Moulié fleurs, l’art et la manière

Jean-François Coffin

Le magasin est prestigieux. Idéalement situé à proximité de l’Assemblée nationale, dans le quartier des ministères à Paris, on perçoit d’emblée à qui l’on a affaire. Un immense camélia tige comme on n’en trouve nulle part ailleurs vous indique l’entrée. A l’intérieur, des brassées de fleurs d’hortensias, de pivoines et autres fleurs de luxe vous tendent les bras derrière une vitrine encadrée par une superbe clématite. Henri Moulié nous y accueille.

 

Henri Moulié sous un camélia dont il est fier, devant sa boutique place du Palais Bourbon à Paris
Henri Moulié sous un camélia dont il est fier, devant sa boutique place du Palais Bourbon à Paris – © J.-F. Coffin

 

« La structure a été créée en 1870. C’est un siècle plus tard, en 1978, que je l’ai reprise », explique Henri Moulié. D’apparence calme et enjouée, ce petit homme tranquille ne laisse pas transparaître le bouillonnement de son cerveau et l’activité qu’il développe alors qu’il est à la retraite depuis 2012. Âgé de 65 ans, il était hier au Japon pour y donner des cours privés afin de ne pas couper totalement avec la profession.

« C’est l’une des plus anciennes boutiques de fleurs de Paris, elle était initialement  bien plus modeste, mais avait connu ses heures de gloire après la dernière guerre ». Embauché comme apprenti en 1965 par le petit fils du créateur, Henri gravit les échelons aux cotés de sa future femme, d’abord jeune apprenti, puis ouvrier qualifié « jusqu’à ce jour de 1977 où le patron m’annonce qu’il va cesser son activité dans quinze jours en me proposant de lui succéder ». Henri accepte le challenge, empruntant à ses beaux-parents la somme de départ pour acheter le fond.

Une affaire de famille

Henri Moulié et son fils Julien
Henri Moulié et son fils Julien – © J.-F. Coffin

Il démarre avec trois personnes, puis l’équipe s’étoffe pour arriver aujourd’hui à 10. « J’ai des employés formidables et on trouve encore des jeunes qui en veulent. Mais les 35h ont changé beaucoup de choses ! »

Henri a deux fils qui ont rejoint l’entreprise : Julien l’ainé, entré en 1996 qui a repris la direction depuis 2012, et Thomas le cadet dont l’expertise passée en droit-finances a permis d’assurer la gestion depuis 2008. Son épouse, qui s’occupe désormais des plantes et décoration d’intérieur (à deux pas de là dans une seconde boutique), l’a toujours épaulé dans ce style de vie résolument tournée sur l’entreprise. Elle n’envisage seulement qu’aujourd’hui de décrocher à son tour d’ici l’été : « on s’est refilé mutuellement le virus » ajoute-t- il un brin amusé.

Milieu privilégié

Henri Moulié a des clients fidèles depuis 40 ans dont certains sont devenus des copains. Avec un magasin face à l’Assemblée nationale, il croise de nombreuses personnalités. « Tu me mets ces deux rosiers de côté », lui dit un député de ses amis n’hésitant pas à déserter les bancs de l’Assemblée pour préparer son week-end à la campagne. Mais Henri est aussi à l’aise avec les employés du bistrot du coin.

« Je reconnais avoir la chance de vivre dans un milieu privilégié, avec des rapports très égalitaires. »

Des fleurs sur 20 hectares

« J’ai eu l’idée d’utiliser les roses de jardins comme fleurs coupées, ce qui n’était pas une pratique courante dans les années 80 et en étonnait plus d’un ».

Puis, souhaitant maîtriser la qualité et l’ approvisionnement de ses végétaux, il rachète une pépinière à l’ abandon en Bretagne, y fait tailler et dégager l’ immense collection d’ hortensias, magnolias, camélias, rhododendrons, érables du Japon, présents sous les liserons et décide d’étendre les culture sur 5 Hectares en déplaçant, bouturant, puis introduisant de nombreuses autres espèces.

Les plantes sont majoritairement cultivées en pleine terre puis transitent en pots vers la région parisienne pour être acclimatées sous serre quelques semaines avant d’être disposées à la vente. Les feuillages et fleurs coupées arrivent directement par transporteur, fraîchement coupés de la veille, deux à trois fois par semaine.

Un métier exigeant

Détenteur d’un certificat d’études (« car il n’y avait pas d’autres formations à l’époque »), Henri se considère comme un artisan, un travailleur manuel dont le métier exige à la fois une large palette de compétences techniques mais aussi beaucoup d’improvisation et de créativité. « Rares sont les fleuristes capables de se déplacer du jour au lendemain, partout dans le monde pour réaliser un travail conséquent, sérieux et de qualité, sans un minimum de préparation », affirme-t-il en soulignant qu’il en a fait sa spécialité. Il ne s’agit pas seulement de maîtriser l’Anglais et de réunir une équipe solide, mais également de piloter une logistique complexe en composant avec les spécificités de chaque pays, qu’elles soient culturelles, économiques, climatiques et parfois même simplement topographiques.

Au service du luxe

Le métier d’Henri est avant tout l’art floral. La maison Moulié travaille pour une clientèle locale et internationale : industriels, employés, personnages publics, créateurs, habitants du quartier ou têtes couronnées. « Qu’ils viennent d’ici ou du Golfe Persique, du Japon, d’Europe, d’Amérique ou d’Afrique, peu importe : nous pouvons intervenir partout où cela est nécessaire, pourvu qu’on nous le demande ! ». Cela va du « simple » bouquet en magasin à des décorations somptueuses. Des Vaux de Cernay aux jardins de l’Alhambra, de l’Opéra Garnier à une réception éphémère dans le désert Qatari, d’un ancien Palais Vénitien à un hall d’exposition ultramoderne au Bahreïn ou à Tokyo : rien n’est impossible, chaque collaboration est l’occasion de partager un projet ambitieux mais réaliste, sur mesure et, surtout, de dépasser les clivages et restrictions du quotidien. »

La politique de la Maison est simple : « Nous ne finançons aucune publicité, notre réputation est notre meilleure promotion. On a bien un site Internet archaïque et quelques citations spontanées dans des médias avec qui nous collaborons mais, globalement, les clients savent où nous trouver, y compris par prescription ».

Depuis sa retraite, Henri Moulié accorde une place plus importante à la formation. Il a d’ailleurs fondé en collaboration une école d’art floral au Japon et participe régulièrement à des jurys et conférences professionnels en France comme à l’étranger (Europe, Asie, Moyen Orient.)

Un style de vie qui change

« Dans un contexte de crise durable, le budget moyen pour les besoins secondaires comme la décoration florale diminue », précise Henri en relativisant toutefois ses propos concernant l’industrie du luxe avec qui la maison collabore toujours. Lui qui a vu se succéder les générations de grandes familles, déplore la perte progressive des usages, là où l’on fleurissait avant la maison chaque semaine pour de somptueuses réceptions, bals et rallyes… « Les mœurs ont changé. On quitte la maison le week-end, on va à la chasse, on part en vacances. Ce n’est plus le même style de vie, la sociologie a changé, les familles se paupérisent et s’individualisent. »

Un optimiste qui cultive son jardin

Henri habite Paris mais passe ses week-ends en région parisienne, à cultiver son jardin. « J’aimerais parfois faire autre chose : aller plus souvent à la chasse et à la pêche, voyager ». Né à Auch, il est un passionné de rugby, sport emblématique de sa région d’origine. Il aime le jazz, les Rolling Stones, pratique la natation. « Il faut savoir se bouger, même quand on apprécie son confort. »

Il se dit en permanence optimiste. « On est toujours capable de rebondir, il ne faut jamais démissionner et mes garçons l’ont bien saisi », précise-t-il avec satisfaction.

Rappelons quand-même qu’Henri Moulié est censé être à la retraite !

 

Moulié Fleurs
8, place du Palais Bourbon
75007 PARIS

 

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