Le réseau hydraulique du domaine royal de Meudon : 341 ans d’histoire, 20 ans de découvertes et de restaurations

Au domaine royal de Meudon, Louvois fait aménager, à la fin du XVIIe siècle, des jeux d’eau à l’image de ceux de Versailles, grâce à de considérables avancées techniques. Plus de trois siècles plus tard, une association créée par un passionné valorise ce patrimoine exceptionnel.

 

Michel Le Tellier
Le 31 octobre 1679, Michel Le Tellier, marquis de Louvois devient seigneur et propriétaire de Meudon © D.R.

 

En 1679, Louvois devient le maître du château de Meudon (Hauts de-Seine) et désire, pour son parc, créer « un Versailles en miniature ». En 1680, la construction du château de Versailles et de son parc s’achève. La composition des jardins à la française, dont Le Nôtre est le génial concepteur, est caractérisée par un élément traditionnel, l’eau. Les frères Francini vont la présenter en une incroyable diversité de formes et de volumes. Eau structurante : le Grand Canal. Eau horizontale : bassins, canaux. Eau bouillonnante issue des fontaines. Mais l’événement totalement nouveau par son amplitude, sa force, sa densité, sera « l’eau verticale », perçue dès ce moment comme l’apparition de véritables monuments d’eau!

C’est bien l’élément décisif qu’est la montée vers le ciel de jets d’eau puissants qui s’épanouissent à de grandes hauteurs, et ceci pour la première fois au monde ! Lances, jets, bouillons, cascades et nappes rivalisent de beauté, convoités par le monde entier. L’industrie participera à cette innovation de façon décisive.

 

 

Ce sont les forges de Normandie qui, en 1674, vont, probablement par le gain de quelques degrés de température, obtenir une fonte plus fluide. Il devient alors possible, en modifiant la forme des moules, d’obtenir à la coulée les mêmes tuyaux cylindriques, mais dotés d’une collerette aux deux extrémités. Ces collerettes permettront un assemblage par vis et écrou, afin d’offrir à la conduite ainsi constituée une résistance aux pressions les plus élevées que ne permettaient pas les simples emmanchements en force des tuyaux de bois, terre cuite ou fonte.

Deux chateaux
Les deux châteaux de Meudon et les jardins au début du XVIIIe siècle © D.R.

Louvois veut, pour son parc, « un Versailles en miniature »

Sur les 2 000 hectares du domaine de Louvois, les ingénieurs vont réaliser un réseau hydraulique gigantesque permettant l’acheminement de l’eau par gravité jusqu’aux jardins hauts et bas du château, ornés d’une multitude de fontaines et bassins. Ce réseau sera édifié entre 1680 et 1682, soit seulement trois ans ! Trois réseaux distincts sont construits : au nord, celui des Bruyères de Sèvres, les deux autres au sud alimentent les réservoirs du Loup Pendu, de Villacoublay, du Tronchet et des Fonceaux. Au total, près de 50 kilomètres de rigoles principales et secondaires sont creusés, neuf aqueducs souterrains construits, représentant un linéaire de l’ordre de 5 000 mètres.

Le principe en est très simple : les eaux de pluie sont collectées sur les 2 000 hectares des plateaux de Vélizy et Villacoublay, acheminées et stockées dans les grands étangs-réservoirs grâce au réseau de rigoles et d’aqueducs souterrains. Deux réseaux hydrauliques connectés entre eux permettent une alimentation continue en eau: un réseau « aérien », qui suit les courbes de niveau avec une faible pente, et un réseau dit « technique », partiellement enterré, avec neuf aqueducs au tracé en ligne droite.

La création des jets d’eau de grande hauteur exigés par le marquis de Louvois nécessite, pour les alimenter, la réalisation du Réservoir Neuf. Construit sur l’un des points hauts du parc, il se présente sous forme d’un carré, d’une cinquantaine de toises de côté (environ 100 mètres), dont les côtés sont constitués de deux murs parallèles en meulière d’une hauteur de 4,50 mètres.

Une étanchéité absolue est garantie grâce au joint d’argile introduit entre les deux murs. Son remplissage est assuré par un système ingénieux. Deux moulins à vent, situés à Villebon, entre l’étang du Tronchet et la maison du fontainier, actionnent des pompes à pistons qui refoulent l’eau depuis le sol jusqu’à une quinzaine de mètres de hauteur dans une petite bâche en plomb, d’où elle s’écoule dans le Réservoir Neuf. La description de ces moulins figure dans la Grande Encyclopédie de Diderot et d’Alembert mettant en lumière leur caractère innovant.

On peut observer, en visitant l’exposition au Musée d’art et d’histoire de Meudon, les maquettes fonctionnelles de ces moulins. De nombreux ponts sont construits afin de permettre le franchissement des rigoles par les « routes de chasse ». Mais, très vite, dès le milieu du XVIIIe siècle, le domaine de Meudon souffre d’un manque d’entretien criant et la nature reprend ses droits : les broussailles encombrent les rigoles, les conduites se bouchent, lorsqu’elles ne sont pas volées…

Moulin de Meudon
Le Moulin de Meudon, décrit en détail dans L'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences et es arts et des métiers éditée de 1751 à 1772 © D.R.
Carte des rigoles
Carte des rigoles, de l'aqueduc du croisement et des routes de la Parcelle 39 © D.R.

La redécouverte du réseau et la création de l’Arhyme

Gravure
Gravure d’Adam Pérelle montrant les deux moulins, la tour réservoir et la maison du fontainier © D.R.

 

 

La redécouverte de ce réseau est l’œuvre de Jean Ménard. Adolescent, habitant Meudon, il aime explorer la forêt et ce sont les aqueducs souterrains qui attisent le plus sa curiosité.

Jean Ménard en explore, avec des camarades, quelques mètres au gré des accès à découvert. De nombreuses années plus tard, il se passionne pour ces vestiges en effectuant un intense travail de recherche dans différentes bibliothèques et services d’archives.

 

Le statut royal du domaine a permis que beaucoup de cartes et documents d’époque ont été conservés. Pour pérenniser ses découvertes et les approfondir directement sur le terrain, Jean Ménard crée l’Arhyme en 2003 (Association pour la restauration du réseau hydraulique du Domaine royal de Meudon) avec pour ambition, la sauvegarde, l’entretien et la valorisation de ce patrimoine remarquable.

Une activité intense de redécouverte

Restauration pierres taillées du dalot
Restauration et remise en place d’une des pierres taillées du dalot n° 2, route du mail © Arhyme

 

 

 

Les premières explorations des aqueducs sont effectuées dès 1999, puis sont poursuivies par l’Arhyme entre 2004 et 2021.

L’intense activité associative mobilise nombre d’amateurs qui, régulièrement, participent à la restauration d’ouvrages d’art tels que ponts, ponceaux, aqueducs souterrains, étangs-réservoirs.

 

 

Travail de débroussaillage
Travail de débroussaillage: les vieux arbres tombés en travers de la rigole sont déplacés © Arhyme

 

 

L’entretien du réseau, « tous les lundis matins », par l’équipe des débroussailleuses et débroussailleurs bénévoles, permet ainsi son accès et sa mise en valeur.

Des visites guidées sont régulièrement organisées pour faire connaître ce patrimoine exceptionnel (notamment lors des Journées européennes du patrimoine) avec un parcours de près de quatre kilomètres permettant de découvrir les anciens réservoirs, les treize ouvrages restaurés (ponts, aqueducs, anciens déversoirs…), des dalles de regards des aqueducs, le réseau des rigoles…

Pont de la Fosse Renault
Pont de la Fosse Renault © Arhyme

Vingt-et-un panneaux explicatifs sont réalisés et installés sur Meudon et Vélizy-Villacoublay (Yvelines), avec le soutien de I’ONF, afin de faire connaître l’histoire des vestiges de ce patrimoine. Cette activité d’entretien et de restauration est complétée par une intense activité de diffusion des connaissances, de recherche de financements et de mécénat. Sans ces actions, la rénovation des ouvrages d’art et des aqueducs n’aurait pu avoir lieu.

Vue de la rigole
Vue de la rigole de dérivation de Vélizy un jour de pluie © Arhyme
Aqueduc
Aqueduc de la Grange Dame Rose: sa galerie est formée de deux piédroits en meulière, espacés de 90 cm, surmontés d'une voûte en plein cintre, exploré sur 710 mètres © Arhyme

Alain Le Borgne
Membre de la SNHF

 

Merci à Jean Ménard, président et fondateur de l’Arhyme, à Pierre Durand, président d’honneur, et à Gérard Lepère, secrétaire de l’Arhyme, qui nous ont aimablement autorisés à utiliser leurs nombreuses publications pour rédiger ce texte.

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