Les graminées, de la pâture à la pelouse

Noëlle Dorion

Dominantes dans les prairies pâturées, les graminées pérennes présentent des caractères morphologiques et physiologiques qui leur permettent d’être plus dynamiques que la plupart des végétaux face aux animaux qui les broutent et les piétinent. Ces caractéristiques sont mises à profit lors de l’implantation et de l’entretien d’une pelouse cultivée. Le point sur la question…

gnis - © noelle dorion

Plantes monocotylédones, les graminées (poacées) comptent selon les sources, de 8 000 à 12 000 espèces dans le monde dont seules 150 sont cultivées : céréales, fourrages, gazons. Une quinzaine d’espèces est utilisée dans les pelouses (Tableau 1). Toutes les étapes du cycle de leur développement sont influencées par les facteurs environnementaux.

D’abord germer

Le fruit d’une graminée est un caryopse [1] qui contient la graine dont l’embryon évolue en plante. Immédiatement après leur constitution, les graines sont incapables de germer. Cette dormance primaire disparaît pendant le stockage. Cependant, une dormance secondaire peut être induite par des conditions défavorables. Ainsi, les températures excessives – plus de 30°C – intervenant à l’automne par exemple, sur des graines déjà imbibées peuvent provoquer le blocage de la germination. La température optimale de germination varie de 15 à 25°C (35°C pour les espèces d’origine tropicale). Lors de la germination, il y a absorption d’eau par la graine (imbibition). La radicule, la racine principale, s’installe et la jeune pousse (gemmule) s’allonge vers la surface du sol, protégée par le coléoptile qui apparaît le premier. Les feuilles percent ensuite le coléoptile. La plantule est installée, elle a utilisé les réserves de la graine et va maintenant assurer sa croissance grâce à la lumière via la photosynthèse (autotrophie).
La première conséquence, pour une pelouse, concerne donc la profondeur du semis qui doit être peu profond pour permettre au coléoptile de dépasser la surface d’un sol non compacté ; la deuxième concerne l’alimentation en eau qui doit être assurée en surface, de façon homogène. Enfin, l’importance de l’alimentation en eau ainsi que la prise en compte des températures optimales expliquent pourquoi, en climat tempéré, les périodes les plus favorables pour semer une pelouse sont le printemps et l’automne.

 


[1] Fruit sec ne s’ouvrant pas spontanément à maturité (indéhiscent), à graine unique soudée avec le péricarpe, l’enveloppe qui l’entoure.


 


Coloniser, mettre en réserves

Les jeunes feuilles sont produites par un méristème végétatif, zone de cellules en division active. Contrairement à de nombreuses plantes, les noeuds où sont fixées les feuilles en forme de gaines s’empilent sans allongement intermédiaire (entre-noeud) (Figure 1). De sorte que, ce qui croît au-dessus du sol est constitué de l’ensemble des gaines emboîtées et des limbes qui s’étalent quand la feuille dépasse la gaine précédente. Le méristème, lui, reste au niveau du sol au fond de cette sorte de tuyau qui le protège. Cet ensemble s’appelle une talle mère. À chaque noeud, à l’aisselle de la feuille, il existe un méristème axillaire capable de fonctionner comme la talle mère pour donner une talle primaire, elle-même donnant une talle secondaire… qui se succèdent pendant toute la phase végétative. Cette capacité de ramification (Figure 2) aboutit à une touffe portée par des tiges très courtes qui constituent le plateau de tallage. Sous chaque noeud (Figure 1), les racines entrent en croissance et contribuent à l’ancrage et à l’alimentation de la touffe.

 

 Apex et dernières ébauches de feuilles, d'après Gillet 1980 (diamètre environ 2mm)  - ©  Noelle Dorionstructure interne d'une touffe végétative, d'après Gillet 1980 -  © Noelle Dorion

                        Figure 1                                                                      Figure 2
 
 

De cette façon, les touffes colonisent peu à peu le terrain. Certaines graminées mettent en place également des rhizomes [2]  ou des stolons, améliorant ainsi leur capacité de colonisation. On comprend donc pourquoi les graminées sont si performantes dans les pelouses. D’abord, les méristèmes au ras du sol ne sont détruits ni par le pâturage ni par la tonte. Le chevelu racinaire puissant résiste au passage et même dans certains cas au piétinement. Le système d’étalement est performant et facilite la colonisation des zones libres.
La croissance de la partie aérienne optimale varie de 20°C à 25°C pour les espèces des zones tempérées (celle du ray-gras s’arrête à 25 °C), et de 30°C à 35 °C pour les espèces des zones tropicales. La croissance des racines commence vers 5°C à 10°C. Outre l’eau qui est indispensable, l’intensité lumineuse (via la photosynthèse) et l’azote augmentent le rythme d’émergence des feuilles, favorise la croissance et permettent l’accumulation de réserves dans le plateau de tallage. Les réserves sont très importantes, car elles assurent la reprise de croissance après la tonte.
L’ombre est défavorable à la croissance, même si certaines espèces sont mieux adaptées à ces conditions. Le niveau de tonte doit être calculé pour maintenir un niveau de réserves suffisant pour la reprise de croissance et l’étalement des touffes.

                                                                                             
Espèce cespiteuse - © GNIS Noelle Dorion

Espèce cespiteuse à tallage abondant et système racinaire fasciculé caractérisé par le développement de nombreuses racines adventives, la fétuque ovine possède un feuillage très fin et très dense. Sensible au piétinement, elle est bien adaptée aux gazons ornementaux. C'est aussi l'un des espèces à croissance très lente, résistant parfaitement à la sécheresse et aux sols pauvres.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Fleurir

Au cours de la saison, le méristème va passer de l’état végétatif à l’état floral. Dans ce cas, la tige va s’allonger, les épis ou les panicules vont porter les fleurs puis des fruits. Cette situation n’est pas préoccupante dans le cas des pelouses qui sont régulièrement tondues. Par contre, la capacité à fleurir ainsi que le rendement en grains est un caractère important pour la création variétale et la production de semences.

[2] Les rhizomes sont des tiges souterraines et les stolons des tiges aériennes rampantes qui s’enracinent pour former une nouvelle touffe à une certaine distance de la touffe mère.


Divers mélanges, divers usages…

Une prairie naturelle n’est pas constituée d’une seule espèce de graminées. Un équilibre s’établit au cours du temps, dépendant des facteurs de l’environnement (sol, luminosité, eau, température…) et de l’intensité du pâturage. De même, une pelouse cultivée sera créée, le plus souvent, à partir d’un mélange de graminées. La constitution du mélange en espèces et variétés ainsi que la proportion de chacune est adaptée à l’environnement et à l’usage que l’on veut faire de la pelouse. Pour réaliser ces mélanges, les semenciers prennent en compte les capacités de chaque espèce (cf tableau) et choisissent des variétés spécifiquement sélectionnées pour l’usage recherché notamment dans les mélanges « Label Rouge ». En fonction des usages, le GNIS [3] fait les recommandations suivantes. Pour les pelouses d’ornement qui nécessitent une esthétique irréprochable et ne supportent aucun piétinement, il faut utiliser des espèces à feuillage fin et dense (fétuque ovine, rouge gazonnante et demi-traçante, agrostide et variétés améliorées de ray-grass anglais).
Pour les pelouses de détente, qui concilient aspect esthétique, résistance au piétinement et implantation rapide, la seule contrainte est la proportion de ray-grass anglais (40 à 60%). Pour les pelouses destinées au sport, constituées d’un tapis dense résistant au piétinement et à l’arrachage, il faut utiliser au moins 60 % d’espèces résistantes au piétinement (ray-grass anglais, fétuque élevée, pâturin des prés. Les semenciers déclinent ces recommandations dans des mélanges destinés aux consommateurs et proposent également des mélanges pour pelouse nécessitant peu d’entretien. Un trèfle nain capable de restituer de l’azote au sol est
alors ajouté au mélange.

Jardins de France - © Clive Nichols


[3]GNIS : Groupement National Interprofessionnel des Semences.

Semences pour pelouses et gazons, une large gamme d'espèces et de variétés - © GNIS
Les labels, gages de qualité

Selon les espèces et les variétés utilisées dans les mélanges, il peut exister d’importantes différences de qualité. Mis au point par Progazon et accordé par le Ministère de l’Agriculture, le Label Rouge, un « gazon de haute qualité », apporte de véritables garanties au consommateur. Ces compositions sont élaborées à partir des meilleures variétés de grami­nées actuelles et sont parfaitement adaptées à l’utilisation recherchée. Le choix de l’utilisateur, voulant créer une pelouse pour un usage défini, est ainsi facilité grâce à des appellations simples et précises, classées en trois catégories selon l’usage et les qualités correspondantes requises : sport et jeux (résistance au piétinement), détente et agrément (utilisa­tion courante), ornement (pelouse fine). Les règles de composition ont été élaborées par des experts des secteurs public et privé et évoluent avec l’amélioration variétale. Les critères de choix reposent sur les essais officiels réalisés par le Groupe d’Étude des Variétés et des Semences (GEVES) de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA). Les normes précises de pourcentage des espèces et de choix des variétés ont été établies en fonction de l’usage choisi.
par Jean-Marc Lecourt

 

Caractéristiques d'ulisation de quelques espèces de graminées à gazon - © noelle dorion