clonage des parents porte-graines (plante mère).

Aujourd’hui, des travaux sont conduits en faisant appel à la génomique(3*) pour augmenter l’efficacité de la sélection. Les séquences ADN définissent les caractères agronomiques de la plante (couleur, taille, composition de l’huile essentielle, résistance aux maladies…). Il existe, au niveau du génome, une diversité entre les individus qui va permettre de caractériser ces individus, notamment grâce au génotypage avec l’utilisation de marqueurs moléculaires. Le secteur des PPAM présente des espèces dont la génomique est peu documentée.

Des travaux récents sur la lavande ont permis de mettre en évidence 8 000 gènes disponibles. La génomique est donc un outil efficace : elle permet de caractériser les ressources génétiques, d’authentifier les variétés (choix des populations initiales), elle facilite la certification des semences et plants, permet d’éliminer les doublons et éclaire la connaissance sur la transmission des caractères d’intérêt.

La filière des PPAM, avec ses 50 000 hectares et ses 150 millions d’euros de chiffre d’affaires à la production, est en plein développement. Elle regroupe des plantes offrant de multiples utilisations. La recherche sur l’utilisation de toutes ces espèces, la demande sociétale et les besoins des industriels ne cessent d’ouvrir de nouveaux marchés et la sélection variétale constitue le maillon essentiel de l’avenir de ce secteur.

 

Philippe Gallotte
Ancien sélectionneur à l’Iteipmai

 

(1*) Institut technique interprofessionnel des plantes à parfum,
médicinales aromatiques et industrielles.

(2*) Conservatoire national des plantes à parfum, médicinales et aromatiques.

(3*) La génomique étudie les séquences ADN des êtres vivants. Le génome est formé de l’ensemble des informations génétiques contenues dans la cellule.