Multiplication de l’artichaut : bouturage ou semis ?

Multiplier l’artichaut demande de bouturer ou de semer. Quelques précautions sont à connaître, mais l’opération est à la portée de tous. Le plus dur sera peut-être de réussir la vinaigrette qui l’accompagnera dans votre assiette!

Production de « Gros vert de Laon » en juin 2019 © J.-N. Plagès

L’artichaut est une plante du bassin méditerranéen qui supporte très mal le froid humide de l’hiver. L’espèce sauvage à l’origine de celle mise en culture il y a peu de temps est toujours présente en quantité en Sardaigne, en Sicile, en Afrique du Nord et dans le sud de la Corse (photo page suivante en haut). En France, la culture s’est développée sur les bords de la Méditerranée notamment dans le Var, les Bouches du-Rhône et les Pyrénées-Orientales ainsi qu’en Bretagne, le long des côtes. Sa culture a pris une grande importance en Italie et en Espagne. C’est une plante herbacée pérenne qui peut être cultivée en annuelle, bisannuelle ou pluriannuelle dans les régions à hivers doux (destruction des capitules à -1 °C/-4 °C, destruction de la plante à -10 °C/-12 °C pendant plusieurs jours). Deux types de multiplications sont utilisés : le semis de graines et le bouturage.

 

Le semis des akènes

Si on laisse fleurir le capitule, la pollinisation est assurée par les insectes mais la production de graines est assez faible (10 à 15 graines par capitule). Le croisement avec le cardon, son demi-frère, est très facile et crée de l’hétérogénéité. La multiplication par semis produit des populations assez hétérogènes, aussi bien au niveau morphologie (feuillage et capitule) qu’au niveau de la précocité et de la qualité (partie comestible variable en quantité et en qualité). Après plusieurs cycles de multiplications, on obtient une population d’individus plus homogène en prenant de nombreuses précautions (isolement et choix d’individus). Utilisée au début de la culture, cette multiplication a été vite abandonnée, sauf dans quelques cas de variétés ayant acquis une certaine homogénéité.

Quelques variétés hybrides F1, utilisant une lignée mâle stérile, sont commercialisées sous forme de semences. C’est le cas d’‘Opal’, ‘Opéra’ et ‘Madrigal’. Elles sont vendues à la graine (au prix de 1,20 €). Ces variétés sont très homogènes et très productives avec des capitules de bon calibre. Le semis réalisé en février permet une petite production en juin-juillet la même année et deux productions la seconde année (avril-mai et septembre-octobre). La productivité est fonction des arrosages, surtout pour la production d’automne. Un manque d’eau peut annuler toute la production.

Isolement et hybridation © J.-N. Plagès
Hybride F1 ‘OPAL’ : capitule en floraison, fin juin 2017 © J.-N. Plagès

Le bouturage

La partie souterraine de la plante est constituée d’une masse rhizomateuse sur laquelle se trouvent des bourgeons latents. La tige principale produit un capitule central assez gros et des capitules secondaires qui le sont un peu moins.

À la fin de la récolte, la plante se dessèche. Si les arrosages continuent, les bourgeons latents vont démarrer, formant ce qu’on appelle « des œilletons ». Ils sont prélevés au moment où ils ont quelques racines pour être plantés soit en pépinière, soit au champ. Le coefficient de multiplication est faible (4-5 œilletons par plante-mère). On a alors une population polyclonale ou oligoclonale en fonction du nombre de pieds-mères sur lesquels a été fait le prélèvement. En effet chaque œilleton est conforme à son propre pied-mère.

D’autres parties de la plante sont utilisées pour obtenir de nouvelles plantes : cabosses, parties de la tige légèrement renflées portant un bourgeon latent, ou bâton, morceau de la base de la tige principale. Tous ces prélèvements se font après la phase de production, lorsque la plante est desséchée. Le nouveau champ de production ne sera pas très homogène. Les producteurs qui connaissent bien leurs pieds-mères portent une attention toute particulière à la précocité, source de la rentabilité de la culture.

Pour pallier ces inconvénients, l’Inra a créé des variétés clones issus de sélection clonale dans les populations les plus cultivées, par exemple, ‘VP 45’, issu de Violet de Provence, ou ’Castel’, issu de Camus de Bretagne, mais aussi des variétés hybrides F1 clonées, car la production de semences est trop faible pour la multiplication par semis (par exemple, ‘Salanquet’, ‘Salambo’ et ‘Cric’, issus de l’hybride ‘Blanc Hyérois’ X ‘Romanesco’). Toutes ces variétés homogénéisées par différentes voies d’amélioration génétique requièrent toujours le bouturage pour la multiplication au champ. Un inconvénient du bouturage est la transmission de maladies virales notamment. Il faut s’assurer que les pieds-mères prélevés sont parfaitement sains. Cela nécessite une observation pendant la vie de la plante au stade vert.

Pour le jardinier amateur, la multiplication par œilletons est très facile à réaliser. En zone méditerranéenne, la plante passera l’hiver sans dommage mais plus au nord, il faudra soit planter les pieds dans un endroit abrité, soit protéger la base du pied avec des feuilles ou de la paille. La variété ‘Gros vert de Laon’ résiste assez bien et peut être cultivée en région parisienne.

 

Jean-Noël Plagès
Ingénieur horticole

 

BIBLIOGRAPHIE

J-Y Péron, 2006. Références Productions légumières. 2e édition. Lavoisier
Doré C, Varoquaux F, coordinateurs, 2006. Histoire et amélioration de cinquante plantes cultivées, Inra
Pitrat M et Foury C. 2003. Histoires de légumes, des origines à l’orée du XXIe siècle. Éditions Quae

CLAUDE FOURY (1931-2020) , spécialiste reconnu de l’artichaut, vient de nous quitter.

Après sa sortie de l’École nationale supérieure d’horticulture de Versailles (ENSH), Claude Foury a travaillé à Madagascar pour le développement agricole et, vers la fin de son séjour, à la sélection du caféier.
En 1963, il est revenu en France et a travaillé jusqu’en 1977 à la station d’amélioration des plantes maraîchères de l’Inra à Avignon-Montfavet. Les recherches sur l’artichaut avaient débuté par la sélection clonale chez cette plante à multiplication végétative.

Ces recherches ont abouti, par exemple, au clone ‘VP45’ dans le type Violet de Provence. Avec Pierre Pécaut, Claude Foury a lancé un programme visant à transformer le mode de multiplication et à obtenir des variétés de semis. Les travaux de génétique proprement dits, obtention de lignées dans différents types (forme et couleur du capitule, précocité), création d’hybrides grâce à une stérilité mâle, ont été conduits en parallèle avec des études de physiologie sur l’initiation florale visant à utiliser en pratique ce nouveau type variétal. De 1977 jusqu’à sa retraite,

Claude Foury était professeur à l’ENSH à la chaire de cultures légumières et grainières. Le programme sur les artichauts de semis a été poursuivi par Pierre Pécaut. Le matériel créé a été fourni à un semencier privé qui a mis au point la production de semences hybrides commerciales en utilisant les lignées Inra ainsi que des lignées qui avaient été créées dans un programme similaire à l’Université hébraïque de Jérusalem.

Claude Foury est l’auteur de nombreuses publications et de deux livres :
– Chaux C et Foury C. 1994. Productions légumières (3 tomes). Lavoisier Tec & Doc.
– Pitrat M. et Foury C. 2003. Histoires de légumes, des origines à l’orée du XXIe siècle. Éditions Quae.