Les conifères dans l’espace public

Gilles Carcassès

Ce ne sont pas des arbres indigènes, et pourtant leurs imposantes silhouettes dominent les centres villes. Ces vénérables cèdres de l'Atlas ou du Liban, séquoias, ginkgos, cyprès chauves, pins laricio sont hérités des grands parcs de propriétés du XIXe siècle, vaincus par l'urbanisation et soumis aux lotissements.
 

Giratoire Vache noire Arcueil - © G. Carcassès

Giratoire Vache noire Arcueil - © G. Carcassès


Lorsque certaines de ces belles demeures ont été transformées en hôtel de ville ou en bibliothèque, les grands conifères qui les accompagnaient ont souvent été préservés, devenant les éléments majeurs d'un jardin public, d'une rue, d'une place.

Ginkgo, Ravenne - © G. Carcassès Sequoiadendron, Franconville - © G. Carcassès

 

 

Punaise américaine des pins - © G. Carcassès

Punaise américaine des pins - © G. Carcassès

Une punaise dans mon salon ?

Cette visiteuse à l'allure inhabituelle attire mon attention. Assurément une punaise, mais de grande taille, avec de curieux fémurs épineux aux pattes postérieures.
Leptoglossus occidentalis a choisi, avec ses congénères, de passer l'hiver au chaud dans nos bâtiments. Les pins noirs plantés dans beaucoup de villes en grandes masses dans les années 80 ont favorisé la progression de cette intruse qui se nourrit des graines de différentes espèces de pins. C'est d'Amérique qu'elle nous est arrivée, par bateau dans des cargaisons de bois. Du Nord de l'Italie où elle a débarqué en 1999, elle est passée en France en 2005. Elle est maintenant largement répandue dans une bonne partie de l'Europe. Là où elle pullule, elle peut poser problème pour la production de graines des conifères qu'elle consomme : pins, mais aussi épicéas, cèdres, sapins de Douglas. Elle est inoffensive pour l'homme, mais peut, si on la dérange brutalement, émettre une substance à odeur désagréable... de punaise




De nombreux emplois en ville

Dans ces espaces de prestige, de nouveaux conifères sont venus les rejoindre au gré des plantations commémoratives, leur persistance et leur longévité les faisant souvent choisir pour cet emploi. Les grands espaces verts et bien sûr aussi les arboretums accueillent souvent des conifères remarquables plantés isolément ou en petits groupes. Les pépiniéristes spécialisés savent fournir des sujets de grande taille préparés en mottes.

Pinus bungeana au Parc de la Tête d’Or, Lyon - © G. CarcassèsPin en bac préparé pour l’expédition - © G. Carcassès

 

 

 
Un arbre pour mon centre ville

Pour marquer mon mandat, je voudrais un arbre toujours vert, d'une belle prestance, avec un tronc bien droit et un port majestueux ». A ce stade, les conifères ont toutes leurs chances. Mais M. le maire ajoute : « qui fassent aussi des grosses fleurs bien parfumées ». Patatras, c'est le Magnolia grandiflora qui les coiffe tous au poteau ! Et voilà pourquoi nos centres villes sont envahis de ces magnolias, qui rendent si semblables tous ces paysages urbains qui gagneraient tant à cultiver leur histoire et leur terroir.

 

Les conifères en situation d'alignement ne sont pas légions sur nos trottoirs. Quelques nostalgiques des ambiances méditerranéennes osent le pin parasol jusqu'en Île-de-France avec plus ou moins de bonheur. D'autres tentent le pin sylvestre ou le cèdre pyramidal. Nettement moins anecdotiques, les ginkgos ont une vraie place parmi les arbres d'alignement. Leur belle coloration automnale, leur résistance à la pollution, leur silhouette originale sont leurs meilleurs atouts et séduisent nombre de paysagistes. Dans une moindre mesure on rencontre aussi des Metasequoia, comme à Lyon ou à Arcueil.

 

Alignement de cèdres pyramidaux, Poissy - © G. Carcassès Metasequoia, Arcueil - © G. Carcassès Alignement de ginkgos, Aubigny-sur-Nère - © G. Carcassès        

 

Taxodium en jardin de pluie, Rueil-Malmaison - © G. Carcassès

Les jardins de pluie destinés au recueil des eaux de ruissellement ont aussi leurs conifères : les cyprès chauves adaptés aux sols humides réussissent à merveille dans ces cuvettes d’infiltration. (Taxodium en jardin de pluie, Rueil-Malmaison - © G. Carcassès)


Les conifères sont aussi présents dans la gamme des arbustes couvre-sols, prisés par les concepteurs de l'aménagement public pour habiller les talus. De nombreux cultivars de Juniperus conferta, horizontalis, procumbens, chinensis sont ainsi proposés pour ces situations. On se méfiera cependant de certaines variétés comme les Juniperus X pfitzeriana qui prennent avec l'âge une forme étagée et des proportions souvent peu compatibles avec les espaces qui les accueillent.


Attention : dangers !

L'if, conifère indigène commun en France est souvent cantonné dans les formes taillées en cônes pour orner les cimetières et les jardins à la française. C'est pourtant un grand arbre de parc aux nombreuses qualités : une taille adulte imposante, une extrême longévité, une bonne résistance aux ravageurs et aux maladies. En  haie taillée, il est bien plus recommandable que le thuya ou le cyprès de Leyland, car il n'est pas attaqué par les buprestes qui font tant de ravages et anéantissent bien des haies de ces espèces.

Mais c'est un arbre très toxique dans toutes ses parties, hormis la pulpe sucrée de ses arilles rouges portées par les pieds femelles. On rencontre parfois des ifs dans des aires de jeux ou des jardins d'établissements accueillant des enfants, et c'est bien imprudent quand on connaît la terrible toxicité des graines logées au chœur des douces et bien tentantes arilles.


If au Parc de Bagatelle, Paris - © G. Carcassès

If au Parc de Bagatelle, Paris - © G. Carcassès


Le concepteur doit aussi prendre en compte le risque allergique dans le choix de ses plantations. Le réseau National de Surveillance Aéroboliogique établit chaque semaine un bulletin d'alerte et la carte des risques liés à l'émission des pollens des cyprès de Provence, espèce qui pose un vrai problème de santé publique dans son aire de répartition. Dans une moindre mesure, les genévriers cades sont aussi facteurs d'allergies respiratoires.

 

Des formes pittoresques pour étonner le public

La mode des conifères taillés en nuage les fait sortir de leur emploi habituel en jardins japonisants, où ils tentent de figurer les niwakis[1] d'inspiration zen. Arbres sculptés de façon tourmentée, ils ressemblent en fait à des bonsaïs géants. On les rencontre parfois dans des jardins contemporains, des promenades piétonnes, et même des ronds-points, hauts lieux du fantasme jardiné. C'est souvent le pin sylvestre qui est utilisé pour ces productions. Des Juniperus, Cupressus, Chamaecyparis et d'autres espèces de pins peuvent aussi être travaillés de cette façon. D'autres espèces sont prisées pour leur forme exotique ou surprenante : les araucarias, le Taxodium ascendens nutans à l'aspect plumeux, le Cryptomeria japonica globosa en gros coussin très dense...Qui lancera la mode du ginkgo pleureur en salle d'ombrage ?


Pin nuage au Jardin japonais de l’Ile de Versailles, Nantes - © G. Carcassès Pin nuage sur un rond-point, Jouy-le-Moutier - © G. Carcassès

Taxodium ascendens nutans à l’Arboretum de Chèvreloup - © G. Carcassès Cryptomeria japonica globosa à l’école du Breuil, Paris - © G. Carcassès

Ginkgo pleureur, Ravenne - © G. Carcassès

Ginkgo pleureur, Ravenne - © G. Carcassès


[1] Arbres taillés ou conduits selon un art traditionnel japonais de façon à recréer dans les jardins des paysages admirés dans la nature. Littéralement, « niwa » signifie jardin et « ki » signifie arbre, en japonais.