Le paysagisme d’intérieur : une filière du paysage

Christophe Boutavant

Le paysagisme d’intérieur peut se définir comme la filière du secteur du paysage qui traite de la création et de l’entretien des aménagements paysagers réalisés en intérieur.

© C. Boutavant

Depuis les années 1950, on constate une nette augmentation de l’emploi des plantes dans la décoration intérieure des particuliers. Ce phénomène s’étend rapidement aux espaces de bureaux, aux showrooms et aires de réception. Dans les années 1970, on assiste à un réel agrandissement des halls d’accueil qui deviennent de véritables atriums avec bon nombre de plantes d’ornement. Parallèlement à cela, la culture en bacs dans les bureaux continue son développement avec l’utilisation de nouvelles essences, de pots de plus en plus élaborés et de plus en plus design.

On s’éloigne ainsi progressivement du jardinage amateur pour voir apparaître la notion de paysagisme d’intérieur. Face à de nouvelles contraintes : éclairage, aération, chauffage, contrôle des ravageurs, mais également des notions d’aménagement, de design et de décoration, le jardinier élargit ses connaissances et son champ de compétences. Ce sont les débuts du paysagisme d’intérieur tel qu’on le connaît aujourd’hui.

 

L'engouement du développement durable

En France, depuis les années 1980, le paysagisme d’intérieur a connu un fort développement et fut à l’honneur dans les années 1990 avec la création de très grands patios, ou jardins d’hiver, dans les nouveaux immeubles (La Défense à Paris ou les villes nouvelles en sont de belles illustrations). Plus récemment dans les années 2000, suite aux pressions immobilières et foncières croissantes, le marché évolue vers des éléments plus petits, moins consommateurs d’espace. Depuis 2010, une nouvelle impulsion est donnée : on assiste à un engouement des entreprises pour le Développement Durable et l’amélioration du cadre de travail des salariés. Faisant partie intégrante de la démarche RSE des entreprises (Responsabilité sociétale et Environnementale), les aménagements intérieurs mêlant ergonomie, fonctionnalité et esthétisme donnent une place importante au végétal. Associé au design des espaces, le marché du paysagisme d’intérieur progresse constamment et reste en ce sens toujours dynamique.


Le paysagisme d’intérieur s’exprime dans une grande variété d’espaces intérieurs accueillant du public. Qu’il s’agisse de bâtiments tertiaires (sièges sociaux d’entreprises et plateformes de bureaux) ou d’espaces publics (centres commerciaux, gares, centres de loisirs), tous plébiscitent la présence du végétal y compris en intérieur. La clientèle du paysagisme d’intérieur, est principalement composée d’architectes, de décorateurs d’intérieur, d’entreprises, et de foncières immobilières (centre commerciaux). Les premiers intègrent les végétaux dans leurs projets et concepts architecturaux, les seconds ont la volonté de soigner leur image et d’améliorer les conditions de travail de leurs employés de bureau. Il s’agit le plus souvent de décorer, ou meubler les sièges sociaux de grandes compagnies quel que soit leur type de productions.
 

© C. BoutavantDes entreprises de paysagisme d’intérieur en plein essor

Depuis une vingtaine d’années, l’activité de paysagisme d’intérieur s’est beaucoup développée : plus de 40% des entreprises ont été créées dans les 15 dernières années et ce particulièrement à proximité des grandes villes. Ceci s’explique facilement par l’implantation du marché qui est surtout urbain. Le paysage Français compte aujourd’hui 193 entreprises adhérentes UNEP[1] déclarant une activité de paysagisme d’intérieur dont 35% sont situées en Île-de-France et au pourtour de la région parisienne.

Pour ces entreprises, l’activité de paysagisme d’intérieur représente en moyenne 60% des activités totales, ce qui révèle un assez bon niveau de spécialisation. Ceci est particulièrement vrai à Paris, où 80% des activités réalisées sont du paysagisme d’intérieur. Paris est donc l’épicentre de la filière (présence également du centre de formation). On note cependant de belles réalisations sur tout le territoire national, notamment dans les centres commerciaux et sièges sociaux décentralisés.


[1] UNEP = Union Nationale des Entreprises du Paysage


© C. BoutavantUn exemple de réalisation :
l’extension du Centre Commercial E. Leclerc « Océane » à Rezé (44)

Les contraintes d’installation d’un jardin intérieur font qu’il est difficilement envisageable de créer un jardin dans un espace qui n’a pas été conçu pour cela, ainsi les projets s’inscrivent souvent lors de constructions nouvelles ou lors de rénovations conséquentes. C’est à l’occasion de l’extension du centre commercial existant que s’est présenté l’opportunité de végétaliser l’espace intérieur et de faire entrer la nature dans les aménagements du Centre Commercial « Océane ».

 

Emergence du projet

Intégrés en phase projet par les architectes maîtres d’œuvre en charge des travaux, les espaces végétalisés intérieurs font parfois partie intégrante du concept architectural. Même si l’âme et l’histoire du jardin intérieur n’existent pas encore, les espaces à occuper sont déjà déterminés (passage des réseaux d’eau, réservations au sol, création de fosses, évacuation d’eau etc.) et la volonté d’installer des végétaux présente. C’est dans ce cas de figure que l’entreprise Les Jardins de Gally a été consultée pour le réaménagement du site E.Leclerc de Rezé.

Lors de la conception de l’extension de celui-ci, un espace inutilisé, de part et d’autre des travelators, était pressenti pour la création d’un jardin intérieur. Cet aménagement a été pour Les Jardins de Gally l’occasion de présenter d’autres propositions d’aménagements complémentaires, plus légers, au sein de la galerie existante.

© C. Boutavant

Conception du projet

Bien que passant par les architectes maîtres d’œuvre pour la réalisation des jardins (Agence d’architecture Michel Lameynardie), c’est avec l’exploitant du centre commercial que le projet paysager a été imaginé. Sans attente précise quant au contenu, le client souhaitait un aménagement original et cohérent, vecteur d’une image apaisante. Ouvert à différentes idées, il a été particulièrement sensible à l’idée de lire dans ses jardins une vague, traduction physique du terme Océane sans pour autant tomber dans un concept maritime. Avec la volonté d’accompagner les utilisateurs du site, de les faire passer dans un jardin étonnant et de leur proposer des espaces détentes, Les Jardins de Gally ont donc réalisé un projet global traitant les espaces végétalisés du parking et de l’intérieur.
 

En intérieur, le jardin s’intitule « révoltes végétales » et joue l’originalité de l’opposition entre l’espace moderne créé par le lieu et les végétaux ancestraux presque imaginaires car préhistoriques que sont les fougères arborescentes Dicksonia antartica. Fruit des jeux de contrastes de couleurs, de textures et de volumes, l’opposition, la révolte se lit à plusieurs niveaux : du vert clair des Helxines au vert foncé des Fougères, de la rondeur des Helxines, galets et fougères à la rigueur de la verticalité des stipes. Le jardin se veut sobre et aéré, les végétaux au sol limités afin de mettre en valeur au mieux les fougères arborescentes, dont les plus grands sujets approchent de la centaine d’année. © C. BoutavantUn effet de sous-bois suscité par les plantes tapissantes et les galets devait être accentué par une brumisation qui ne sera au final pas installée par manque de budget.

Le choix des végétaux n’a pas été dicté uniquement par des critères esthétiques, les conditions environnementales du lieu ont également été prises en compte : luminosité réduite des espaces intérieurs, températures pouvant être fraîches due à la connexion avec l’extérieur (inférieur à 15°C qui reste la limite de rusticité de bon nombre de plantes tropicales), absence de feuilles accessibles au public. La climatisation et son effet asséchant sur les plantes sont à craindre, c’est la raison pour laquelle nous avons opté pour l’installation d’un système de goutteurs au cœur des stipes de fougères.
Dans la galerie commerciale, Les Jardins de Gally et l’Agence d’architecture Michel Lameynardie ont proposé la conception d’espace de détente correspondant à une nouvelle tendance en paysagisme d’intérieur en espace public : le végétal vu comme une solution permettant de sociabiliser et humaniser les lieux de passage. C’est ainsi que 8 petites terrasses ont pris place dans le mail commercial existant. Ces espaces se veulent des lieux de pauses végétalisées permettant de s’asseoir, de contempler, d’attendre, de naviguer etc. Ils ont été réalisés en incluant du mobilier, des plantes en pots et pour des raisons techniques d’accessibilité au public, du gazon synthétique.


© C. BoutavantRéalisation : la réalité d’un chantier

Produites en France, les petites Fougères et Helxines proviennent de notre réseau de fournisseurs local (Maine et Loire). Il en est de même pour l’importateur de nos Fougères arborescentes qui est vendéen. Celles-ci proviennent d’Australie et sont issues d’exploitations artificielles de pins, et sont en quelque sorte des co-produits, elles ne sont pas prélevées dans le milieu naturel et possèdent chacune un certificat numéroté délivré par le département de Victoria (Australie).

Concernant les autres plantes tropicales Dracaena, Sansevieria et Ficus nous avons fait appel à nos fournisseurs Belges.

Côté technique, le positionnement de grands végétaux sur la surface pentue du jardin intérieur a nécessité l’installation d’un fond de forme en polystyrène pour contrer la pente. Ensuite ce ne sont pas moins de 8 tonnes d’enrochement et 65m3 de substrat qui ont été charriés et installés sur ce fond de forme afin d’aménager le jardin intérieur. Un mélange de forte densité a été spécialement composé pour l’occasion, afin de respecter une bonne aération des racines tout en maintenant une humidité suffisante et garantissant une stabilité physique dans le temps au tassement et à la pente.

Les grands sujets, Dicksonia antartica, pesant jusqu'à 200 Kg ont chacun été maniés avec précaution pour être mis en place grâce à un procédé de levage par chariots élévateur depuis l’étage. Un système d’arrosage automatique a également été installé pour maintenir un taux d’humidité satisfaisant notamment sur les fougères arborescentes.

Le bâtiment étant très lumineux, et les végétaux sélectionnés se développant sous une luminosité limitée (sous-bois), il n’a pas été nécessaire d’installer un éclairage d’appoint sur le jardin. Il est cependant intéressant de rappeler que la lumière est régulièrement un des facteurs limitants que nous rencontrons lors de nos aménagements intérieurs.

La réalisation de ce jardin intérieur aura nécessité pas moins de 70 heures de travail pour une équipe de 4 personnes (280h au total). Réalisé en période hivernale, il a demandé l’installation de protections thermiques temporaires sur les feuillages et le transport des plantes depuis les serres via un camion isotherme.

 

Réception du projet et maintenance

Encore « jeune » à l’inauguration de l’extension en début d’année, le jardin intérieur réalisé sur une base de gros sujets n’a pas mis longtemps à acquérir son aspect mature (fermeture du sol par les plantes couvre-sol, développement de nouvelles frondes).

Le site est désormais entretenu par les jardiniers paysagistes des Jardins de Gally qui y effectuent un passage d’entretien toutes les deux semaines. Les entretiens permettent d’apporter le soin nécessaire aux plantes telles que la taille, le nettoyage des feuilles et des sols, le contrôle de l’arrosage automatique ou l’arrosage manuel des plantes en pots, mais aussi contrôler les populations de ravageurs et pratiquer une lutte biologique lorsque cela s’avère nécessaire. En effet, les Jardins de Gally entretiennent depuis les années 2000 tous leurs espaces intérieurs de façon entièrement biologique.

© C. Boutavant

Plantes artificielles

Nous sommes nombreux à avoir connu les plantes artificielles peu convaincantes qui tentaient de voler la vedette à nos chères plantes vivantes, sans grand succès d’ailleurs. Aujourd’hui, les choses ont bien changé, et c’est à grand renfort de performances technologiques que l’artificiel investi nos intérieurs. Les fabricants ont opéré une véritable remise en cause du « process », du choix des matériaux, de la gamme et de l’esthétique pour obtenir en finalité des ‘contrefaçons presque plus vraies que nature’. Plus saillantes et séduisantes que leurs ainées, ces nouvelles copies rivalisent  avec nos authentiques plantes vertes et fleuries, grâce à leurs couleurs pérennes et leur aptitude illusoire à traverser le temps. Les utilisateurs tombés sous le charme en achètent en plus grand nombre, parfois au détriment des vrais végétaux. Judicieuses pour agrémenter un espace hostile à la flore, ces pseudo-plantes ont parfois tendance à être utilisées pour de mauvaises raisons. Sans âme ni vie, elles colonisent trop souvent des endroits propices au développement du végétal vivant ; sous couvert de moins de contraintes apparentes pour l’utilisateur. Pourtant, l’astreinte à une discipline scrupuleuse de dépoussiérage est de rigueur, si l’on veut permettre à l’illusion de perdurer et ainsi occulter le côté souvent sinistre du leurre. Une prise de conscience est nécessaire. A chacune sa place, et la cohabitation souhaitable, sera salutaire.  Attribuons au synthétique les endroits inertes et aux plantes vivantes les lieux de vie, et les deux feront bon ménage pour le plus grand bien-être du genre humain.

François Pauly