Les Pépinières de France : se grouper pour mieux exporter

Patrick Glémas

Des producteurs qui prennent conscience, ensemble, de leurs erreurs d’organisation et décident de s’organiser. Tel est le point de départ d’un projet ambitieux et structuré : Les Pépinières de France. Leur volonté ? Exporter sous une même bannière.

Des érables japonais élevés par les Pépinières Gaurrat, de Pau (64) - © Pépinières de France
Des érables japonais élevés par les Pépinières Gaurrat, de Pau (64) – © Pépinières de France
Ce sont les établissements Javoy qui se chargent des grimpantes - © Pépinières de France
Ce sont les établissements Javoy qui se chargent des grimpantes – © Pépinières de France

L’histoire démarre à Essen, en Allemagne, en janvier 2013, lors du salon IPM. Au matin de l’ouverture, plusieurs producteurs français, venus pour proposer leurs végétaux sur les marchés européens, se retrouvent dans les allées. Le constat est amer. L’un n’a pas reçu sa palette, l’autre n’a que des documents en français. Celui-ci n’a que quelques plantes pour animer son stand quand celui-là ne dispose que de deux calicots. Chaises et tables ne manquent pas, mais l’ambiance est bien impersonnelle. Seuls le vin et le fromage sont disponibles en quantité. Mais est-ce suffisant pour séduire des acheteurs étrangers ?

Un projet original

La SAS Les Pépinières de France gère également un projet original avec l’Association des anciens combattants canadiens. « De nombreux soldats canadiens ont été engagés en France, à Vimy (Pas-de-Calais) en particulier, explique Laurent Chatelain. Certains ont ramené au Canada des glands de chêne, en souvenir. Leur association nous a demandé de faire pousser des arbres de la même espèce à partir de glands ramenés du Canada. L’idée est de les planter ensuite dans tous les cimetières militaires canadiens d’Europe. Un retour aux sources. Quinze de ces arbres seront également installés à Buckingham Palace. »

Un constat amer comme impulsion

Les producteurs prennent conscience qu’ils n’ont pas effectué les efforts nécessaires pour amorcer une politique d’exportation digne de ce nom et encore moins pour rentabiliser l’investissement ! Pour l’édition en cours du salon, il est trop tard. Mais que faire pour les prochaines ? La rencontre, dans les allées, avec Dominique Douard, alors président de Val’Hor, va constituer un déclic. Alors que Laurent Chatelain s’émeut de cette situation, le président lui répond, du tac au tac, qu’il est le responsable du groupe export !

Loin d’être une boutade, c’est là qu’est posée la première pierre de ce qui allait devenir la SAS Les Pépinières de France en octobre 2016. «  Deux groupements existaient déjà chez Val’Hor et quatre ont été créés suite à cette rencontre  », explique Laurent Chatelain, président de cette société. «  Il y a du sens à travailler ensemble.  » Pour permettre à la structure de partir sur de bonnes bases, les producteurs font appel à Étienne Roussel, un consultant extérieur du groupe Cohesium. « Il intervient dans l’industrie et c’est ce qui nous a attirés, poursuit Laurent Chatelain. Étranger à notre univers, il nous a apporté un autre regard, loin de notre vision trop centrée sur notre filière horticole. »

Les topiaires sont fournis par le Vendéen Ripaud © Pépinières de France
Les topiaires sont fournis par le Vendéen Ripaud © Pépinières de France
Scrive, à Dax (40), apporte ses Lagerstroemia © Pépinières de France
Scrive, à Dax (40), apporte ses Lagerstroemia © Pépinières de France
Chatelain, avec ses fruitiers, complète l’offre du groupement - © Pépinières de France
Chatelain, avec ses fruitiers, complète l’offre du groupement – © Pépinières de France

Offrir une gamme large, profiter des spécialités de chacun

Neuf producteurs adhèrent aujourd’hui à la SAS Les Pépinières de France : à chacun sa spécialité, ce qui permet d’offrir une gamme très large sur les marchés étrangers. Guillot-Bourne II, de la région lyonnaise, propose des gros sujets de tiges et de cépées. Engandou, de Toulouse (31), est un spécialiste des magnolias. Scrive, à Dax (40), apporte ses lagerstromias. Gaurrat, à Pau (64), fait bénéficier la SAS de sa riche collection d’érables japonais, alors que Ripaud (85) est fort de ses topiaires. Les roses viennent de chez Pilté, à Orléans et Pithiviers (45). Les grimpantes sont produites par Javoy (45). Les conifères ne sont pas en reste avec la production de L’Orme Montferrat (77). Et Chatelain (95) complète l’offre avec ses fruitiers.

«  Chacun vient avec sa spécialité, fait remarquer Laurent Chatelain. Nous sommes ainsi complémentaires, sans frottements de gammes. C’est important.  » La SAS fonctionne en toute transparence, gage de sa réussite et, surtout, de sa pérennité. Et pour se comprendre encore mieux, ils se sont tous rendus les uns chez les autres, afin de bien connaître chaque entreprise et de comprendre son fonctionnement. Pour que l’harmonie soit plus parfaite, les partenaires tirent ceux qui ont pris du retard sur les ventes à l’étranger en faisant des achats chez eux. Tout le monde y trouve ainsi son compte.

Afin de réussir à l’export, la SAS s’est organisée. Pour démarrer, elle a fait appel à Cécile Duval, étudiante d’Agrocampus Ouest, forte d’un double cursus franco-allemand. Recrutée comme VIE (volontaire international en entreprise), elle s’est installée à Londres pour servir de tête de pont. Aujourd’hui, elle est devenue salariée de la SAS Les Pépinières de France. « Nous réalisons 75 % de notre chiffre d’affaires en Grande-Bretagne, précise Laurent Chatelain. Le reste est partagé entre l’Allemagne et la Suisse. Nous effectuons aussi quelques ventes en Chine et en Corée du Sud. »

La concertation, clé du succès

Les premiers pas de cette entreprise originale sont un succès. Ses acteurs sont bien décidés à faire progresser le chiffre d’affaires. La participation aux salons étrangers est maintenant plus efficace car l’offre est plus crédible et mieux visible. La largeur de la gamme en impose. Cela représente un véritable enjeu pour la production française. «  Nous avons tout intérêt à aborder les marchés en filière et en concertation les uns avec les autres, affirme clairement Laurent Chatelain. Nous avons plus à gagner ensemble qu’à nous battre chacun de notre côté !  » Un seul regret, cependant : avoir choisi pour nom Les Pépinières de France en lieu et place de The French Nurseries ! Il n’est pas forcément trop tard…

Un GIE pour modèle

Laurent Chatelain, président des Pépinières de France - © Patrick Glémas
Laurent Chatelain, président des Pépinières de France – © Patrick Glémas

La SAS Les Pépinières de France doit une partie de la bonne réussite de sa mise en œuvre à une autre expérience de travail en commun de producteurs : le GIE Pépinières Franciliennes. Ce groupement est né au début des années 2010, au sein du Conseil horticole d’Ile-de-France. Les producteurs de la région n’étant jamais sollicités pour de gros achats, ils ont voulu en connaître les raisons. Quoi de mieux, alors, que d’écouter les explications données par les acheteurs eux-mêmes ? Quatre d’entre eux sont venus exprimer leurs positions à dix-huit producteurs réunis dans une même salle. «  Nous avons pris une claque, se souvient Laurent Chatelain. Pourtant, avant de les recevoir, nous nous étions réunis avec l’objectif de leur expliquer comment ils doivent faire !  »

Bien que désarçonnés, quelques producteurs ont néanmoins voulu continuer à réfléchir ensemble pour bâtir une réponse aux critiques émises. Au final, sept d’entre eux décident de créer un groupement. Pour jouer la transparence, car tous sont généralistes et produisent les mêmes végétaux ou presque, ils tournent sur les exploitations de chacun afin de mieux se connaître. «  Il a fallu apprendre à répondre, ensemble, à un appel d’offres, précise Laurent Chatelain. Pour cela, il convient d’être rapide et réactif. C’est aussi une preuve de confiance.  »

La force du GIE tient dans sa capacité de production, avec une largeur et une longueur de gammes intéressantes. Et pour qu’il n’y ait pas de disparité criante entre producteurs, c’est celui qui réalise le plus petit CA qui fournit l’offre en premier. Les autres complètent ensuite. Un tableau de bord mensuel, unique pour tous, assure une transparence totale des opérations. Deux salariés s’occupent du bon fonctionnement du GIE. Les livraisons sont mutualisées à partir de deux sites de regroupement : Allavoine, au sud de Paris, et Chatelain, au nord. Un catalogue commun sert de base aux commandes et les étiquettes des végétaux sont au nom du GIE.

«  Nous répondons aux appels d’offres des grosses collectivités et des communautés de communes, explique Laurent Chatelain. Notre zone d’intervention couvre tout le territoire national. Nous travaillons sur des cibles bien précises, ce qui ne nous empêche pas de continuer nos propres activités.  » Le GIE pousse aussi les structures à se spécialiser un peu plus sur des lignes particulières. Chacun travaille alors pour les autres, ce qui permet d’optimiser l’outil de production. Le GIE assure aussi la facturation. Il fait, si nécessaire, du négoce. Ce regroupement a également permis à chacun d’accéder à une culture clients et de mettre en œuvre l’art de bien les recevoir. Pour le plus grand bonheur des uns et des autres !