Le porte-greffe fruitier : un indispensable à mieux connaître

Sandrine Codarin

Figure 3 : La résistance ou la tolérance aux maladies et parasites principaux est un enjeu majeur des porte-greffes. Ici, attaque de pucerons lanigères sur partie aérienne d’une variété greffon de pommier – © Ctifl

Les arbres fruitiers résultent d’un assemblage par greffage d’une partie aérienne – le greffon – et d’une partie partiellement souterraine – le porte-greffe (P-G) (figure 1). Le P-G est multiplié très majoritairement par voie végétative mais aussi par semis. Par exemple, les francs, issus de semis de pépins de pommier, utilisés comme P-G confèrent une vigueur importante aux variétés greffées. La station anglaise d’East Malling a réalisé, à partir du début des années 1900, d’importants travaux de sélection de P-G du pommier qui ont donné naissance à de célèbres P-G conférant une gamme de vigueur variée répondant à de larges conditions de vergers : M 7, M 106, M 26, M 9,… Ceux-ci ont été sélectionnés à partir de populations de P-G utilisés à l’époque dans différents pays : Paradis Noir, Paradis Jaune de Metz, Doucin de Fontenay. Ils sont encore largement utilisés dans les vergers. Des expériences de culture de variétés sur leurs propres racines ont été tentées avec succès, par exemple avec les variétés de poirier Williams et Harrow sweet cov. Toutefois, les variétés de pommier et de poirier, généralement peu aptes au bouturage horticole, doivent être multipliées in vitro, contrainte technique et financière.

Intermédiaire avec le sol

classification des principaux porte-greffes du pommier
Tableau 1 : classification des principaux porte-greffes du pommier en fonction de leur niveau de vigueur (Masseron A. 1989).

Le P-G joue le rôle d’intermédiaire entre le sol, source d’eau et de nutriments, et la variété, qui produit les fruits. Le rôle du P-G a été démontré depuis longtemps même si de nombreux mécanismes restent encore méconnus. Il a une influence directe sur les caractéristiques de l’arbre, la mise à fruit et la productivité, les caractéristiques du fruit.

point-de-greffe
Figure1 : aspect du point de greffe : M 9 – Pajam ®2 Cepiland – © Ctifl

Le P-G doit être adapté aux caractéristiques du sol et du climat. En particulier pour le poirier, espèce pour laquelle deux types de P-G peuvent être utilisés : ceux appartenant au groupe des cognassiers et ceux appartenant au groupe des poiriers. Les types poirier supportent moins bien l’asphyxie racinaire que les types cognassier mais ces derniers sont plus sensibles à la chlorose ferrique due à un excès de calcaire dans le sol (taux supérieur à 8 %).

Le P-G régule la vigueur des arbres, c’est-à-dire le volume de la canopée, la circonférence du tronc et la longueur des branches. En pommier, la gamme de vigueur conférée à la variété est large. Une classification en 9 groupes de vigueur a été proposée par Masseron (1989) (tableau 1). Le franc confère la vigueur la plus élevée, le M27 se trouve à l’autre bout de l’échelle. Le niveau de vigueur choisi déterminera les distances de plantation entre les arbres et par conséquent, le niveau de rendement du verger directement lié au nombre d’arbres par unité de surface.

Résistance aux maladies

L’architecture de l’arbre est également impactée par le P-G. Le port de l’arbre, plus ou moins pyramidal, le nombre de branches, l’angle d’insertion des branches sont les principaux paramètres pouvant être influencés par le P-G.

La mise à fruit et la rapidité d’entrée en production sont également influencées par le P-G. Il existe un certain antagonisme entre croissance végétative et mise à fruits. Ainsi, des P-G nanisants[1] induiront une mise à fruits plus rapide, possible dès la deuxième année voire la première année de plantation. Ces derniers induisent une  croissance réduite des parties aériennes et racinaires. Leur utilisation nécessite de palisser les arbres afin de les soutenir et d’éviter des dégâts irréversibles.

La tolérance ou la résistance aux pathogènes font partie des intérêts des P-G. Une sensibilité exacerbée du P-G à un parasite peut compromettre la durée de vie d’un arbre ou d’un verger. C’est le cas par exemple d’une maladie cryptogamique, le chancre du collet (Phytophthora cactorum) qui peut causer d’importants dégâts en sols humides ou le feu bactérien (Erwinia amylovora), auquel la plupart des P-G sont sensibles. La résistance au puceron lanigère est principalement utile en pépinière car elle permet de limiter le développement de ce ravageur pouvant causer des dégâts importants sur les marcottes.

Du verger de production au jardin

 profil racinaire
Figure2 : profil racinaire d’un P-G nanisant à ancrage faible – © Ctifl

L’utilisation de P-G nanisants a révolutionné la gestion des vergers de production depuis les années 1975-1980 en fournissant des arbres plus accessibles à la taille, à l’éclaircissage et à la récolte. Faciliter l’accès aux fruits et aux structures (charpentières, branches, rameaux) des arbres est un enjeu majeur pour les arboriculteurs afin de limiter le temps de main d’œuvre et ainsi diminuer les coûts. L’utilisation des P-G conférant une faible vigueur s’est faite plus rapidement chez les espèces se récoltant manuellement (pêcher, pommier, cerisier) contrairement à celles dont les fruits peuvent être récoltés mécaniquement (noyer, châtaignier).

Dans les vergers de production de pommes d’Europe occidentale, les P-G de type M 9 (figure 2) sont largement majoritaires tant ils confèrent une entrée en production rapide associée à un calibre de fruit élevé ainsi qu’un niveau de vigueur permettant de cultiver à des densités de l’ordre de 1500 à 3500 arbres par hectare. Cette évolution se retrouve également sur d’autres continents : États-Unis, Afrique du Sud, Nouvelle-Zélande.

Au jardin, le choix du P-G n’est pas anodin. L’espace disponible ainsi que la facilité de cueillette des fruits sont deux éléments à prendre en compte tout comme une bonne adaptation au sol et au climat. Des analyses préliminaires du sol aiguilleront vers le P-G adapté à la situation.

Encore sous-exploités

En pommier, la recherche de nouveaux P-G se poursuit toujours aujourd’hui, des programmes de sélection sont en cours dans plusieurs régions du monde : Angleterre, Pologne, France, Espagne, États-Unis, Nouvelle-Zélande… Ainsi, la résistance ou la tolérance aux maladies et parasites principaux des P-G du pommier (chancre du collet, feu bactérien, puceron lanigère – figure 3) est un enjeu majeur dans la perspective de réduire les traitements phytosanitaires. La résistance à la sécheresse devient nécessaire car il existe de plus en plus de zones de production où l’accès à l’eau d’irrigation est restreint. On recherche aussi des P-G bien adaptés aux situations de compétitions pour l’eau et les nutriments, entre le système racinaire de l’arbre et la végétation présente dans la strate herbacée. Ces P-G pourraient être particulièrement utiles en agriculture biologique.

De par leur rôle et leur influence sur l’arbre, les P-G sont des leviers majeurs, encore sous-exploités, dans la perspective d’améliorer l’adaptation des arbres fruitiers à un environnement en constante évolution.

[1]  PG induisant une faible vigueur

 

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