Les végétaux et la température, un lien vital

Pierre Lemattre

La température et la lumière font partie des facteurs environnementaux dont dépendent toutes les phases du développement des végétaux. Leur influence sur la croissance des plantes a fait l’objet de très nombreuses études. Depuis un siècle, ces deux paramètres sont contrôlés avec aisance en milieu artificiel…

Ebauche d'inflorescence dormante, telle que l'on peut l'observer par dissection d'un bourgeon d'hortensia en hiver. - © Pierre LemattreLes hivers rigoureux de la fin du XIXe siècle ont marqué les limites de l’introduction, parfois désordonnée, des végétaux provenant de toutes les parties du monde. Les premières observations sur les grands froids, publiées dans la Revue Horticole (rassemblées par D. Lejeune en 1986), montrent la difficulté de leur interprétation. Certains auteurs ne dressent qu’une liste des dégâts, d’autres tentent timidement d’établir une comparaison entre des années qui ne se ressemblent pas, ou encore essaient de replacer les conditions hivernales dans un contexte climatique plus général.
Ainsi, M. Lévesque, de la Société d’Horticulture de Cherbourg, conclut sur les trois hivers particulièrement rigoureux (1870/71, 1879/80 et 1890/91) : « Il résulte que le mot acclimatation ne devrait pas faire partie du dictionnaire horticole. Nous n’acclimatons rien du tout. Notre société a introduit, depuis cinquante ans, des quantités considérables de plantes exotiques qui ont transformé l’aspect de nos jardins, mais qui disparaissent, quel que soit leur âge, aussitôt qu’elles rencontrent une température susceptible de désorganiser leurs tissus ».
Prenons exemple de deux villes : Paris et Pékin étant sur la même latitude, les végétaux qui résistent en hiver à Pékin devraient aussi « tenir » à Paris. Et pourtant, ce raisonnement a conduit à plus d’une désillusion. La résistance au froid d’un végétal dépend de son état physiologique au moment où le froid survient, un état qui dépend fortement des facteurs de l’environnement. Quelques observations permettent d’apporter un début de réponse...
 

S’adapter au climat

Comparons les moyennes des températures et des pluviométries mensuelles de Pékin et de Paris. Un climat continental de mousson, une saison froide et sèche et une saison chaude et pluvieuse caractérisent la ville de Pékin. Le climat parisien est tempéré, sa pluviosité est moyenne et répartie régulièrement, et les températures ne sont ni trop froides en hiver, ni tropchaudes en été. Ces différences climatiques entraînent des décalages dans la végétation qui peuvent avoir des conséquences importantes sur la survie des plantes. Prenons l’exemple de l’Albizzia sp. À Pékin, ces arbres constituent des alignements remarquables : en pleines fleurs fin juin début juillet, ils fructifient en août, puis leur végétation se ralentit progressivement et, en novembre, ils sont prêts à subir les rigueurs d’un hiver sec. À Paris, leurs stades de végétation, décalés d’un mois, font qu’ils restent plus sensibles aux froids précoces ou à un excès d’humidité hivernale.
Le cas du Lagerstroemia sp. est différent. Il y a une cinquantaine d’années, il était plutôt rare de pouvoir observer un spécimen de cet arbuste vieux de plusieurs années en région Parisienne, alors qu’aujourd’hui c’est relativement courant. On observe une acclimatation génétique : des plantes adaptées aux conditions climatiques européennes ont été progressivement sélectionnées après croisement.
Le phénomène inverse existe : des végétaux européens, parfaitement rustiques sous nos climats, ne supportent pas les rigueurs de l’hiver chinois. L’Université Forestière de Pékin, voulant introduire un arbuste européen à floraison printanière rouge, avait choisi l’aubépine, le Crataegus laevigata. Un bon millier de jeunes plants introduits de France ont été mis en place dans la vallée du Fleuve Jaune, où les conditions climatiques sont à peu près les mêmes que celles de Pékin. Plantées au printemps dans le riche limon du Fleuve Jaune, soumises pendant l’été à une pluviosité abondante et à une longue période de forte chaleur, les aubépines ont développé des pousses d’une vigueur peu courante : certaines dépassèrent 2 mètres. À l’automne, la baisse rapide des températures les a surprises encore en croissance et la plupart d’entre elles ont péri n’ayant pas supporté une telle variation de température. Cette expérience non concluante n’a pas été renouvelée…

 


La température, cruciale pour le développement…

De nombreuses phases du développement des végétaux sont sous la dépendance étroite du facteur température. Le froid hivernal n’est qu’un aspect des relations plantetempérature. L’hortensia, par exemple, est une plante qui réagit à la température d’une manière particulière. Dans nos jardins, sa floraison estivale continue résulte d’une succession de deux périodes : l’une en fin de printemps et en début d’été et la deuxième en fin d’été et en début d’automne. Physiologiquement, la floraison de l’hortensia commence par le passage de l’état végétatif à l’état floral du méristème du bourgeon situé à l’extrémité d’un rameau. Ce passage se fait en été, lorsque la température est supérieure à 16°C, et se traduit par l’apparition progressive des ébauches des différentes parties de l’inflorescence… jusqu’à la formation d’une inflorescence miniature présente à l’intérieur du bourgeon. L’épanouissement des ébauches florales peut alors suivre deux voies selon la vigueur du rameau. Si le rameau porteur du bourgeon est une pousse vigoureuse, issue de la base de la plante (l’équivalent d’un « drageon »), alors les ébauches florales se développeront sans discontinuité et s’épanouiront en fin d’été, c’est-à-dire l’année de leur formation. Au contraire, si ce rameau est une pousse faible (ramification d’un rameau de l’année précédente), les ébauches florales se formeront plus lentement, et en automne, au lieu de s’épanouir, elles entreront dans une phase de repos que l’on appelle la dormance. Le développement du bourgeon est bloqué par des inhibiteurs qui ne disparaîtront que sous l’action du froid. Ce n’est donc qu’au printemps suivant que ces bourgeons pourront reprendre leur développement et s’épanouir en début d’été pour donner la première partie de la floraison.
La dormance est un mécanisme très général chez les végétaux des pays tempérés et froids, qui en bloquant le développement des bourgeons, des graines ou des bulbes, protège la plante en l’empêchant d’entrer en végétation à contre saison. Dans les pays subtropicaux, contrairement à ce qui se passe dans les pays tempérés, les végétaux n’entrent pas en dormance. Par exemple, l’hortensia n’a qu’une seule période de floraison. Planté en massif, il est taillé très sévèrement à la fin de l’automne. Les conditions hivernales sont telles que les bourgeons de la base entrent rapidement en végétation, les ébauches florales se forment au printemps et elles s’épanouissent en été sans rentrer en dormance.

Le froid et la dormance des bourgeons

Le froid est l’agent qui « lève » la dormance des bourgeons, mais d’autres facteurs, à l’exemple de la sécheresse, peuvent aussi jouer un rôle. En 1961, un début d’automne particulièrement chaud et sec a levé la dormance des bourgeons de lilas et provoqué le début du développement des ébauches florales…

Coupes de bougeons d'hortensias montrant le passage à l'état végétatif - © Pierre LemattreCoupes de bougeons d'hortensias montrant le passage à l'état floral - © Pierre LemattreCoupes de bougeons d'hortensias montrant le début de la formation des ébauches de l'inflorescence- © Pierre Lemattre


 

Floraison régulière de tulipes après forçage © DRTulipes et autres plantes à bulbe

Tous les stades de développement de la tulipe sont étroitement liés à la température. Son bulbe que l’on plante à l’automne dans le jardin a une structure analogue à celle d’un rameau : la tige condensée en plateau porte un bourgeon central dormant contenant les ébauches de feuilles et de fleur, des écailles qui sont des feuilles transformées en organes de réserve, et des bourgeons à l’aisselle des écailles.
En automne, les racines se développent pour alimenter la plante, d’abord en eau puis en sels minéraux. Durant l’hiver, le froid lève la dormance du bourgeon central et enfin, au printemps, quand la température le permet, ce bourgeon entre en croissance. Les feuilles puis les fleurs se développent en consommant toutes les réserves des écailles. Dès l’apparition des feuilles, il se produit un double phénomène : l’épanouissement de la fleur achève de consommer les réserves du bulbe, et en même temps les feuilles commencent à synthétiser de nouvelles réserves, qui accumulées dans les bourgeons axillaires, vont progressivement les transformer en bulbes.
La croissance des nouveaux bulbes se poursuit après l’épanouissement de la fleur, tant que les feuilles peuvent assurer la photosynthèse et que la température reste inférieure à une vingtaine de degrés. Après arrêt
complet de la végétation, on pourra alors ramasser plusieurs nouveaux bulbes de taille décroissante en fonction de leur position par rapport au bourgeon axillaire dont ils sont issus. Pendant l’été, ces bulbes vont être conservés au chaud et au sec, ils entrent alors dans une phase de repos apparent pendant laquelle leur bourgeon central (végétatif au moment de la récolte), va progressivement former des ébauches florales. Dès que ces dernières se sont formées, les bourgeons entrent en dormance. Les bulbes sont plantés à l’automne, les températures hivernales lèvent la dormance des bourgeons qui s’épanouissent au printemps suivant.
 

LE FROID INDISPENSABLE A LA FLORAISON !

La floraison des plantes dépend des conditions de l’environnement, en particulier, la température et la longueur des jours, l’exigence de froid pour la floraison ne s’impose pas a priori. Or, de nombreuses espèces ne peuvent fleurir qu’après une période d’exposition (2 à 8 semaines) à des températures de l’ordre de 3-6°C. On définit par vernalisation la transformation opérée par les températures basses qui confère l’aptitude ultérieure à fleurir si les conditions environnementales sont favorables. Ce besoin de froid peut être absolu dans le cas des espèces bisannuelles (endive, navet, carotte, betteraves, laitue, giroflée…). Ces plantes, semées au printemps d’une année, donnent une rosette de feuilles et passent l’hiver sous cette forme, puis après l’hiver, au printemps de l’année suivante, elles développent une hampe florale. Cultivées en serre chaude, elles restent à l’état végétatif et ne fleurissent pas. 

Le besoin de froid peut n’être que relatif (un séjour au froid va rendre la floraison plus précoce ou l’améliorer, comme dans le cas des céréales d’hiver), ou inexistant, comme pour les plantes annuelles qui germent au printemps et terminent leur cycle de développement avant la fin de l’été. Dans le cas des céréales qui ont fait l’objet de très nombreuses études, les cultivars de printemps semés en mars-avril fleurissent en juin, alors que les cultivars d’hiver sont semés en automne, passent l’hiver à l’état de gazon et fleurissent avant les cultivars de printemps.

Attention, il ne faut pas confondre « levée de dormance par le froid » et « vernalisation » ! Si la durée et les températures sont similaires, il s’agit de deux phénomènes physiologiques différents.

par Françoise Corbineau

 

Forçage des bulbes… pour avancer la floraison

Pour obtenir des fleurs de tulipe en hiver, il est nécessaire de raccourcir la phase de repos apparent, c’est-à-dire accélérer la formation des ébauches florales et lever la dormance. Après une récolte précoce, pour certaines variétés, avant l’arrêt complet de la végétation, les bulbes sont soumis à des séquences successives de température très précises pour que les ébauches des différentes pièces florales (pétales, étamines, ovaire) se forment le plus rapidement possible. Puis, une fois les ébauches florales formées, un traitement au froid permet de réduire la durée de la dormance. À l’automne, les bulbes sont prêts à être plantés pour un forçage précoce.


Les relations très étroites entre le développement des végétaux et la température risquent, en fonction des changements climatiques envisagés dans les décennies à venir, de nous apporter quelques surprises.