Noëlle Guillot : une histoire de transmission

Pablo Badin

Noëlle Guillot est la lauréate de l’édition 2018 du concours Jardiner Autrement organisé par la SNHF. Son jardin est, bien sûr, splendide, mais la rencontrer c’est aussi suivre un parcours, une évolution, une histoire de vie.

Situé au lieu-dit Remspach, dans la commune de  Linthal, en Alsace, le jardin de Noëlle Guillot est un  vaste jardin de montagne, à 85  mètres d’altitude, subdivisé en deux parties. Mille mètres carrés sont dévolus au  jardin potager et la même surface au verger.

Noëlle Guillot, lauréate du concours Jardiner Autrement 2018, dans son jardin en Alsace - © N. Guillot
Noëlle Guillot, lauréate du concours Jardiner Autrement 2018, dans son jardin en Alsace – © N. Guillot
Un potager de 1 000 m2 et un verger de même surface constituent le jardin de Noëlle Guillot - © N. Guillot
Un potager de 1 000 m2 et un verger de même surface constituent le jardin de Noëlle Guillot – © N. Guillot

Ce jardin vous a-t-il été transmis ? Pouvez-vous nous raconter son histoire ?

Mes grands-parents ont vécu ici, ils avaient une petite exploitation de montagne d’une dizaine de vaches. Leur activité principale était la production de munster. Ils cultivaient déjà un jardin vivrier car, pour eux, avoir un jardin à proximité était vital. Ils parvenaient à produire leur alimentation pour toute l’année et n’achetaient quasiment rien. Ma grand-mère avait accumulé un grand savoir dans l’art de cultiver son jardin, qui lui avait été transmis par ses parents, qui l’avaient eux-mêmes hérité des leurs.

Pour elle, tous les produits chimiques issus de la révolution verte étaient absolument miraculeux : soudainement, plus de problèmes de limaces, ni de mulots, plus de problèmes de maladies. Elle traitait sans retenue. Quand j’ai commencé à jardiner avec elle à l’adolescence, nous nous sommes souvent fâchées à ce sujet. Pour ma part je n’étais pas encline à utiliser ces produits. Progressivement, ma grand-mère a cessé de monter au jardin, j’ai repris le flambeau et modifié les pratiques de jardinage. Ça n’est pas du tout un reproche que je lui fais car le discours de l’époque consistait à dire aux jardiniers : «  Vos pratiques anciennes ne sont pas bonnes, elles sont d’un autre temps. Nous, nous avons des solutions modernes.  » Du coup, tous ces savoirs des temps anciens, transmis de jardinier en jardinier, enrichis de génération en génération, ont été dénigrés et mes grands-parents sont donc tombés là-dedans un peu malgré eux.

Ce changement de pratique a-t-il été radical ou progressif ? Comment s’est passée cette période de transition entre vous et votre grand-mère ?

Le changement a été plutôt progressif puisque quand j’ai commencé à jardiner, j’essayais vraiment de faire un jardin très propre, très suivi, avec des arrosages bien gérés, des sillons tirés au cordeau. Je dois dire que j’utilisais les petites poudres qui allaient bien pour gérer les limaces en particulier, enfin, […] les ravageurs en général, même si je le faisais de manière très raisonnée. Elles faisaient encore partie du processus. Mais, petit à petit, l’idée que tous ces produits contaminaient nos cultures, et nous en bout de course, a fait son chemin. Donc, toujours progressivement, j’ai remplacé les quelques produits que j’achetais par des extraits fermentés de plantes et autres traitements bio. J’en achetais certains, j’en fabriquais d’autres moi-même. Après quelques années de pratique, et par souci d’économie, les intrants externes n’ont plus eu droit de cité dans mon jardin. Enfin, il y a trois ans, avec mon mari, nous avons également abandonné le travail du sol : plus de motoculteur, même plus de grelinette. J’ai pu parfaitement intégrer et faire mienne l’idée qu’un jardin «  pas propre  » puisse être productif. Aujourd’hui, le résultat est au rendez-vous. Mon mari et moi nous sommes rendu compte que cela n’était pas nécessaire et qu’avec un bon paillage hivernal, les vers de terre faisaient le travail du sol à notre place.

J’ai comme parti pris, dorénavant, de ne plus gérer les plantations en elles-mêmes et de ne m’occuper quasi exclusivement que du sol et de sa richesse biologique. Je le soigne, et il me le rend bien ensuite avec des plantes saines, qui poussent bien et qui sont productives. La biodiversité au jardin (sous terre et au-dessus) amène un équilibre profitable qui nous protège, sans action extérieure, des pullulations de ravageurs et des attaques fongiques, bactériennes ou virales massives.

Vue aérienne du jardin de Noëlle Guillot
Vue aérienne du jardin de Noëlle Guillot
Des associations de cultures - © N. Guillot
Des associations de cultures – © N. Guillot

Quelles sont vos sources d’inspiration (des  auteurs par exemple) ? Où allez-vous chercher  l’information ?

Mes premières lectures marquantes ont été les ouvrages de Jean-Marie Pelt, qui parlait déjà, il y a bien longtemps, du langage des plantes et de leur capacité de communication1… Jean-Marie Pelt, dont j’écoutais religieusement les chroniques à la radio dans l’émission de France Inter «  CO2 mon amour  » a largement posé les bases de ma sensibilité écologique. J’ai découvert avec lui que les plantes ne sont pas fragiles et sans défense, mais au contraire qu’elles ont des capacités insoupçonnées pour peu qu’on les laisse «  s’exprimer  » et qu’on ne les entrave pas. Finalement que l’on n’intervienne pas trop. Puis il y a eu Claude et Lydia Bourguignon, et cette phrase choc que j’ai entendue dans l’un de leurs reportages : «  On ne fait plus de l’agriculture, mais de la gestion de pathologies végétales.  » Ce sont eux qui m’ont ouvert les yeux sur l’importance de la vie du sol. Et pour définitivement m’affranchir des produits phytosanitaires (même homologués en bio), il m’a suffi de visionner quelques reportages de Marie-Monique Robin2. De nombreux ouvrages des éditions Terres Vivantes et, bien sûr, une lecture assidue des 4 Saisons du jardinage bio ont fait le reste.

À qui allez-vous, si vous ne le faites déjà, transmettre votre savoir ?

Pour tous ceux qui le souhaitaient, j’ai organisé l’été dernier quelques visites de mon jardin. Contre toute attente, cela a visiblement passionné les participants et j’y ai pris un réel plaisir. Il est vrai que pendant toutes ces années, mon jardin était en somme mon jardin secret, une chose que je ne partageais pas, non pas par égoïsme, simplement parce que je n’imaginais pas que cela puisse susciter un quelconque intérêt. Je n’avais pas l’impression d’avoir des pratiques particulières. Pour moi, tout le monde suivait le même cheminement. Et puis, non, ce n’est pas le cas, et beaucoup de gens s’y intéressent vraiment. Alors, comme le jardinage me passionne et que j’ai vraiment eu beaucoup de plaisir à partager et à transmettre durant ces quelques visites, j’ai pour projet d’organiser, en plus des visites, quelques stages thématiques à partir de l’année prochaine… Je vais les formaliser durant cet hiver avant la reprise du potager au printemps (eh oui, en montagne on bénéficie d’une réelle trêve hivernale au jardin… Gelé et enneigé, il se repose). Parallèlement, je suis engagée avec un groupe local d’écojardiniers, porté par la Mission eau de mon secteur (Guebwiller et ses environs), et nous participons régulièrement à des manifestations pour sensibiliser les jardiniers amateurs aux pratiques respectueuses des ressources en eau (la nappe phréatique alsacienne ne souffre pas que des grandes cultures) et des écosystèmes en général. La Mission eau propose d’ailleurs, dans notre secteur, une formation gratuite à l’écojardinage.

1 Jean-Marie Pelt : La vie sociale des plantes, Fayard 1984, 396 p, 25 €, et Le langage secret de la nature, Lgf 1996, 256 p, 6,60 €

2 « Le Monde selon Monsanto » 2008, « Notre poison quotidien » 2010