Mauvaises herbes et herbes folles : la santé au fond du jardin

Les mauvaises herbes, appelées joliment « herbes folles », sont des adventices, ces plantes sauvages considérées comme nuisibles qui poussent dans un endroit sans y être désirées. En France, plusieurs centaines d’espèces sont répertoriées, dont quelques dizaines dans nos jardins. Nombre d’entre elles recèlent des trésors de bienfaits, qu’ils soient nutritionnels, aromatiques, médicinaux ou plus simplement utilitaires. Partons à leur découverte.

Portulaca (pourpier) contribue, notamment, à la réduction des risques cardiovasculaires © M. Pitrat

La difficulté en matière de mauvaises herbes (autrement appelées « herbes folles »), c’est l’embarras du choix… Quel fil rouge retenir ? Toutes les sciences et disciplines ont leur intérêt, points forts, comme points faibles. botanique, phytochimie, pharmacognosie… entre régal végétal et vertus médicinales… c’est un dilemme cornélien.

Chiendent et orties : que savez-vous réellement d’eux ?

La famille des Poacées est bien représentée, notamment avec les chiendents, le gros chiendent ou pied-de-poule, Cynodon dactylon et le petit chiendent, Elytrigia repens (Agropyrum repens). En décoction, les rhizomes ont des propriétés traditionnellement diurétiques, favorisant l’élimination rénale de l’eau. Leur rhizome peut être séché et moulu, puis utilisé en bouillie, comme de la farine.
Les orties sont des plantes nitrophiles très communes, des ordinaires aux propriétés extraordinaires. Traditionnellement, les orties étaient hachées et incorporées à l’alimentation des volailles.

La grande ortie ou ortie dioïque, Urtica dioica, est une grande (50 cm à 1 mètre) plante vivace, l’ortie brûlante, Urtica urens, une annuelle plus petite (moins de 50 cm). Les deux sont urticantes, via des poils qui contiennent de l’histamine. Les orties sont pluripotentes, à la fois plantes médicinales, alimentaires et industrielles. Le purin d’orties a fait la une de l’actualité avant d’être autorisé comme « préparation naturelle peu préoccupante » à usage biostimulant pouvant avoir des effets insecticide, fongicide et acaricide. Le purin d’orties est une préparation, obtenue à partir de feuilles fraîches d’ortie (Urtica sp.) par macération et fermentation.

La famille des Poacées est bien représentée, notamment avec les chiendents, le gros chiendent ou pied-de-poule, Cynodon dactylon et le petit chiendent, Elytrigia repens (Agropyrum repens) © M. Pitrat
Les parties aériennes comme souterraines de l’ortie sont inscrites à la pharmacopée et donc médicinales © PxHere CC BY 0

Les orties sont comestibles comme des épinards, en soupe. Elles sont riches en protéines (16 à 40 % de la matière sèche) et en matières minérales (16 % dont fer, calcium et silicium). Elles sont sources de caroténoïdes et polyphénols aux propriétés antioxydantes. Le besoin en vitamine A est satisfait avec 100 grammes d’ortie (3,5 mg de β-carotène). Les feuilles et jeunes pousses fraîches, congelées ou séchées puis réduites en poudre peuvent être incorporées dans l’alimentation: purées, wok, sauces, jus ou smoothies… Les parties aériennes et souterraines sont inscrites à la pharmacopée et donc médicinales.

L’Agence européenne du médicament reconnaît l’usage traditionnel des orties pour soulager les troubles urinaires et les douleurs articulaires modérées, ainsi que les états cutanés séborrhéiques, à raison de 1,2 à 2,3 g de poudre par jour. En décoction, les racines sont utilisées traditionnellement pour soulager les symptômes de l’hypertrophie bénigne de la prostate, à raison de 4,5 à 6 g/j. Les nombreuses études scientifiques publiées montrent un large spectre d’activités biologiques avec des propriétés pharmacologiques bien au-delà des propriétés anti-oxydantes, diurétiques et anti-inflammatoires… soit un potentiel thérapeutique, notamment vis-à-vis de pathologies majeures. En clair, maintenant, nous n’avons plus aucune raison d’utiliser l’expression « jeter aux orties » !

Pourpier et chénopodes, moins connus mais tout aussi utiles

Moins connu, le pourpier ou porcelane (Portulaca oleracea) est jeté au compost par maints jardiniers. Plante du régime crétois par excellence, le pourpier est riche en acide α-linolénique, acide gras essentiel de la série Oméga 3 (25 à 40 % des lipides). Les feuilles de pourpier sont également riches en vitamine C (21 mg/100 g) et sources de magnésium et de β-carotène. Le pourpier est savoureux (croquant et légèrement acidulé) en salade, à la crème ou avec du fromage blanc, mélangé avec du concombre. Il peut être conservé comme les légumes lacto-fermentés, en pickles (à l’aigre-doux) ou encore en saumure. Le pourpier apporte des composés phénoliques dérivés de l’acide chlorogénique, aux propriétés anti-oxydantes.

Ces effets bénéfiques sur la santé en cas de troubles métaboliques contribuent à la réduction des risques cardio-vasculaires et lui confèrent un caractère nutraceutique. Considéré comme la pire des mauvaises herbes, cousin du chénopode bon-Henri (Chenopodium bonus-henricus), le chénopode blanc ou ansérine blanche (Chenopodium album), plus connu sous les dénominations vernaculaires d’herbe grasse ou de drageline, est l’épinard sauvage appelé « brède Madame » à la Réunion. Ses feuilles et ses inflorescences sont consommées cuites comme des épinards. Elles sont riches en protéines, calcium, vitamines A et C.

 

Dans les salades, mais pas seulement…

Voici le pissenlit, disons plutôt les pissenlits, tel un singulier bien pluriel. D’aucuns savent qu’il s’agit d’une espèce collective (Taraxacum fasciatum), un agrégat de nombreuses espèces et sous-espèces du genre Taraxacum, en raison d’un exceptionnel polymorphisme de celle surnommée dent de lion. Le pissenlit est diurétique. Toutes les parties (racine, feuille et partie aérienne) sont alimentaires et médicinales. Les feuilles sont riches en β-carotène, en vitamine C et polyphénols (respectivement 5,8, 40 et 385 mg/100 g). Le pissenlit fait partie des plantes dites « amères », traditionnellement utilisées en cas de perte d’appétit. La racine, riche en inuline et sels de potassium, est, elle, utilisée pour favoriser l’élimination rénale de l’eau et la digestion (cholagogue et cholérétique). La rosace foliaire se mange en salade avec du lard. Les boutons floraux se conservent dans du vinaigre ou du sel et se consomment comme des câpres. Les pétales colorent les salades. Les capitules servent à préparer le vin de pissenlit.

L'armoise commune (Artemesia vulgaris) est aromatique et ses jeunes pousses peuvent être utilisées dans des salades. Médicinale, elle est réputée tonique et apéritive. En phytothérapie, elle stimule la sécrétion des sucs gastriques en cas de perte d'appétit et s’utilise dans le traitement de la dysménorrhée (en infusion elle régularise le cycle menstruel) © Semnoz CC by SA 3.0
Il faut bien savoir reconnaître les plantes car, tous les ans, des intoxications sont signalées, par exemple à cause d’une confusion, mortelle, entre l’ail des ours et le colchique. Ici, Colchicum antilibanoticum © Gideon Pisanty CC by SA3.0

L’armoise commune (Artemesia vulgaris) est aromatique et ses jeunes pousses peuvent être utilisées dans des salades. Médicinale, elle est réputée tonique et apéritive. En phytothérapie, elle stimule la sécrétion des sucs gastriques en cas de perte d’appétit et s’utilise dans le traitement de la dysménorrhée (en infusion elle régularise le cycle menstruel). Attention, à forte dose, son huile essentielle peut être toxique. En médecine chinoise elle est utilisée en moxibustion.

Les moxas, bâtonnets d’armoise séchée, sont brûlés à proximité des points des méridiens. L’ail des ours, l’alliaire et le sénevé (moutarde des champs) sont condimentaires. La rosette de certaines Brassicacées (Ravenelle, barbarée, bourse à Pasteur, cardamine…) peut relever une salade avec une petite touche d’amertume légèrement piquante. Flaveur aussi avec l’achillée millefeuille, aromatique à l’odeur parfumée et à la saveur légèrement amère, ou encore la matricaire, la tanaisie mais aussi la carotte sauvage, le fenouil amer, l’oxalis petite oseille…

Les fleurs sont colorées par moult flavonoïdes, anthocyanes et polyphénols aux propriétés anti-oxydantes. Les premières en jaune, les secondes tout en nuances du rouge au bleu. Leur utilisation, pour agrémenter une salade, est du plus bel effet. On mange d’abord avec les yeux… Les exemples sont légion: pensée sauvage, coquelicot, pâquerette, chicorée, mauve, rose trémière, souci des champs, linaire cymbalaire… À la pharmacie du bon Dieu, les Simples, médicinales, sont les mal nommées des mauvaises herbes. Citons encore la prêle des champs, riche en matières minérales spécialement en silicium, et la chélidoine (l’herbe aux verrues) et son latex.

 

Quelques réserves toutefois

Ces plantes sont bénéfiques certes, mais il existe une contrepartie aussi, avec parfois une toxicité chez les plantes à alcaloïdes comme la morelle noire, les Borraginacées à alcaloïdes pyrrolizidiniques hépatotoxiques telles que la bourrache, la consoude ou les séneçons (Astéracée)… Autrement dit, vouloir profiter de ces herbes folles au fond du jardin, à la lisière d’un champ, etc. est louable mais il y a un « mais »… il faut bien savoir reconnaître les plantes car, tous les ans, des intoxications sont signalées, par exemple à cause d’une confusion, mortelle, entre l’ail des ours et le colchique (voir notre article dans Jardins de France n° 658). Ce n’est plus tout à fait la chanson « colchiques dans les prés fleurissent, fleurissent… », donc prudence.

 

Loïc Bureau
Docteur en pharmacie, Professeur associé, Faculté des sciences biologiques et pharmaceutiques, université Rennes 1, fondateur et directeur de l’Institut de formation des acteurs de santé (Ifas), Le Mans