Les chauves-souris : une réputation à corriger

Longtemps les chauves-souris ont eu mauvaise réputation. Cela venait-il du fait que les vampires sont souvent représentés se transformant en un nuage de ces petits mammifères ? De leur vol erratique qui leur donnait la réputation de s’accrocher dans les cheveux ? Récemment, il s’est dit qu’elles étaient à l’origine de la propagation de la Covid-19.
Il est temps de tordre le cou aux vieilles légendes.

Un oreillard gris © M. Jay - CTIFL
Un minioptère de Shreibers © M. Jay - CTIFL
Un molosse de Cestoni © M. Jay - CTIFL
Un petit rhinolophe © M. Jay - CTIFL

Qui sont-elles ?

La France héberge 34 espèces de chauves-souris. Le Sud, chaud et riche en cavités, abrite globalement des populations plus abondantes que le reste du pays. Toutes les espèces sont protégées. Parmi ces espèces de chiroptères, souvenons-nous des pipistrelles, des rhinolophes, des sérotines, des noctules et des oreillards. Les pipistrelles communes et de Kuhl, les premières à sortir chasser le soir, sont les plus faciles à voir près des habitations. Elles alternent les vols directs ou circulaires et les brusques crochets à la poursuite des insectes. Les noctules et les sérotines volent plus haut au dessus des grands arbres, des plans d’eau et le long des lisières. Les murins de Daubenton et de Capaccini s’observent en chasse, au ras de l’eau calme, avec une lampe électrique. Mais la plupart des espèces se dispersent dans l’environnement avec une grande discrétion. Les chauves-souris émettent des ultrasons à un rythme régulier se propageant devant l’animal et se répercutant sur les objets. Elles analysent le retour d’écho et en déduisent sa nature et sa position : proie, obstacle ? On parle d’écholocation. Les chiroptères chassent également à l’écoute et à la vue.

Des structures paysagères hétérogènes et bien connectées entre elles favorisent les échanges entre populations. La présence de grands arbres, d’eau et de gîtes (anthropiques ou non) garantit une bonne diversité. En Europe, la plupart des espèces demeurent forestières. Dans les milieux agricoles, bien que localement le peuplement puisse être qualitative- ment important (19 espèces, par exemple, sont enregistrées dans les vergers de Costières du Gard et de la plaine camarguaise), une à trois espèces seulement composent l’essentiel des effectifs. Il s’agit des pipistrelles de Kuhl, commune et pygmée, qui chassent toutes le long des lisières.

 

Des auxiliaires efficaces

Dès le début du XXe siècle, les chiroptères ont motivé des actions de lutte biologique, soit sur le plan médical (lutte contre le vecteur du paludisme), soit sur le plan agricole (lutte contre les ravageurs des cultures). Ainsi, de nombreux ravageurs figurent au menu des espèces de chauves-souris qui, à ce titre, doivent être pleinement intégrées au cortège des auxiliaires. Les diptères et les lépidoptères sont principalement consommés car très abondants. Certaines chauves-souris sont des spécialistes, d’autres des généralistes, mais presque toutes sont très opportunistes.

Gîte Boulay en aggloméré hydraulique © M. Jay - CTIFL
Gîte plat simple loge © M. Jay - CTIFL

Ainsi, 23 familles d’insectes sont reconnues dans les crottes de la pipistrelle commune et 137 espèces différentes sont consommées par l’oreillard gris. Grâce à la mise au point des détecteurs à ultrasons, nous connaissons mieux les performances de chasse des chauves- souris. Une pipistrelle commune peut consommer plus de 3000 insectes par nuit avec un taux de capture maximal de 7 à 10 insectes par minute. Il faut noter que certains lépidoptères, coléoptères et chrysopes ont développé des organes sensibles aux ultrasons des chauves-souris : en leur présence, ils tombent au sol ou s’enfuient. Parmi les insectes consommés, le CTIFL a mis en évidence, la cicadelle pruineuse (Metcalfa pruinosa), un ravageur émergent en arboriculture et cultures ornementales. Les progrès accomplis en analyses génétiques moléculaires, permettent des détections efficaces et ciblées de ravageurs dans les crottes de pipistrelles. On y a notamment identifié de la mouche de l’olive (Bactrocera oleae), du carpocapse (Cydia pomonella) et de la tordeuse orientale du pêcher (Grapholita molesta).

Des travaux engagés sur la vigne montrent aussi une prédation de plusieurs espèces de chauves-souris sur les tordeuses de la vigne, avec des taux élevés de crottes positives. D’autres techniques ont permis de détecter la noctuelle de la tomate (Helicoverpa armigera), la droso- phile suzuki (Drosophila suzuki) et la processionnaire du pin (Thaumetopoea pityocampa). L’invasive pyrale du buis (Cydalima perspectalis) se trouve également au menu de certaines espèces. La pipistrelle et ses congénères sont donc les alliées des arboriculteurs, maraîchers, viticulteurs et autres jardiniers.

Préserver les zones de chasse

Pour les préserver, il faut d’abord protéger leurs zones de chasse et leurs habitats naturels. Ainsi, les haies de toutes sortes demeurent capitales pour les chauves-souris. Selon une étude conduite au CTIFL, il y a en moyenne quatre fois plus de contacts acoustiques de chauves-souris le long des haies qui bordent les vergers qu’au dessus des vergers eux-mêmes. La réduction des traitements, l’enrichissement en biodiversité et l’amélioration de la connectivité avec les éléments paysagers sont des éléments favorables à la préservation des chauves- souris, de même que le maintien des plans d’eau prisés par les insectes et utilisés comme abreuvoir. L’installation de mares reste donc un aménagement pertinent qui bénéficiera aussi à un grand nombre d’autres animaux.

Protéger les gîtes naturels et anthropiques

Les grandes cavités, comme les grottes, tunnels désaffectés, mines, carrières, champignonnières… peuvent accueillir un grand nombre d’espèces en particulier en hibernation où leur tranquillité est impérative. Les cavités d’arbres constituent aussi une source importante de gîtes. La conservation des grands et vieux arbres reste donc prioritaire. Plusieurs espèces installent leurs colonies dans des bâtiments car les animaux interprètent les espaces de différentes façons. Un joint de dilatation dans un mur équivaut à la fissure  d’une falaise, un vide sanitaire à une cavité souterraine… Les combles sont des espaces très prisés. On peut réaliser différents aménagements pour favoriser les chauves-souris, comme ouvrir des trous au burin à la base de parpaings creux.

Gîte tronc en volume, avec bol de récupération des crottes © Michel Barataud

Poser des gîtes artificiels

Les besoins des chauves-souris varient s’il s’agit de mâles isolés, de femelles gestantes, de mères élevant leurs jeunes ou d’individus recherchant un site d’hibernation. Il n’existe donc pas de gîte artificiel universel pour les chauves-souris. La réponse pratique est un panachage des modèles et des situations de pose mais la réussite n’est jamais garantie. Il existe plusieurs types de nichoirs en bois.

Le modèle plat reproduit l’espace d’un derrière de volet. Peint extérieure- ment en noir, il attire les pipistrelles. Les planches doivent être les plus grossières possible ou striées pour permettre l’accrochage des animaux. Le nichoir bûche utilisé pour les oiseaux peut convenir pour les chauves-souris. Il s’agit d’un morceau de tronc évidé dont l’accès peut être un trou calibré en façade (en haut ou en bas) ou une fente latérale. Les gîtes en béton de bois ou en aggloméré hydraulique léger offrent de nombreux avantages. Leur durée de vie est quasi- ment illimitée et leur nettoyage facilité par une porte spécifique.

Ces abris doivent toujours être fixés à mi ombre. Pour la pose des gîtes, il faut privilégier les haies, les zones forestières riches en insectes et les fonds de vallée. La hauteur retenue est généralement de 3 à 4 mètres. Les gîtes ne doivent pas se balancer. Ils peuvent être placés en fin d’automne par groupe de trois ou quatre.

 

Michel Jay et Jean-Michel Ricard
Direction recherche, innovation et expertise, équipe fruits, CTIFL

LA PIPISTRELLE, CHAUVE-SOURIS DES VILLES

La pispistrelle, chiroptère urbain dont l’espèce est protégée, se régale de petits vers © G. San Martin – CC BY-SA 2.0

Elles ont eu chaud, les pipistrelles (Pipistrellus pipistrellus) de la Petite Ceinture, à Paris. Bien installée dans un tunnel d’une ancienne voie ferrée dans le XIVe arrondissement, cette espèce protégée a posé des problèmes aux concepteurs de la « promenade plantée », coulée verte construite sur le tunnel. Le cahier des charges était strict pour la réalisation des travaux afin de respecter la vie de ces chiroptères dont le corps ne dépasse pas 5 cm et ne pèse qu’entre 3 et 8 grammes. Pas question de déranger ces demoiselles par des vibrations de marteaux-piqueurs ou autres engins de démolition pendant leur hibernation, entre le 15 octobre et le 1er avril. Parmi les autres contraintes du cahier des charges, on note : « Plantation d’essences indigènes lors de l’aménage- ment de la promenade en favorisant les corridors de déplace- ment et terrain de chasse pour les chiroptères ; maintien de la végétation existante à l’entrée du tunnel ; entrée à laisser dans l’obscurité ; limiter les éclairages sur la promenade plantée par la mise en œuvre d’une « trame noire » pour les espèces de chauve-souris lucifuges. » Même l’ONF, l’Office national des forêts, y est allé de ses préconisations. Au final, les travaux terminés, les pipistrelles ont résisté et continuent leur vie, tranquilles !

 

Jean-François Coffin