Les forêts précèdent les hommes et les jardins les suivent…

Daniel Lejeune

Si la diversité biologique des forêts tropicales est évidente, ce n’est apparemment pas le cas de nos forêts tempérées, composées au mieux de quelques espèces ligneuses associées, lorsque leur gestion « raisonnée » n’aboutit pas à la quasi monospécificité.

Vue du château de Trianon dans l'enclos du parc de Versailles par Chereau : la forêt est un lieu de promenade et de chasse. - © Bibliothèque municipale de Versailles Sites et monuments

Il suffit pourtant qu’un arbre tombe pour qu’apparaissent dans la trouée une foule de végétaux herbacés à l’éclat parfois spectaculaire. Les lisières, zones de transition, sont tout aussi riches d’un point de vue écologique, semblables d’ailleurs aux haies bocagères et aux massifs d’arbustes des parcs. Benoist-Méchin n’a-t-il pas écrit que le jardin à la française — régulier ou non — a toujours été une clairière ? Ceci suffirait déjà à affirmer une filiation commune et à éclairer les communautés sémantique, forestière et horticole.
 

De la forêt…au jardin

Au stade de la civilisation des chasseurs- cueilleurs, les premiers hommes, exploitant les ressources vivrières des plantes de sous-bois ou de lisières, ont certainement « inventé » les prémices du jardinage en observant des germinations dans les immondices déposées aux abords de leurs campements. La découverte et la maîtrise du feu ont ensuite conduit, d’abord inopinément puis intentionnellement, aux pratiques de cultures itinérantes sur brûlis, une forme de jardinage, hélas encore pratiquée dans certaines contrées de notre monde.
Puis, les forêts se réduisant avecn l'augmentation des prélèvements de bois de construction, tant civile que militaire, ont du être jardinées en vue d’un meilleur rendement. L’expression « futaie jardinée », ô combien Colbertiste, fait d’ailleurs partie du lexique fondamental de la foresterie française.
La planification technique et économique qui en découle a fortement marqué la structure des parcs classiques où l’art des jardins, la forêt et la cynégétique sont intimement liés. N’oublions pas que Versailles n’offre aujourd’hui plus que le Petit Parc. Avant la Révolution, le domaine s’étendait en direction des forêts de Marly ou de Saint-Germain en un Grand Parc, domaine de chasses forestières. Et Versailles n’est pas un cas d’espèce. Tous les grands domaines étaient ainsi composés, le Grand Parc de Maisons- Laffi tte par exemple, lorsque le banquier Jacques Laffi tte et le paysagiste Lalos le lotissent en 1833. Il en avait été ainsi lorsque le duc de Choiseul vivait sur son domaine de Chanteloup dont il ne reste aujourd’hui que, la célèbre pagode édifi ée au point de convergence des allées de la forêt d’Amboise.
 


Destinée forestière, destinée horticole…

Un important mouvement de fond a touché aussi bien les forestiers que les paysagistes. La conquête de l’Amérique, en 1492, avait permis de fructueuses comparaisons botaniques entre l’Ancien et le Nouveau Monde : de nombreuses similitudes et quelques nettes diff érences aussi, en particulier dans la diversité et la vigueur des arbres américains qu’on eut bientôt le désir d’essayer chez nous. Déjà l’acacia blanc (Robinia pseudoacacia) avait fait la fortune de l’un de nos premiers pépiniéristes collectionneurs, Jean Robin. Certaines introductions n’auront qu’une fortune horticole. Ce fut le cas du Magnolia grandiflora, introduit en pays nantais il y a précisément trois siècles. D’autres, par leur adaptabilité et leurs performances, représenteront des gains forestiers considérables : c’est évidemment le cas du sapin de Douglas (Pseudotsuga menziesii). Mais la plupart hésiteront indéfiniment entre destinée forestière et destinée horticole, ainsi qu’en témoignent encore nos arboretums de collection et d’observation du XIXe siècle. Pour n’en citer que deux, Aglaé Adanson planta Balaine avec une orientation paysagère tandis que les Vilmorin créèrent Les Barres dans une optique technique et scientifique.
Mieux et moins connu : s’inspirant de la coutume des arbres de Mai, les célébrations révolutionnaires comportèrent obligatoirement la plantation d’Arbres de la Liberté. Une commission spéciale codifi ait les pratiques propres au succès de la reprise. Aux Arbres de la Liberté, appartenant à des essences indigènes, seront également ajoutés des Arbres de la Fraternité, introduits des Etats-Unis. Leur observation en diff érents endroits du territoire français apporte un enseignement précieux pour les forestiers. On évoqua même l’espoir de répartir ainsi des futurs porte-graines !

 

Vague de plantations...

Le mouvement horticole du XIXe siècle, avec cette incroyable vague de plantations qui l’accompagna en France mais aussi dans toute l’Europe, suscita une très forte demande auprès des pépiniéristes. Beaucoup de grands noms de cette profession produisaient indistinctement des jeunes plants forestiers et des sujets horticoles déjà éduqués, des essences à bois et des essences vivrières, des indigènes et des exotiques, des arbres et des arbustes….
Les revues professionnelles horticoles font encore une large place aux préoccupations forestières. Le monde du végétal est en eff et une grande famille… Les choses ont quelque peu changé aujourd’hui et pourtant, l’adoption de clones en production forestière ou l’adoption de balivage à haute densité pour le préverdissement des cités montrent que cette envie de parler de la forêt dans Jardins de France n’est pas tout à fait un hasard.

Les arbres de la liberté

C’est en septembre 1793 que la Convention confia au sous-comité d’agriculture un texte didactique et pratique sur les Arbres de la Liberté. Certains membres du comité, Cels, Vilmorin, Thouin… ne nous sont pas inconnus ! Il sortira de leurs travaux la loi du 3 pluviôse an II.