Les oasis : prouesses agroécologiques

Emblématiques des zones arides, les oasis font vivre 150 millions de personnes. Elles véhiculent l’idée d’une nature conciliante dans un environnement inhospitalier. Fruits de l’ingéniosité des oasiens, elles sont pourtant le résultat d’un dur labeur pour survivre dans le désert. Leur fonctionnement fascine l’agro-écologie.

 

Des écosystèmes d’origine humaine

En plein désert, il n’y a pas d’oasis naturelle. L’anthropologue Vincent Battesti définit les oasis comme « des associations d’agglomérations humaines et de terres irriguées cultivées ». Les oasis sont des « puzzles » de jardins contigus qui forment un écosystème agroforestier dense, complexe, organisé, dont l’existence ne tient qu’au travail infatigable des oasiens pour capter, acheminer, distribuer, partager et gérer l’eau. La mise en circulation de l’eau par l’Homme est une condition sine qua non des oasis, comme le révèle l’ampleur des aménagements hydrauliques (puits, canaux, barrages…) que les oasiens ont construits depuis des millénaires. Abandonnée, une oasis retourne à son état de nature… le désert.

La mise en circulation de l’eau par l’Homme est une condition sine qua non des oasis © Creative Commons CC0

« L’effet oasis », un climatiseur puissant

Dans le désert, les oasis donnent l’impression d’une respiration. C’est « l’effet oasis », phénomène bioclimatique qui génère un microclimat « printanier » grâce à la densité du peuplement végétal et à son architecture à plusieurs étages. Dans les oasis du Sahara, les palmiers dattiers sont des alliés de taille. Très tolérants à la chaleur, ils résident au sommet de l’édifice végétal et culminent à une hauteur de 15 à 30 mètres. Ils ont « la tête au soleil » et sont les « parasols » qui assurent l’ombrage pour les étages inférieurs. Mais ils ont aussi « les pieds dans l’eau » et humidifient l’air en transpirant près de 5 000 litres d’eau par hectare par jour! Fortes de leur « luxuriance » végétale, les oasis fonctionnent comme des climatiseurs naturels puissants, capables de générer des conditions propices à l’agriculture dans un environnement désertique. Plus que cela, « l’effet oasis » aurait aussi une influence sur le climat régional et augmenterait les probabilités de précipitations !

Le travail humain est permanent et indispensable dans l’oasis © Creative Commons CC0

Terre ! Des îlots de fertilité dans un océan minéral

Moins visible, l’effet oasis se prolonge aussi sous terre. Dans le désert, les oasis se distinguent par leurs sols vivants et forment des « îlots de fertilité ». La présence d’une végétation dense améliore la stabilité physique des sols, l’infiltration de l’eau, la rétention des minéraux, et permet une vie biologique souterraine bien plus active que dans le désert. Les litières végétales produites par les différentes espèces végétales constituent des sources de matière organique qui structurent, protègent les sols et nourrissent l’ensemble des organismes qui y vivent (bactéries, champignons, macrofaune). La décomposition des litières permet le recyclage des minéraux. Grâce à leurs racines profondes (10 mètres), les palmiers puisent l’eau et les minéraux dans des horizons de sol inaccessibles aux autres espèces végétales, et peuvent les faire remonter en surface. Cet ascenseur hydraulique assure la redistribution de l’eau et des minéraux.

Les palmiers véritables ascenseurs hydrauliques assurent la redistribution de l’eau et des sels minéraux © Creative Commons CC0

Des « hot-spots » de biodiversité en gestation

L’effet oasis permet à de nombreuses espèces végétales d’origine méditerranéenne et tropicale de se développer. Ainsi, vignes, oliviers, grenadiers, figuiers, pêchers, abricotiers, pommiers, orangers, bananiers, manguiers… deviennent cultivables en plein désert! Plus qu’une zone refuge, les oasis constituent surtout des incubateurs de biodiversité. L’exemple des palmiers est impressionnant: plusieurs milliers de variétés de palmiers dattiers ont été identifiées. La fixation des caractères variétaux est assurée par la multiplication végétative (par rejet). Mais les oasiens ont aussi appris à cultiver des variétés-populations (khalt, sair), issues de graines.

Grâce à leur régénération quasi naturelle, encadrée par les oasiens, elles représentent une source de diversification génétique très importante. Elles constituent, ainsi, un réservoir d’innovations biologiques qui garantit la « mise à jour » des palmeraies, et donc leur futur.

Créer davantage d’oasis pour un futur agroécologique © K. Barkaoui

Créer davantage d’oasis pour un futur agroécologique

Les oasis, exemples incontestés d’adaptation pilotée par les oasiens, sont aujourd’hui aux avant-postes de la désertification annoncée. Avec le changement climatique, des « effets oasis » sont ainsi recherchés dans les régions tempérées pour contrecarrer les canicules. En France comme en Europe, l’agroforesterie se développe et fait à nouveau le pari des cultures à l’ombre des arbres. Les oasis sont des sources d’inspiration pour des polycultures fruitières, des « forêts comestibles », des jardins permacoles, des agricultures urbaines…

Biodiversité, synergie, efficience, recyclage… les oasis ont peut-être depuis longtemps déjà réussi leur transition agroécologique. Mais leur devenir incertain, causé par l’exode rural et la perte de liens sociaux, nous montre à quel point l’Humain est important pour construire la Nature et que sa place est au cœur des transitions agroécologiques. Sans cela, le désert gagnera.

 

Karim Barkaoui
Chercheur en agro-écologie au Cirad

 

À LIRE

Vincent Battesti. Jardins au désert, Évolution des pratiques et savoirs oasiens, Jérid tunisien. IRD Éditions, pp. 440, 2005, À travers champs, Jean Boutrais

Les oasis en Afrique du Nord: dynamiques territoriales et durabilité des systèmes de production agricole. Coord. Ahmed Bouaziz, Ali Hammani, Marcel Kuper. Cahiers Agricultures, Volumes 26 et 27, 2017-2018

Réseau associatif de développement durable des oasis :
www.raddo.org