Du sol dépend la vie sur terre

Christophe DucommunLaure Vidal-Beaudet

Dissimulés sous nos pieds, les sols constituent une pellicule d’à peine un mètre d’épaisseur à la surface des continents. Rapportée au rayon de la terre, cette couche semble même dérisoire. Pourtant ce compartiment, qu’on appelle la pédosphère, est une véritable interface protectrice et d’échange entre la lithosphère, l’atmosphère, l’hydrosphère et la biosphère[1]. En effet, la consistance organo-minérale singulière des sols, couplée à leur biodiversité exceptionnelle, leur confèrent un rôle fondamental pour les écosystèmes terrestres et pour l’Homme.

Les sols constituent une pellicule d’à peine un mètre d’épaisseur à la surface des continents - © D.R.
Les sols constituent une pellicule d’à peine un mètre d’épaisseur à la surface des continents – © D.R.

Genèse… (pédogenèse)

La pédosphère supporte les êtres vivants à sa surface et repose sur une roche dure ou meuble sous-jacente. La nature des sols est donc en lien étroit avec ces deux milieux, héritant des particules organiques du premier (l’humus), générées par la dégradation cyclique des matières organiques et des éléments minéraux du second (les argiles, les sables et les limons), issus de l’altération des roches au contact de l’air et de l’eau.

La formation de « terre », matériau constitutif des sols, est réalisée par les êtres vivants qui y vivent (vers de terre, bactéries, …). Ces organismes ont la faculté d’unir intimement la matière organique et la matière minérale sous forme de « complexe argilo-humique », brique élémentaire constitutive des sols.

Un lent processus

Ainsi, la formation des sols, qu’on appelle « pédogenèse », est un processus relativement lent qui conduit à leur approfondissement par transformation de la roche altérée. Hormis le cas particulier de sols situés en position basse du relief, l’épaississement des sols ne correspond pas à une accumulation par la surface. L’approfondissement des sols s’accomplit au rythme de 1 cm par 300 ans environ. Les sols de climat tempéré sont donc âgés de plusieurs milliers d’années et ne constituent pas une ressource renouvelable pour l’Homme.

Une grande diversité de sols

Alors qu’ils s’épaississent, les sols tendent à se différentier verticalement, ce qui provoque l’augmentation du nombre de couches (ou horizons). Le climat, la catégorie de roche parentale, la végétation et le relief sont les agents de cette évolution. Un processus important est notamment la percolation gravitaire de l’eau qui appauvrit le haut du sol en matières fines et solubles (comme l’argile et les minéraux ioniques).

La variété des milieux est donc responsable de la très grande diversité des sols.

Constituants organo-minéraux

Les sols sont poreux car idéalement constitués de 50 % de matière solide. Cette fraction est généralement composée de plus de 95 % de minéraux hérités de la roche et de 2 à 5 % d’humus. Les particules minérales sont souvent classées par taille, réparties en argiles granulométriques (< 2 µm), en limons (2 µm à 50 µm), puis en sable (50 µm à 2 mm). La composition des sols en ces trois éléments, renseigne sur leurs propriétés (perméabilité des sols sableux, sensibilité au tassement des sols limoneux, fertilité chimique des sols argileux…). Mais la nature minéralogique des particules est également un critère important.

Une diversité biologique

Grâce à leur constitution meuble, poreuse, partiellement confinée et régulièrement alimentée par les flux d’eau, de gaz et de particules, les sols constituent un milieu privilégié pour de nombreux organismes qui y vivent ou y développent une partie de leur cycle.

Des études récentes montrent que les organismes des sols représentent un quart de la biodiversité terrestre. On estime que 99 % restent à découvrir. Si l’on connait bien les organismes les plus gros (insectes, vers, petits mammifères), la plupart des microorganismes restent à identifier.

Ces organismes sont indissociables de la pédogénèse, ils garantissent la fonctionnalité de leur habitat et constituent une ressource importante pour l’Homme (70 % des antibiotiques actuellement sur le marché proviennent des sols).

Pour le bon équilibre de notre planète

Pour l’ONU, les sols ont pour rôle de maintenir le bon équilibre de notre planète et permettre l’épanouissement des populations humaines : sécurité alimentaire, adaptation au changement climatique et atténuation de ses effets, réduction de la pauvreté et développement durable.

Pour répondre à ces objectifs, les principales fonctions attendues pour les sols sont la production de biomasse et la fourniture de matières premières brutes (fibres, combustibles) utilisables par l’Homme (cf. schéma). Les sols sont également garants de la régulation du cycle de l’eau, des nutriments et de la séquestration du carbone.

Les principales fonctions attendues pour les sols (source : ONU)
Les principales fonctions attendues pour les sols (source : ONU)

Ils sont depuis peu considérés pour les différents services écosystémiques[2] qu’ils peuvent rendre : (1) soutien et support (bâtiments, réseaux, végétation, éléments nutritifs, stock de Carbone) ; (2) approvisionnement (matériaux de construction, nourriture, énergie) et (3) régulation (cycles des éléments majeurs, gestion des flux hydriques, gestion de la température, recyclage des déchets, amélioration de la biodiversité).

Menace de dégradation

Mais les sols sont en danger. En effet, 60 % des sols mondiaux les plus fertiles sont menacés par une forme de dégradation (érosion, tassement, salinisation excessive, artificialisation, perte de matière organique, pollutions locales et diffuses). C’est pourquoi l’ONU a déclaré 2015 « année internationale des sols » afin de sensibiliser les populations et les décideurs à leur importance cruciale pour les sociétés. En Europe, il n’existe toujours pas de directive cadre de protection des sols, alors que c’est le cas pour l’air et pour l’eau. Pourtant, les menaces sur les sols sont grandissantes : pollutions industrielles (produits chimiques) et agricoles (produits phytosanitaires). En France, le Ministère de l’Agriculture encourage et soutient des pratiques plus durables[3].

Fragilité et préservation

La densification des populations, combinée au perfectionnement des technologies, amplifie les pressions exercées sur les sols. Aujourd’hui plus de la moitié des terres les plus fertiles de la planète, correspondant à seulement 20 % des terres émergées, sont fragilisés par une forme de dégradation. Si la situation est préoccupante, elle n’est pas désespérée. Les sols possèdent en effet la capacité plus ou moins rapide, de retrouver leur état initial. Mais il est urgent de considérer le sol comme une ressource limitée et un patrimoine à préserver.

SERVICES ET FONCTIONS DES SOLS URBAINS

En France, 4 personnes sur 5 vivent dans une aire urbaine. Les ressources en terre fertile non renouvelable sont utilisées pour agrandir ces aires et les doter d’espaces végétalisés de qualité. Afin d’aménager l’écosystème urbain avec un objectif de durabilité, il faut étudier précisément les services de régulation rendus par les sols. Ceux-ci sont liés à la présence d’espaces végétalisés dont les bienfaits commencent à être évalués. Les aménageurs ont pris conscience que le végétal urbain n’est pas uniquement un objet de décoration mais un matériau vivant qui a besoin de lumière, de sol, d’eau et d’insectes pour s’épanouir et s’intégrer à la conception d’un écosystème urbain durable. Or la végétation n’a un rôle fondamental dans les services de régulation de l’écosystème urbain que si l’on considère l’aspect fonctionnel des sols urbains.

En contexte urbain, les sols (modifiées ou reconstruits) n’ont pas toutes les fonctions des « sols naturels » car ils sont influencés par les activités humaines (tassement, mélanges, exportations, contaminations…). Ils sont généralement peu fertiles. Il est donc important de trouver des solutions pour améliorer leurs propriétés afin qu’ils puisent assurer leurs fonctions et rendre les services attendus.

[1] Compartiments de la planète où la vie s’est développée.

[2] Bénéfices et services que les populations humaines tirent, directement ou indirectement, des fonctions de l’écosystème.

[3] Par exemple, le programme 4 pour 1000, taux de carbone à stocker tous les ans dans les sols mondiaux pour contre balancer l’augmentation annuelle de CO2 dans l’atmosphère et lutter contre le réchauffement climatique.

 

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