Les cochenilles : ces vieilles ennemies du jardinier

Jean-François GermainPhilippe Kreiter

Les cochenilles constituent une importante super-famille d’insectes de l’ordre des Hémiptères. Elles se développent sur toutes les parties de leurs plantes-hôtes : feuilles, tiges, branches, troncs, fruits ou racines, parfois sous les écorces et peuvent même provoquer des galles. Au cours de leur évolution, elles ont établi des associations étroites avec leurs hôtes. Un peu plus de 400 espèces sont présentes en France, distribuées dans 18 familles, dont quatre sont prépondérantes : les Pseudococcidae, les Diaspididae, les Coccidae et les Eriococcidae, qui constituent 90 % de l’ensemble. Sur ce nombre, une centaine d’espèces sont des nuisibles occasionnels et plusieurs espèces sont des ravageurs permanents d’importance économique. Un quart des espèces présentes en France sont d’origines exogènes, importées la plupart du temps via le commerce des plantes et, parmi les espèces considérées comme ravageurs en France, la moitié est arrivée depuis moins d’une centaine d’années. C’est le cas, par exemple, de la cochenille australienne, Icerya purchasi, ou du pou de San José, Comstockaspis perniciosa, arrivés tous les deux dans la première moitié du XXe siècle. Mais toutes ne sont pas nuisibles, certaines ont été utilisées pendant des siècles pour la production de colorants et de laques comme Kermes vermilio et Dactylopius coccus.

Cochenille © Aukid Adobe stock

Leur mode de reproduction

Les cochenilles sont des insectes avec un dimorphisme sexuel très marqué. Les femelles sont aptères, de petite taille (de 0,5 à 10 mm), et présentent un corps ovale ou circulaire, plat à convexe, sans distinction de tête, thorax et abdomen. La plupart du temps elles sont sédentaires. Elles peuvent vivre de quelques mois à plusieurs années. Les mâles adultes sont très petits (0,5 mm). Habituellement pourvus d’une paire d’ailes à nervation très réduite et d’une paire de balanciers, leurs pièces buccales sont absentes ou rudimentaires. Ils ne se nourrissent pas et sont présents le temps d’assurer la reproduction. Dès leur émergence, les mâles sont attirés par les phéromones émises par les femelles et vont s’accoupler avec celles-ci. Elles produisent alors d’une dizaine d’oeufs à plusieurs milliers. Elles pondent leurs oeufs dans une cavité délimitée par leur corps ou dans un ovisac attaché à celui-ci, ou bien les conservent dans leur tractus génital. Les larves ressemblent aux adultes et ont le même mode de vie que la femelle adulte. Chez le mâle, le développement est à métamorphose complète.

Les jeunes larves sont très mobiles sur la plante-hôte. Elles peuvent facilement être emportées par le vent et/ou transportées par des fourmis, voire par l’homme. On trouve là le mode principal de dissémination de l’insecte. La larve se nourrit en enfonçant ses stylets (pièces buccales) dans les tissus de la plante-hôte. Voici trois espèces, appartenant chacune à l’une des trois principales familles.

Pseudococcus viburni – © J.-F. Germain
Saissetia oleae – © J.-F. Germain

Les Pseudococcidae avec Pseudococcus viburni (Signoret)

Les Pseudococcidae sont plutôt de forme allongée avec des pattes et des antennes bien développées. Leur corps est couvert d’une pruinosité souvent blanche et le corps ornementé, sur son pourtour, de filaments cireux plus ou moins longs. Ces espèces présentent plusieurs générations par an, qui se chevauchent, car tous les stades peuvent hiverner avec, tout de même, une majorité de femelles.

Les Coccidae avec Saissetia oleae (Olivier)

Les femelles adultes sont de forme ovale allongé, le plus souvent convexe, quelquefois aplaties, avec un exosquelette dur et lisse. Les pattes sont en général bien développées. La plupart deviennent globuleuses en vieillissant.

Saissetia oleae connaît une seule génération par an. Ses prélèvements de sève peuvent causer des dommages directs aux plantes. Absorbant une grande quantité de phloème pour en consommer les acides aminés, les femelles éliminent le surplus de sucre sous forme de miellat (souvent exploité par les fourmis). Ce miellat peut recouvrir les feuilles et les fruits, permettant le développement de fumagine. Il peut y avoir réduction de la photosynthèse avec des conséquences sur la fructification. La qualité esthétique des productions ornementales peut également être dévaluée. Les Pseudococcidae et les Coccidae peuvent également être vecteurs de virus.

Les Diaspididae avec Pseudaulacaspis pentagona (Targioni, Tozzetti)

La femelle possède un bouclier protecteur composé de sécrétions et des exuvies larvaires. Il la recouvre simplement mais peut parfois la contenir entièrement. Son corps est dépourvu d’yeux. Les pattes sont absentes ou rudimentaires, tout comme les antennes. Les derniers segments du corps sont ornementés de palettes, de peignes ou d’épines glandulaires.

Les Diaspididae ne sécrètent pas de miellat mais peuvent provoquer des décolorations de feuilles, des taches rouges ou noires sur les fruits, ainsi que le dépérissement des tiges.

Généralement les Diaspididae hivernent au stade femelle, à l’exception de certaines espèces comme le pou de San José, qui hiverne à un stade larvaire.

Comme tous les insectes, les cochenilles sont exothermes et leur vitesse de développement, ainsi que le nombre de générations, variera en fonction de la température. Des espèces comme Pseudaulacaspis pentagona, qui connaîtra une seule génération dans la partie septentrionale de la France, en verra trois dans le Sud (voire quatre ou cinq en Corse).

Pseudaulacaspis pentagona – © J.-F. Germain
Femelle de Lepidosaphes ulmi, ou cochenille virgule du pommier, sur olive – © Jean Drescher, Inra

La lutte

L’observation est primordiale pour réussir à limiter les populations de ces ennemis des jardins.

Les Diaspididae se regroupent souvent les unes avec les autres, formant ainsi de véritables encroûtements. Des traitements à base d’huile de paraffine ou végétale sont recom-mandés en hiver afin de créer une pellicule qui va les asphyxier. D’autres, à base de savon noir, au moment de l’émergence des larves, viendront compléter la lutte. Cette pellicule de savon noir desséchera les larves dépourvues de bouclier protecteur.

Contre les Pseudococcidae et les Coccidae, qui sécrètent du miellat, ces traitements à base de savon potassique nettoieront également la fumagine sur le végétal. Le nombre de traitements variera en fonction du nombre de générations.

Pour les arbres à feuilles caduques, un traitement en hiver à base d’eau à haute pression viendra décoller les individus hivernants logés dans les interstices du tronc, sectionnant les stylets buccaux et entraînant leur mort. La ponte printanière s’en trouvera d’autant plus réduite.

Les ennemis naturellement présents dans l’environnement jouent un rôle crucial dans la limitation des cochenilles. Parmi ceux-ci, on retrouve des microguêpes parasites qui pondent dans le corps des cochenilles, dévorant ainsi chaque individu de l’intérieur pendant leur développement. Une fois émergé, ce parasitoïde adulte se nourrira de nectar de fleurs. Les coccinelles sont aussi de véritables alliées du jardinier. Elles arrivent souvent au moment où les populations de cochenilles sont importantes, contrairement aux parasitoïdes. D’autres, plus discrets, jouent aussi un rôle prépondérant dans la limitation des populations comme les pince-oreilles, les chrysopes ou mêmes les guêpes, importants prédateurs de jeunes larves.

Si les populations d’ennemis naturels ne sont pas assez importantes, on peut essayer de les renforcer en achetant des auxiliaires auprès des jardineries. Mais souvent, la spécificité de leurs régimes alimentaires rend difficile le choix des insectes à introduire.

À LIRE…

– Germain J.-F. 2011. Les cochenilles, voyageuses au long cours. Présentation de ces fausses sédentaires, de leur taxonomie aux espèces nuisibles en France. Phytoma. 647 : 31-34.

– Scalenet, base de données internationale dédiée aux cochenilles : http://scalenet.info/