Le verger maraîcher : un laboratoire à ciel ouvert pour les étudiants d’Agrocampus Ouest

En plus d’être durables, les modèles de production à développer par les jeunes ingénieurs choisissant les filières de l’agronomie devront aussi être résilients et diversifiés pour répondre aux évolutions rapides des demandes sociétales. Le verger maraîcher des étudiants d’Agrocampus Ouest, à Angers, constitue un modèle d’étude particulièrement adapté pour se confronter à ces nouveaux défis. Il oblige à dépasser la seule acquisition de compétences disciplinaires pour s’efforcer de les combiner et aller vers des approches globales.

Avec la mise en place de quelques protocoles de suivi et d’une instrumentation minimale, le verger maraîcher va servir de petit laboratoire à ciel ouvert © Comité de pilotage du verger maraîcher

E n 2017, en transformant un ancien verger pédagogique en une parcelle agroforestière de type verger maraîcher, un petit groupe d’étudiants, techniciens et enseignants d’Agrocampus Ouest a souhaité se doter d’un terrain de jeu grandeur nature pour mieux comprendre la complexité du fonctionnement d’un tel système. D’une superficie de 1500 m2, au cœur même de l’école, des étudiants volontaires en assurent la gestion avec le soutien d’un comité de pilotage, et font ainsi vivre, pour l’ensemble de la communauté, un véritable « AgroLab » qui prend tout son sens dans la formation des ingénieurs de demain.

 

Raisonner les choix de cultures du verger maraîcher : une combinatoire espace-temps complexe

Maximiser l’occupation de l’espace et répartir la production dans le temps peut paraître une pratique ancestrale de base du jardinier, comme dans le bel exemple du jardin-créole(1*). Et pourtant, la transformation de cette approche empirique en exercice pédagogique durant lequel il va s’agir d’argumenter et de justifier chaque choix de mise en culture peut devenir un redoutable exercice intellectuel! Définir chaque année le planning de culture, c’est viser à optimiser le partage des ressources (eau, minéraux, lumière) entre de multiples végétaux au fonctionnement très différent allant des arbres pérennes de grande taille à des cultures légumières de quelques centimètres à cycle court.

Cet exercice demande à la fois une très bonne connaissance des caractéristiques propres à chaque espèce fruitière et légumière mais aussi une bonne capacité de synthèse et d’intégration de ces éléments ainsi qu’une vision globale des rotations et successions culturales sur plusieurs années. Dans le cadre d’un établissement où tous les étudiants reçoivent une formation minimale sur les outils des métiers du paysage, l’élaboration de ce « design » parcellaire complexe est aussi l’occasion de mobiliser des outils de cartographie.

La pose de quelques pièges permet de comprendre qu’une « simple » relation entre un auxiliaire et un ravageur n’est pas efficace sans la présence simultanée des deux protagonistes sur le même plant  © Comité de pilotage du verger maraîcher

Conduire le verger maraîcher sur les bases de l’agroécologie : hiérarchiser avec rigueur les interactions positives

En misant sur les régulations naturelles entre organismes et en s’inspirant du fonctionnement des écosystèmes faiblement anthropisés, l’agroécologie est porteuse d’espoirs pour minimiser les impacts des cultures sur l’environnement(2*). Néanmoins, sur le terrain, l’application de ces concepts de régulation naturelle n’obtient pas toujours les résultats escomptés, du fait, le plus souvent, d’une compréhension imparfaite des processus en jeu. Le verger maraîcher est un lieu privilégié pour s’interroger sur l’expression effective de ces régulations et interactions. Avec la mise en place de quelques protocoles de suivi et d’une instrumentation minimale, il va servir de petit laboratoire à ciel ouvert. Ainsi la pose de quelques pièges permet de comprendre qu’une « simple » relation entre un auxiliaire et un ravageur n’est pas efficace sans la présence simultanée des deux protagonistes sur le même plant.

Au-delà de ce constat, le travail de détermination des conditions favorables à cette présence simultanée devient un nouveau défi à relever. Dans un autre domaine, la pose de capteurs mesurant l’ombrage des arbres sur les cultures maraîchères permet d’évaluer les différences avec les situations plus méridionales et de comprendre les causes des effets parfois moins positifs de cet ombrage dans d’autres zones géographiques. Une attention particulière (thèse en cours) est aussi portée au fonctionnement du sol dans un tel système et plus particulièrement l’effet des arbres, de leurs systèmes racinaires structurants et de leur apport en matière organique via la litière foliaire ou la rhizodéposition. Ainsi, autour de cette parcelle, les étudiants ont l’opportunité d’observer, de se poser des questions, et de tester leurs hypothèses: c’est une initiation à la démarche expérimentale rigoureuse qu’ils devront, demain, mettre en œuvre dans leur vie professionnelle.

Il aura fallu aux intervenants s’accorder sur le design du parcellaire du verger maraîcher © Comité de pilotage du verger maraîcher

Développer de nouvelles visions des métiers de conseiller

La création de cet espace a aussi permis de mettre en exergue tout l’intérêt du partage des connaissances et compétences entre les étudiants (diverses promotions), les techniciens et les enseignants (toutes disciplines). Outre le caractère convivial et fédérateur au sein de l’école, ces échanges permettent de réfléchir à une question largement débattue parmi les agronomes en charge de l’accompagnement vers la transition agroécologique: comment construire et transmettre sans trop de délais des connaissances fiables et des pratiques appropriables par tous?

En cohérence avec les travaux récents des sociologues de la transition, l’expérience du verger maraîcher montre qu’il est possible et souhaitable de dépasser les démarches de prescription « top-down » obsolètes, pour aller vers des démarches plus participatives où les mots-clefs deviennent « animation de réseaux », « traque d’innovations », « expérimentation système ».

Ainsi, parallèlement à l’espace-test agronomique, le principe de l’écoute mutuelle, adopté dès la conception du verger maraîcher, permet de faire vivre un espace-test métier pour les futurs acteurs du conseil en horticulture.

L’expérience va se poursuivre. Mise en jachère depuis trois ans, une parcelle attenante de taille équivalente a déjà été le support de plusieurs ateliers de conception et de débats intenses pour développer un nouvel espace-test! Une première implantation est prévue en automne 2020, toujours en agroforesterie mais avec quelques surprises : la suite au prochain épisode !

Le comité de pilotage du verger maraîcher

 

 

(1*) Voir l’article de Harry Osier-Lafontaine.
(2*) Voir l’article de Stéphane Bellon.