Les jardins de Giverny : La grande passion de Claude Monet

Deuxième site touristique le plus fréquenté de Normandie, les jardins de Claude Monet à Giverny ont été reconstitués à l’identique à la fin des années 1970, après cinquante ans d’abandon, et ouverts au public. Plongée dans l’univers coloré du peintre.

 

Quarante-trois ans de passion à Giverny

Le Clos Normand se compose de quatre massifs situés devant la maison. Ici en mai 1985, des tulipes roses du même ton, en trois espèces différentes pour prolonger la floraison, et des myosotis bleus © G. Vahé

En 1883, Claude Monet remarque, à Giverny, dans l’Eure, une propriété à louer. Pour Monet le jardinier, elle s’avère parfaite, exposée plein sud, jouissant d’un microclimat, adossée au nord et protégée par une colline, le long d’un cours d’eau. Pour Monet le peintre, elle est baignée par une lumière exceptionnelle, occasionnée, le matin à l’est, par la jonction des vallées de la Seine et de l’Epte, et le soir, à l’ouest, par la vallée de la Seine. C’est au cours d’un séjour dans le Midi avec Renoir qu’il imagine le dessin de son jardin à Giverny. Le parc de Francesco Moreno à Bordighera (Italie) l’a séduit par son côté naturel, car dans une lettre où il décrit la beauté du lieu, il écrit: « Pourtant tout cela a été planté. » Au même endroit, la vallée de Sasso l’a fortement marqué par la multitude de petites restanques dont la végétation vous engloutit. C’est cette idée qu’il a transposée pour l’aménagement de l’allée centrale de son jardin.

Pendant les quarante-trois ans durant lesquels il demeure à Giverny, il assouvit ses passions, car grâce à une grande exposition de ses peintures aux États-Unis, il a enfin, en plus de la reconnaissance, les moyens d’acheter la maison et de vivre confortablement. Il engage des jardiniers et un chef, Louis Lebret, puis Félix Breuil, il construit des serres, achète une autre propriété pour aménager un potager, la Maison Bleue. Sa passion le conduit à monter des collections végétales avec ses amis Alexandre Godefroy (fournisseur), Gustave Caillebotte et Antoine Mirbeau. Influencé par le Japonisme, il installe une collection de pivoines arbustives reçues du Mikado. Il échange des collections de chrysanthèmes avec Caillebotte, installe des iris venus de chez Vilmorin, Rivoire et Cayeux. Sa passion le conduit à créer de nouveaux hybrides et même à s’occuper du jardin de ses amis, notamment Sacha Guitry. Parmi ses fournisseurs figurent, pour les roses, Cochet, pour la pépinière, Moser, Croux, Truffaut, etc. Les premiers Nymphea rustiques primés durant l’Exposition universelle de 1889 l’intéressent. Claude Monet ajoute à son jardin un jardin d’eau en détournant le ru de l’Epte.

Y a-t-il plus touchant que cette photo de Monet lui-même se promenant dans son jardin ? Y a-t-il plus touchant que se dire qu’aujourd’hui (photo de droite), les parterres que le visiteur contemple sont identiques à ceux que l’artiste avait imaginés ? © D.R.

La restauration

La période qui suit le décès de Claude Monet, en 1926, est néfaste pour le jardin. En décembre 1966 son fils, Michel Monet, lègue à l’Académie des Beaux-Arts la propriété et son contenu. Le jardin ressemble alors à une friche, à l’exception de l’allée centrale menant à la maison, qui est demeurée plus accueillante. En 1976, Gérald Van Der Kemp, ancien conservateur en chef du Château de Versailles, prend en charge la restauration. Il choisit de le restaurer tel qu’il était au décès du peintre. Après avoir récolté des fonds auprès d’institutions et de donateurs privés, dont Mme Wallace, fondatrice du Reader’s Digest, il se procure de nombreuses archives et rassemble les souvenirs des amis de Monet ou de leurs descendants, les photos couleurs d’Étienne Clémentel et les publications de l’époque.

Dans une première étape, l’entreprise SEEV Frange se charge de débroussailler et de réinstaller tous les supports de plantes grimpantes, de labourer, de retracer toutes les allées du jardin, de semer les pelouses, et de replanter les arbres remplaçant ceux abattus ou trop âgés, puis d’installer un réseau d’arrosage. L’Entreprise Cuénot reconstruit les serres. Le pont japonais et les trois autres sont remplacés à l’identique. En 1977, l’entreprise Plan Vert vient en renfort des trois jardiniers présents. Les variétés de roses et de rhododendrons que Claude Monet possédait sont replantées.

La reconstitution du jardin d’eau est réalisée en 1978. Des palplanches métalliques ont permis d’en redessiner le tour et de le protéger contre les ragondins. Les nymphéas sont plantés à une profondeur de 30 cm dans des cylindres en PVC. Ils sont en général remplacés à l’identique chez Bory Latour-Marliac. Les souvenirs de Robert Le Gal, jardinier de Claude Monet de 1912 à 1916, ont permis de compléter l’authenticité du jardin. À la fin de la première année, 70 000 visiteurs ont visité les jardins de Claude Monet, soit dix fois plus que ce qui était prévu. Actuellement, grâce au nouveau directeur, Hugues R. Gall, 700 000 visiteurs se pressent sur sept mois.

Claude Monet aimait employer des couleurs claires dans les taches d’ombres, le blanc ou le jaune, créer un effet d’allongement, en lignes monochromes, accepter certaines fleurs spontanées afin de créer un effet naturel © D.R.

Fleurissement depuis 1980

Les plantes de structure (arbres, arbustes…) du jardin sont remplacés au fur et à mesure de leur disparition. De nouvelles introductions sont réalisées en s’appuyant sur les archives écrites ou photographiques. Claude Monet aimait employer des couleurs claires dans les taches d’ombres, le blanc ou le jaune, créer un effet d’allongement, en lignes monochromes, accepter certaines fleurs spontanées afin d’obtenir un effet naturel, utiliser les couleurs chaudes dans le bas du Clos Normand et les couleurs froides en haut, vers sa demeure. De même, il aimait créer du relief en utilisant des variantes de formes, rondes, lancéolées, ou de couleurs dans les mêmes tonalités ou en oppositions jaunes et bleues, qu’il affectionnait particulièrement.

En 1976, le jardin de Claude Monet à Giverny ressemble à une friche. Gérald Van Der Kemp choisit de le faire restaurer tel qu’il était au décès du peintre © D.R.

Le Clos Normand : quatre massifs

Le Clos Normand se compose de quatre massifs situés devant la maison. Ce sont les seuls de composition simple. Ils ont été décrits par des photos de Clémentel pour la plantation estivale, et par Vilmorin pour la floraison printanière. Le squelette est constitué de rosiers demi-tiges roses et de rosiers grimpant sur pylônes. Pour le printemps, des tulipes roses du même ton en trois espèces différentes afin de prolonger la floraison, et des myosotis bleus, afin de recouvrir le sol, sont utilisés. Pour l’été, des pélargoniums roses et des rouges sont utilisés, le tour étant planté d’œillets Flon.

Le reste de l’espace est composé de plates-bandes longitudinales commençant et se terminant par des massifs perpendiculaires longeant le mur de clôture. Ces massifs sont de couleurs chaudes, jaune, orange, sauf à la période printanière où une ligne d’ails géants bleus se détachent du fond jaune. Les cinq lignes de plates-bandes sont bordées d’iris et plantées dans des dominantes variables (rouge, orange, jaune, ou rose, bleu et violet). À la suite, en se dirigeant vers l’est, se trouve une grande pelouse tout en longueur. Elle est entourée de rosiers de toutes sortes, grimpants, buissons, pleureurs et intègre quatorze petits carrés plantés notamment de rosiers pleureurs, de pommiers à fleurs et de divers érables asiatiques. Des bulbes la recouvrent partiellement à chaque saison.

Première étape de la restauration du jardin de Claude Monet en 1976 : l’entreprise SEEV Frange débroussaille, réinstalle tous les supports de plantes grimpantes, laboure, retrace toutes les allées du jardin, sème les pelouses, et replante les arbres en remplacement de ceux abattus ou trop âgés, puis installe un réseau d’arrosage © D.R.

L’allée centrale : pour se sentir petit au milieu de la nature

En 1883, Claude Monet remarque, à Giverny, dans l’Eure, une propriété à louer. Elle s’avère parfaite, exposée plein sud, jouissant d’un microclimat, adossée au nord et protégée par une colline, le long d’un cours d’eau © D.R.

L’allée centrale partage le Clos Normand en deux et mène à l’escalier central de la maison. Elle est bordée de massifs en élévation qui sont les plus larges du jardin et sont surélevés de plus d’un mètre au centre. En 1911, Monet remplace les épicéas du centre des massifs par six portiques métalliques enjambant l’allée où des rosiers à forte végétation créent une voûte de fleurs. En été, les plantes au centre sont les plus hautes (hélianthus, dahlias orange et rouge, cléomes, nicotinias), et au bord, des capucines sont dirigées vers le milieu de l’allée. Avec ces élévations et la sinuosité du passage laissé par les capucines, Monet retrouvait la sensation d’être petit dans cette nature. En automne, les rosiers restent mais l’aménagement est plus bas.

La reconstitution du jardin d’eau est réalisée en 1978. Les nymphéas sont plantés à une profondeur de 30 cm, dans des cylindres en PVC © D.R.

Au début, les vivaces et les bulbes sont sous terre, et leur pousse va s’échelonner tout au long du printemps. Les plantations sont effectuées en taches alternant des couleurs de lumière, blanc et jaune, avec des couleurs plus foncées. La couverture du sol est composée de pensées, pâquerettes, myosotis, giroflées, etc. de différentes couleurs. Les Eremurus robustus et les fritillaires poussent entre les pylônes. L’ail géant et la centaurée barbeau assurent la transition avec la plantation d’été.

 

Gilbert Vahé
Ancien jardinier-chef des jardins de Claude Monet