Les paysagistes et l’espace public : une autre approche de la ville

Michel Audouy

Jusqu’au début des années 1990, les paysagistes sont peu présents dans la conception de l’espace public. Mais le contexte évolue, jusqu’à faire de cette jeune profession un acteur reconnu parmi les acteurs de l’aménagement urbain.

Les années 1990 témoignent d’un renouveau des espaces publics porté par une plus grande sensibilité à l’environnement et à la qualité du cadre de vie. De grandes métropoles en France et en Europe – Barcelone, Lyon, Nantes, etc. – deviennent des références ou des modèles où s’expriment paysagistes, designers et architectes.

De grandes métropoles deviennent des références où s’expriment les paysagistes, comme, ici, les quais de Bordeaux (Agence Corajoud) – © M. Audouy

Les paysagistes dans la fabrique de la ville

Pour les générations de concepteurs à l’oeuvre dans cette décennie, Barcelone est une référence incontournable : beaucoup font le voyage. À l’occasion des jeux Olympiques, la capitale catalane s’est métamorphosée en réhabilitant ses espaces publics. Partout des places, des promenades sont réaménagées, des arbres sont plantés, dont beaucoup de palmiers. Un mobilier design, parfois démonstratif, qualifie chaque lieu.

En France, dans les pas de Barcelone et sous l’impulsion de son maire Michel Noir, la ville de Lyon se lance dans un vaste projet de renouvellement urbain auquel les paysagistes sont généreusement associés, jusqu’à aujourd’hui. Elle leur confie le soin d’imaginer de nouveaux espaces publics. Michel Corajoud aménage les abords de la cité internationale, Alexandre Chemetoff la place de la Bourse, Michel Desvigne celle des Célestins, la montée de la Croix Rousse est confiée à Alain Marguerit, Jacqueline Osty redessine le parvis de la gare Part-Dieu, « In-situ » requalifie la place des Bluets… Les nouveaux projets se comptent par dizaines. À toutes les échelles, la communauté urbaine de Lyon devient un laboratoire d’« une pensée de la ville par le paysage »*.

À l’occasion des jeux Olympiques, Barcelone s’est métamorphosée en réhabilitant ses espaces publics. Des arbres sont plantés, dont beaucoup de palmiers – © M. Audouy

Sur des territoires souvent repris à la voiture, les paysagistes développent une approche globale de l’aménagement tenant compte de l’histoire, de la géographie, des usages, du sol, etc. Ainsi le projet, au-delà de sa forme, met en exergue la spécificité de chaque lieu.

Des formes nouvelles d’espaces publics, mieux plantés, parfois aux allures de jardins ouverts, comme les places de la Bourse et des Célestins, changent profondément l’image de la ville. Contrairement à Barcelone, l’objet est ici plus rare, moins essentiel à l’identification des espaces.

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Expression de l’urbaniste Ariella Masboungi, auteure du livre collectif Penser la ville par le paysage, éditions de La Villette, collection Projet urbain, 2002.

L’objet pour tout projet d’aménagement

Nous citions l’exemple catalan mais beaucoup de villes, grandes ou petites, équipent leurs espaces publics de nombreux mobiliers dans la décennie 1990-2000. La mode est aux grands designers comme Jean-Michel Wilmotte ou Philippe Starck et, d’une manière générale, au mobilier urbain. Les raisons sont multiples : les usages, bien sûr (mieux éclairer, interdire l’accès des voitures, fleurir, jouer…) et améliorer l’image de la commune. La décentralisation a donné aux maires des leviers d’action plus importants en matière d’urbanisme et l’évolution des modes de vie, plus urbains (y compris dans les territoires ruraux), accentue la demande des habitants.

Les communes rivalisent alors de nouveaux aménagements toujours mieux pourvus en objets. L’usage dicte l’aménagement et, en l’absence d’un projet global conçu par un architecte ou un paysagiste, on assiste à une surenchère de mobiliers achetés sur catalogue et (trop souvent) prescrits par ceux qui les vendent. De la rue piétonne au parvis de la mairie, une panoplie « d’aménagements clés en main » (jardinières, bancs, potelets, bancs-jardinières, panneaux d’affichage, etc.) transforme les villes sur un même modèle. Le réverbère remplace l’arbre, plus propre, sans racines et sans feuilles à l’automne, et plus fleuri en été quand on y suspend des corbeilles débordant de fleurs.

Les matériaux naturels, comme le bois, sont davantage utilisés, aptes à se confondre à leur environnement. Ici, les quais de Barcelone – © M. Péna

Des arbres plutôt que des réverbères !

Aujourd’hui, cette façon d’aménager est remise en cause pour plusieurs raisons : certains espaces vieillissent mal, d’autres se sont démodés. La multiplication des objets a fini par encombrer les centres-villes jusqu’à les rendre illisibles. Par ailleurs, à l’heure du développement durable, il semble qu’on retrouve enfin les vertus de l’arbre ou des plantations enracinées dans la terre ferme.

Alors, comment aller vers des espaces publics moins aménagés ? D’abord, renouer avec le génie du lieu en cherchant à valoriser l’existant : des traces d’histoire, une topographie particulière, un point de vue… Ensuite, redonner à l’arbre son rôle structurant et pérenne dans la ville. Enfin, favoriser une approche globale de l’aménagement, à l’échelle de la commune. Cette approche, les communes en pointe dans le « zéro phyto » l’ont désormais à travers une gestion différenciée de leurs espaces verts, en établissant une distinction entre les lieux de représentation, fleuris, soignés… et les espaces de loisirs, plus naturels, moins aménagés.

La ville de Lyon se lance dans un vaste projet de renouvellement urbain auquel les
paysagistes sont généreusement associés, comme ici les quais du Rhône – © InSitu

La prise en compte des questions d’écologie

Des fabricants de mobiliers s’adaptent, en développant des systèmes d’éclairage plus discrets (parfois intégrés à des bancs), en utilisant aussi des matériaux naturels comme le bois ou la pierre, aptes à se confondre à leur environnement.

D’une manière générale, la prise en compte des questions d’écologie doit conduire à envisager l’aménagement de l’espace urbain de manière pérenne. L’exemple vient des grandes métropoles comme Nantes, Bordeaux ou Rennes…, mais aussi de communes plus modestes, comme Bar-le-Duc et sa réhabilitation de tout le centre-ville. Le contexte culturel et social y est favorable – soulignons l’évolution des critères du CNVFF* – ainsi que les réglementations concernant la mise en oeuvre des trames vertes et bleues sur l’ensemble du territoire. Dans la même veine, l’obligation de créer des sols urbains moins imperméables peut favoriser la création des zones plantées, y compris dans les centres-villes.

Enfin, moins d’argent dans les budgets communaux pour acheter des objets est presque une bonne nouvelle…, à condition de ne pas faire des économies sur la conception et sur la gestion.

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Les critères d’évaluation portés par le Conseil national des villes et villages fleuris intègrent désormais la prise en compte de l’écologie et de la gestion des espaces dans le temps. L’aspect fleurissement s’il reste important est associé à la notion de durable. Voir l’interview de Mme Lesage dans ce dossier.