Marché des végétaux d’intérieur, la part belle aux plantes fleuries

Noëlle Dorion

Elles sont originaires du monde entier. Les plantes utilisées pour la décoration de nos habitations appartiennent à deux catégories. Les « plantes vertes » et les « plantes fleuries ». Les premières, le plus souvent originaires des zones intertropicales, s’adaptent tant bien que mal au climat de nos habitations et contribuent à une décoration pérenne. Les secondes, d’origine diverses sont, elles, en général inadaptées à ce climat si particulier et fournissent une décoration certes spectaculaire mais éphémère. Leur production est pour beaucoup de plantes très saisonnière. Les plantes commercialisées dans ces deux catégories ont peu varié au fil du temps notons cependant pour les plantes vertes la percée de Zamioculcas et pour les plantes fleuries celle de Phalaenopsis. Qu’on s’intéresse aux marchés de gros ou aux achats des consommateurs, le poids des plantes vertes est de 6 à 10 fois inférieur à celui des plantes fleuries dont les quantités vendues restent spectaculaires avec par exemple plus de 96 millions de Phalaenopsis vendus chaque année sur les marchés de gros hollandais.

Phalaenopsis - © OHFLes végétaux dont nous allons parler sont vivants et entiers, avec leurs racines, leurs feuilles, leurs tiges et, le cas échéant, leurs fleurs. Les fleurs coupées, séchées ou artificielles qui sont pourtant une part importante de notre décoration d’intérieur, ne sont pas prises en compte.

 

Vous avez dit « plantes vertes » …

Alors que la liste des légumes cultivés s’est considérablement allongée grâce aux expéditions maritimes du XVe et XVIe siècle, celle des plantes ornementales doit son immense diversité aux expéditions scientifiques du XVIIIe et du XIXe siècle, indissociables du développement de la botanique. Les nombreuses espèces exotiques introduites et étudiées dans les serres et jardin d’hiver construits à cette occasion, ont fourni l’essentiel des végétaux d’ornement de nos intérieurs, appelés communément « plantes vertes ».

Cette appellation qui ressemble à une évidence est utilisée pour signifier que ces plantes ne fleurissent pas ou exceptionnellement dans nos habitations. S’agissant d’espèces provenant en grande majorité des zones inter tropicales du globe où leur croissance ne dépend pas d’alternances de température très marquées, ces plantes paraissent bien adaptées à la température quasiment constante de nos appartements actuels. Pourtant, l’intensité lumineuse et l’humidité atmosphérique limitantes, l’alternance jour/nuit, différente des zones d’origine, font que les conditions pour l’optimisation de la croissance et la floraison ne sont pas souvent réunies. Et ceci d’autant plus que la période de juvénilité, même en conditions naturelles, peut être longue. Donc, ces plantes restent végétatives, c’est à dire vertes ! On peut même dire qu’elles végètent puisque certaines d’entre elles, qui occupent des volumes moyens dans nos demeures sont de véritables arbres dans les zones d’implantation naturelles (Ficus,…). Ces « plantes vertes » survivent, s’adaptent à nos appartements, pourvu qu’on en prenne soin, et constituent la base d’une décoration pérenne.

 

… Mais aussi plantes fleuries !

La situation des plantes fleuries dans nos appartements est un peu différente. N’importe quelle plante, exotique ou non (Broméliacées ou Azalées par exemple) peut être vendue en fleurs quand le producteur a la maîtrise technique des conditions de floraison (alternances de température, rythme jour/nuit, traitements chimiques adaptés,..). Incapables de refleurir dans les appartements, voire même, de s’y développer à l’exception de quelques Aracées, Gesnériacées et Orchidées, elles sont alors la base d’une décoration plus ou moins éphémère selon les espèces. Les plantes issues des zones inter tropicales (broméliacées, marantacées...) peuvent redevenir « plantes vertes » pour une décoration plus pérennes.

 


Le puissant marché des plantes en pots

C’est seulement au début du XXe siècle, comme l’indique Daniel Lejeune (ce dossier), « que la majorité sociale » a pu « s’adonner » à la culture des plantes d'appartement. Un marché puissant s’est depuis développé, celui des plantes en pots avec deux axes, de poids commercial différent, pour les raisons d’usage et de technicité déjà évoquées : « plantes vertes en pots » d’une part et « plantes fleuries en pots » d’autre part. Depuis le début du XXIe siècle,si on se réfère aux statistiques des marchés de gros des Pays-Bas (marché au cadran), la liste des genres de plantes d’intérieur commercialisées a peu évolué. On en comptait 152 en 1999, 178 en 2003 et 166 en 2010. Cependant, l’Aspidistra plante pionnière de nos appartements, mentionnée par Daniel Lejeune, dans ce dossier, ne figure plus dans cette liste depuis 2003.

 

La grande famille des  plantes vertes

Sur la totalité des plantes commercialisées, on peut faire une liste de 45 genres (tableau 1) qui représentent les plus grosses ventes hebdomadaires sur les marchés au cadran de Hollande. Cette liste ne varie guère depuis 1999 si on excepte l’apparition du Zamioculcas en 2005 et la disparition du Pogonatherum, bambou miniature, dont la quantité diminue régulièrement (encore - 45 % en 2009). On observe que ces 45 genres appartiennent à quelques grandes familles ou groupes dont les caractéristiques écologiques s’accommodent du climat des appartements. Ainsi, les Aracées de cette liste (Alocasia, Epipremnum, Dieffenbachia, Monstera, Syngonium), plantes et lianes de sous bois supportent la lumière tamisée des appartements, de même pour les Palmiers (Chamaedorea, Chrysalidocarpus) au stade jeune. C’est aussi cette caractéristique qui permet au lierre (Hedera), exceptionnellement originaire des climats tempérés, de résister à l’intérieur. De même, c’est leur capacité d’accumuler des réserves dans les tiges, les feuilles ou les racines qui permet aux Liliacées (Asparagus, Chlorophytum, Sansevieria), Agavacées (Cordyline, Dracaena, Nolina), Crassulacées (Crassula, Echeveria, Sedum) et Araliacées tropicales (Dizygotheca, Fatsia, Schefflera), de supporter le stress des appartements.

Dracaena Sanderiana Lucky Bambou - © N. DorionSoleirolia - © N. DorionAlocasia issu de CIV - © N. Dorion

Tableau 1 : Genres de « plantes vertes » figurant dans le classement hebdomadaire des 33 genres les plus commercialisés sur les marchés de gros hollandais en 2003 (hors Bonsaïs ».

Adiantum Chrysalidocarpus Echeveria Monstera Sansevieria
Alocasia Codiaeum Epipremnum Musa Schefflera
Araucaria Cordyline Euphorbia Nephrolepis Sedum
Asparagus Crassula Fatsia Nolina  Selaginella
Asplenium Cupressus Ficus Pellaea Senecio
Calathea Cyperus Fittonia Peperomia Soleirolia
Callisia Dieffenbachia Hedera Pilea Syngonium
Chamaedorea Dizygotheca Hypoestes Pteris Tradescantia
Chlorophytum Dracaena Maranta Pogonatherum Yucca

 

Les quantités, de chaque genre, commercialisées annuellement sont variables, traduisant notamment le maintien, l’apparition ou la disparition d’une mode. Les deux genres qui génèrent annuellement le plus gros chiffre d’affaires, depuis 10 ans, sont Dracaena et Ficus, environ 40 et 30 millions d’euros respectivement pour des prix de gros, unitaires, moyens, autour de 1,80 € (tableau 2).

 

Tableau 2 : Evolution du « Top 10 » (chiffre entre parenthèse) des plantes vertes (total annuel et prix à l’unité) commercialisées sur les marchés de gros hollandais

Genre Rang et Valeurs en millions € Prix moyen à l’unité (€)
  2003 2007 2009 2003 2007 2009
Dracaena
Ficus
Hedera
Calathea
Zamioculcas
Yucca
Chrysalidocarpus
Nolina
Howea
Schefflera
Cycas
Cactus [1]
Cupressus
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
42,4
35,5
24,7
14,1
13,7
12,0
11,9
9,6
8,5
7,6
1
2
3
7
4
6
5
8
9

10
40,2
36,4
20,1
11,3
17,0
12,1
16,0
11,2
8,3

8,1
1
2
3
7
5
6
4
8



9
10
35,6
32,3
20,2
9,5
14,8
11,0
15,6
8,7



7,9
7,5
1,91
1,70
0,18
2,05
2,80
3,92
2,62
4,15
12,05
1,50
1,72
1,87
0,66
1,95
2,09
3,88
3,02
3,86
14,48

4,64
1,66
2,06
0,62
2,06
1,98
3,19
3,69
3,33



0,74
1,02
Tous ensemble 180,4 181,1 148,0      

[1] catégorie ajoutée en 2009, regroupant notamment les genres : Crassula, Echeveria, Sedum, Sansevieria, Euphorbia milii, Opuntia


Des grandes tendances
mais un marché français spécifique

A partir de 2005, les quantités de Zamioculcas zamiifolia augmentent considérablement. Elles doublent presque entre 2003 et 2007 avec plus de 8 millions de plantes vendues sur les marchés de gros hollandais. Certains genres reculent tel Calathea qui est passé du 4e rang du « Top 10 » en 2003 au 7e rang en 2007 sans que son prix unitaire moyen n’ait vraiment changé (tableau 2) ou encore Hedera dont les quantités vendues sont passées de 134 millions en 2003 à 30 millions en 2006, presque divisées par 5. Cependant ce genre, reste au 3e rang du « Top ten » annuel, ce qui révèle une augmentation considérable du prix à l’unité (x 3,5 entre 2003 et 2007) qui peut être attribuée à la raréfaction du produit et/ou à un phénomène d’innovation (produit ou variété). Le cas des deux palmiers est aussi intéressant. Ainsi le Chrysalidocarpus lutescens passe du 7e au 4e rang entre 2003 et 2009 alors que l’Howea disparaît du « Top 10 » (tableau 2). On peut faire l’hypothèse qu’en période de crise, le palmier le moins coûteux est privilégié. En effet, l’Howea forsteriana (Kentia) est non seulement le plus cher des palmiers mais aussi la plus chère des plantes vertes (environ 15 €) sur les marché de gros car la multiplication par semis reste difficile.

Y a t’il une cohérence entre l’offre sur les marchés de gros hollandais et les achats de français en matière de plantes vertes ? Pas vraiment ! Là encore les chiffres peuvent nous livrer quelques secrets. Les Ficus notamment benjamina et elastica arrivent largement premiers, représentant 18 à 21 % des plantes vertes achetées annuellement en France. Yuccas, lierres, crotons et scheffleras figurent en bonne place. Il s’agit pour Codiaeum (croton) et Schefflera d’une originalité française puisque le premier ne figure pas dans le « Top 10 » des ventes sur les marchés de gros hollandais et le second n’y figure plus depuis 2003. De même, les Dracaena (1er du Top 10), ne figurent pas dans les 6 plantes les plus achetées en France, ce qui signifie que ce genre représente actuellement moins de 0,1 % des plantes achetées par les consommateurs français.

 

Begonia type semperflorens - © N. DorionPlantes fleuries, des variations saisonnières

Contrairement aux plantes vertes, la liste des plantes fleuries commercialisées sur les marchés de gros au Pays-Bas varie d’une saison à l’autre. Certaines plantes fleuries sont présentes, chaque semaine de l’année, comme les Saintpaulia, les rosiers miniatures, le Kalanchoe blossfeldiana et le Phalaenopsis. Les quantités vendues sont, respectivement, pour ces quatre genres, supérieures à 500 000, 400 000, plus de 1 million et plus de 2 millions par semaine. La floraison de ces trois genres est facilement maîtrisée, soit par l’intensité lumineuse, soit par l’alternance jour/nuit pour le Kalanchoe. Au contraire, certains genres sont strictement saisonniers comme les Begonia (type semperflorens) avec un pic de production en juillet/août (environ 400 000 par semaine), le Cyclamen (septembre-décembre, 300 à 500 000 par semaine), Chrysanthemum (août-octobre, jusqu’à 2 millions par semaine), Euphorbia pulcherrima (poinsettia, novembre/décembre, quelque fois 3 millions par semaine), Primula (primevère, janvier-mars, environ 1,6 million par semaine). Cette saisonnalité s’explique par une difficulté à maîtriser la période de floraison en dehors des périodes naturelles notamment pour la primevère, mais aussi par des traditions culturelles (poinsettia à Noël,…). Parmi les plantes en pots fleuries à très forte saisonnalité, il faut citer les plantes bulbeuses. Ces plantes dont on connaît bien la biologie peuvent être forcées. Leur floraison peut ainsi être obtenue avant la période naturelle (printanière) en plein hiver. C’est le cas des jacinthes, narcisses et autres tulipes. Il se vend par exemple plus de 2 millions de potées de jacinthes par semaine dans les mois de décembre et janvier.

Euphorbia pulcherrima - © N. DorionPrimula obconica - © N. DorionHyacinthus - © N. DorionNarcissus - © N. Dorion

Actuellement, dans le « Top 10 » des plantes en pots fleuries commercialisées sur les marchés au cadran hollandais, figurent : Phalaenopsis, Kalanchoe, Hyacinthus, Rosa, Chrysanthemum, Cyclamen, Spathiphyllum, Anthurium, Guzmania, Hydrangea (tableau 3).

 

Tableau 3 : « Top 10 » 2009 des plantes fleuries commercialisées en pots sur les marchés de gros des Pays Bas

  Prix
en millions d’€
Quantité
en millions de pots
Phalaenopsis 331,5 96,4
Anthurium 49,5 16,3
Kalanchoe 49,1 79,2
Rosa 41,2 41,9
Chrysanthemum 31,5 38,9
Hydrangea 27,0 10,5
Hyacinthus 23,9 42,3
Spatiphyllum 22,7 21,8
Cyclamen 22,5 27,6
Guzmania 20,1 13,4
Tous ensemble 619 388,3

Kalanchoe blossfeldiana - © N. DorionAnthurium - © N. DorionGuzmania, broméliacées - © N. Dorion


Phalaenopsis - © N. Dorion

La révolution des orchidées

La seule véritable révolution sur ce marché depuis le début du XXe siècle est le développement spectaculaire des Phalaenopsis (orchidées) et Guzmania (broméliacées). Plusieurs raisons peuvent être mises en avant. D’une part, la maîtrise de la multiplication par culture in vitro qui s’est faite relativement récemment par rapport à d’autres plantes, la possibilité de production en masse dans des pays asiatiques à faible coût de main d’œuvre, une meilleure maîtrise de la floraison (températures ou traitements chimiques), la longévité des inflorescences et la simplification des processus de sélection. Ainsi par exemple, il se vendait annuellement, 7 millions de Phalaeopsis en 1999, 17 millions en 2003, 45 millions en 2007 et 96 millions en 2009. Pendant la même période, le prix à l’unité est passé de 4,78 € à 3,44 €. De même, il se vendait seulement 8 millions de Guzmania en 2003 mais plus de 13 millions en 2009.

Y a t’il une cohérence entre l’offre sur les marchés au cadran, hollandais et les achats des Français en matière de plantes fleuries ? Oui et non !  Si on excepte les chrysanthèmes qui représentent plus de 25 à 30 % des achats en quantité, mais dont la destination est en majorité le cimetière, les français achètent actuellement des orchidées (18 %), des jacinthes (13 %), des cyclamens (8 %) , mais aussi des azalées (6,1 %) qui elles ne figurent pas au « Top 10 » des ventes en gros en Hollande. Inversement les Spathiphyllum ne représentent que 0,1 % des achats des français. Le « boom » des orchidées s’est aussi fait sentir sur les achats des Français. Jusqu’en 2003, ces plantes ne figuraient pas dans les statistiques françaises. En 2004, elles représentaient déjà 4 % des pots achetées, 7,3 % en 2007 et 18% en 2011.Guzmania issue de CIV - © N. DorionPhalaenopsis en CIV - © Agnès Grapin

Petites comparaisons

Les tableaux 2 et 3 nous indiquent que la valeur des ventes des plantes fleuries du « Top 10 » des marchés au cadran est 4 fois supérieure à celle des 10 meilleures plantes vertes. Le marché des plantes fleuries génère donc plus de revenu que celui des plantes vertes pour des prix moyens à l’unité finalement assez semblables : 1,34 € pour les plantes vertes contre 1,59 € pour les plantes fleuries.

Si on considère maintenant, les achats des français dans ces deux catégories de produits, les résultats sont un peu différents. Au passage notons que le prix moyen des plantes d’intérieurs achetées par les Français est d’environ 9,50 €. Il est donc très approximativement 7 fois plus élevé que sur les marchés de gros hollandais.

En France, on constate que les achats de plantes en pots fleuries sont environ 10 fois plus importants, en quantité comme en valeur, que les achats de plantes vertes. Par exemple, ils étaient de 814 millions d’euros pour 93,6 millions de plantes fleuries contre 86 millions d’euros pour 7,8 millions de plantes vertes en 2008. Même si on enlève, les 30 % de plantes fleuries destinées au cimetière, l’écart reste considérable et peut s’expliquer en partie, par la pérennité des plantes vertes contrairement aux plantes fleuries. Après avoir stagné, ce marché des plantes fleuries semble chuter (550 millions d’euros) alors que les achats de plantes vertes augmentent régulièrement (121 millions d’euros) en 2011. Peut-être faut-il voir là un effet de la crise économique.

 

Sources bibliographiques

DORION N (2009) Eléments d’histoire et d’évolution technique de l'horticulture : « Du jardinage à l’industrie » 46p. (www.agrocampus-ouest.fr)

FranceAgriMer, Végétaux d’intérieur, les achats des français en 2003, en 2008, en 2011

Jardiniers célèbres (1997) Connaissances et mémoires européennes SNHF Ed 71p.

KERGUELEN M et AYMONIN GG (1992) Classification des plantes (histoire de la botanique et de l’horticulture). Le Bon jardinier 153e édition. La Maison Rustique. Tome 1, 117-122

Vakblad voor de Bloemisterij, n°22a 2000, n° 21a 2004, n°21a 2008, n°23a 2010