L’imaginaire des grottes dans les jardins européens

Smaël Boudia

L'imaginaire des grottes dans les jardins européens

Depuis l’Antiquité, un nombre très important de grottes artificielles furent créées pour orner les jardins dans toute l’Europe. Monique Mosser et Hervé Brunon ont parcouru le continent pour découvrir ces mondes en réduction. De leur périple est né un ouvrage, L’imaginaire des grottes dans les jardins européens. Dans celui-ci, il est question de poser un regard renouvelé sur les jardins et ainsi de faire découvrir – ou redécouvrir – ces œuvres encore trop méconnues.

L’histoire des grottes de jardin a été abordé maintes fois, de Jacques Gaffarel, prêtre et docteur en théologie, qui fit imprimer une table des matières de sept pages en 1684, annonçant un ouvrage sur les grottes de jardin qui ne sera jamais publié, en passant par une masse considérable de travaux plus ou moins dispersés. Mais rares sont les ouvrages qui proposent à l’heure actuelle une synthèse d’une telle dimension.

Une histoire des représentations

À l’origine de ce projet réside une simple question des auteurs : « Pourquoi ces structures complexes, la plupart du temps fort coûteuses à mettre en œuvre, nécessitant un entretien continuel et ne servant pratiquement à rien, furent-elles créées en si grand nombre et avec une telle diversité ? »

Interrogation liminaire ayant pour but d’explorer la fascination (et donc les représentations) à l’origine de l’inventivité formelle et technique des grottes de jardin et ainsi dégager en quoi ces créations peuvent relever aussi bien des aspirations collectives d’une époque que des obsessions singulières de personnalités hors-normes.

Gravure tirée de l’ouvrage de Gabriel Thouin « Plans raisonnés de toutes les espèces de jardins » représentant différents « ornements » de jardin dont une grotte surmontée d’un kiosque.
Gravure tirée de l’ouvrage de Gabriel Thouin « Plans raisonnés de toutes les espèces de jardins » représentant différents « ornements » de jardin dont une grotte surmontée d’un kiosque.

La grotte : un lieu référentiel

C’est dans la forme particulière que prennent ces investigations que réside l’originalité et le point fort de l’ouvrage car il s’agit avant tout d’une enquête sur les formes de créativité. La grotte cristallise certaines valeurs, elle incarne dans une forme sensible l’imaginaire d’un lieu, d’une époque. Elle est chargée d’un fort niveau symbolique, possède un caractère figuratif et référentiel dont la fonction est de constituer « des lieux qui représentent d’autres lieux ».

La grotte est un théâtre où l’imaginaire prend forme, imaginaire retracé par les auteurs pour former ce que ceux-ci nomment une « poétique de la grotte », et cela afin de mieux saisir le sens ainsi que le contexte de la plupart des réalisations.

Naissance de la grotte

Le substantif « grotte » a été empruntée à l’italien grotta signifiant « escarpement », puis « cavité naturelle », issu du latin crypta « galerie souterraine » ou « caveau » qui provient lui-même du grec kruptê « chose recouverte, cachée ».

Dans l’Antiquité, les grottes naturelles étaient perçues comme l’image de demeures divines. C’est ainsi que le suggère par exemple l’Odyssée d’Homère, à partir du Ve siècle avant notre ère. Ces lieux seront spécifiquement aménagés pour la célébration de cultes. On voit apparaitre en Égypte, au IIIe siècle avant J.C., des grottes artificielles avec, entre autres, le Paneion d’Alexandrie, une éminence rocheuse artificielle qui abritait une grotte consacrée au dieu Pan. Ces architectures souterraines se sont ensuite diffusées dans les palais royaux de la Méditerranée orientale avant d’être introduites à Rome vers le milieu du 1er siècle avant notre ère. La grotte s’associe alors pleinement au jardin, tout en conservant sa dimension religieuse. Ces grottes artificielles romaines allèrent de réalisations impériales, comme l’ensemble de Sperlonga au nord de Naples, jusqu’à des réalisations plus modestes : de petites niches ornés la plupart du temps de mosaïques, coquillages et pierres ponces.

Gravure représentant la grotte de Cobenzel en Autriche tirée de l’ouvrage de Gabriel Thouin « Description des principaux parcs et jardins de l’Europe »
Gravure représentant la grotte de Cobenzel en Autriche tirée de l’ouvrage de Gabriel Thouin « Description des principaux parcs et jardins de l’Europe »

Renaissance de la grotte

Avec l’effondrement de l’Empire romain, la grotte artificielle semble disparaitre en Occident. C’est à la faveur du mouvement humaniste de valorisation de la culture antique que la grotte artificielle fait sa réapparition, notamment en Italie. La villa Giulia au Vatican en est un éclatant témoignage. Le nymphée, situé au sein de la résidence du pape Jules III, conçu par l’architecte Bartolomeo Ammannati en 1551, faisait l’admiration des contemporains grâce à la richesse des marbres et des jeux d’eau. Par la suite, elle se répand dans toute l’Europe, et connait de très diverses configurations spatiales. Ainsi, en France avec la grotte des Pins à Fontainebleau née d’une commande de François 1er ou encore le « Palais de la Grotte » à Meudon par l’italien Primatice.

Durant le XVIIe et le XVIIIe siècle, les jardins des pays européens tendent à suivre des principes relativement communs : symétrie plus ou moins forte, axialité et mise en valeur des perspectives, etc. Il n’en reste pas moins que la spécificité de chaque site, les démarches spécifiques des concepteurs conduisent à une immense diversité.

Puissance émotionnelle

Gravure extraite de l'ouvrage de William Robinson « Parks, promenades and gardens of Paris »
Gravure extraite de l’ouvrage de William Robinson « Parks, promenades and gardens of Paris »

Les grottes ne font pas exception à la règle. Elles peuvent être englobées dans l’architecture résidentielle, être dissimulées à l’écart ou mises en exergue de manière spectaculaire comme à Tanlay où l’architecte Pierre Le Muet édifie une grotte en forme d’arc de triomphe avec deux hémicycles érigés au bout d’un canal de plus de cinq cent mètres de longueur.

Au jardin régulier vont s’opposer à partir de la fin du XVIIe des démarches visant à se rapprocher des formes de la nature. Dans ce contexte, les grottes contribuent à reproduire la puissance émotionnelle de la nature sauvage. L’allemand Cay Lorenz Hirschfeld déclare dans Théorie de l’art des jardins :

« Une grotte artificielle doit d’abord avoir une situation telle que celle que nous sommes accoutumés à lui voir dans la nature, et être adossée à une montagne ou à un roc ».

Le projet du peintre Hubert Robert pour le nouveau bosquet des Bains d’Apollon à Versailles – réalisé en 1781 – semble répondre à ce vœu : il s’agit d’un immense rocher, creusé d’une salle aux colonnes avec, en son sein, une sculpture – La toilette d’Apollon – et animé de cascades.

Loin d’avoir disparu

Au XIXe siècle, de nombreux ensembles particulièrement spectaculaires témoignent d’une continuelle inventivité et cela en accord avec la sensibilité romantique. L’intérêt porté aux grottes de jardin se rattache aux mouvements artistiques suscités par la critique de l’urbanisation et du progrès technique.

Après la première guerre mondiale, apparait le jardin moderniste avec ses volumes géométriques épurés et l’introduction d’aménagement fonctionnel. La grotte y a toujours sa place comme en témoigne le projet conçu en 1932 à Porto par l’architecte français Jacques Greber : un mur de soutènement abrite une salle de fraicheur éclairée par des ouvertures flanquées de piliers, le thème de la grotte y est réduit à sa quintessence architectonique.

De nos jours, de nombreuses expérimentations singulières prouvent que les grottes sont loin d’avoir disparu : la grotte des jardins de Kerdalo édifiée en 1985 avec les matériaux d’un ancien lavoir par Peter Wolonsky, The Grotto – au sein des Jardins royaux de Herrenhäuse – par la plasticienne Nikki de Saint-Phalle, et beaucoup d’autres.

Programme symbolique

Au sortir de cette brève immersion dans l’histoire des grottes, il apparait difficile de dresser un tableau exhaustif de ces « étranges monuments ».

Il aurait fallu évoquer, à la Renaissance, les grottes à surprise des jardins d’Hesdin de Mahaut d’Artois ou de l’Italie, racontés par Montaigne, les grottes décorées de céramiques par Bernard Palissy ou les fabriques maçonniques pour les parcs du siècle des Lumières ainsi que les grottes fantastiques en ciment armé avec cascade à grand effet, dont le prototype, réalisé par le rocailleur Combaz, peut être identifié aux Buttes-Chaumont inaugurées en 1867.

Il n’en reste pas moins que, de cette traversée, ressort l’idée que chaque réalisation prise en elle-même fait partie intégrante du programme symbolique des réalisations architecturales ou paysagères.

 

L’imaginaire des grottes dans les jardins européens
Par Hervé Brunon et Monique Mosser
Éditions Hazan

 

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