Le jardinage, éducation morale des délinquants

Daniel Lejeune

L'agriculture et le jardinage dans les colonies pénitentiaires pour enfants a joué un drôle de lien social ! C'est vers la fin de la monarchie de juillet (1830-1848), en conclusion aux travaux d'une commission dont Alexis de Tocqueville fut le rapporteur, que se met en place un système d'enfermement et de formation des jeunes délinquants, dans des établissements situés à la campagne. Ils doivent y recevoir une éducation morale, religieuse et professionnelle leur permettant ensuite de trouver un emploi dans le monde rural.
 

La Paternelle de Mettray

La Paternelle de Mettray - vue ancienne

 

Ce système, basé sur une stratégie de valorisation du travail agricole et d'approvisionnement en main d'œuvre de ce secteur, devait se substituer à la détention des jeunes en prison traditionnelle ou expérimentale, telle la Petite Roquette, inaugurée en 1836 à Paris où l'incarcération des jeunes, propice à la perversion, était alors en forte progression. La loi de 1850 incite l'initiative privée subventionnée par l'État. Selon Éric Pierre [1], ce sont une dizaine de colonies qui s'ouvrent entre 1851 et 1856 entre les mains de particuliers, d'associations ou de congrégations. Il faudra tout de même attendre 1869 pour voir la gestion et les pratiques de l'ensemble des colonies pénitentiaires harmonisées et réglementées. La IIIème République n'aura de cesse de reconquérir sur le privé un pouvoir qu'elle considère comme régalien, sur fond, bien sûr, de querelle religieuse. Le nombre de ces établissements pénitentiaires singuliers ne fera désormais que décroître. Il se limitera à 8 en 1912. Les « colons » étaient essentiellement de jeunes délinquants urbains coupables de délits légers, surtout de vagabondage et de vols auxquels ils étaient poussés par la misère, mais on rencontrait aussi parmi eux des adolescents confiés en « correction paternelle », c'est à dire sur demande de la famille, véritable embastillement au petit pied [2]. Les jeunes « redressés » ressortaient en principe avec un petit pécule et un certificat de bonne conduite et de qualification. Nous citerons deux exemples de telles colonies en Région Centre.

 

La Paternelle de Mettray

La « Paternelle », colonie de Mettray, près de Tours est connue du monde horticole parce que Jean-Pierre Barillet-Deschamps y a fait en 1845 ses débuts professionnels en qualité de surveillant. « Tout près du village où naquit Barillet, se trouve un des plus admirables établissements de la France, la colonie agricole et pénitentiaire de Mettray, chef d'œuvre de charité et de sagesse, qui chaque année, transforme en ouvriers honnêtes et laborieux des centaines d'enfants qui paraissent voués à la misère et au vice. Barillet, encore très jeune, fut admis dans le personnel aussi dévoué qu'intelligent, chargé de surveiller et d'instruire cette jeune population... »[3]. C'est son directeur et fondateur, Frédéric-Auguste Demetz, qui incita Barillet à aller se former au Jardin des Plantes de Paris et à instituer à Mettray une école d'horticulture. Mettray, imité de l'expérience américaine d'Auburn (état de New-York) et qui a ouvert ses portes en 1839, a cessé son activité en 1937, à la suite d'un important mouvement d'opinion publique contre les bagnes d'enfants. Au lendemain de la grande guerre, cette colonie, l'une des rares qui avaient jusqu'alors subsisté, était dans un état lamentable, faute de moyens financiers et d'encadrement adapté. Les bâtiments menaçaient ruine et l'alcoolisme régnait parmi un personnel largement issu de l'armée. Mettray aura accueilli plus de 17 000 enfants. L'écrivain Jean Genet a évoqué l'expérience qu'il y a vécue [4].


La colonie du Val d'Yèvre - © D. Lejeune

La colonie du Val d'Yèvre

Au Val d'Yèvre, main d’œuvre à bas prix

Il y eut trois colonies agricoles et pénitentiaires dans le Cher : Val d'Yèvre, Baugy et Berry-Bouy. Installée à Saint-Germain-du-Puy, en amont de Bourges, la colonie du Val d'Yèvre pouvait recevoir 300 à 400 « colons ». Elle a été rachetée par l'État en 1872, dans une logique de maîtrise nationale des administrations pénitentiaires. Le Val d'Yèvre, domaine de 363 hectares, fondé de l'initiative privée de Charles Lucas, ouvrit ses portes en 1847. Fonctionnant en autarcie maximale, il tirait sa valorisation agricole et sa rentabilité de la conjugaison de trois ressources : les subsides d'État, les charités particulières et surtout l'exploitation d'une main d'œuvre à bas prix. Comme pour les autres établissements du même type, les évasions y étaient fréquentes et les « colons » étaient ramenés par la population des alentours, motivée par des primes prélevées d'ailleurs sur le pécule des pensionnaires [5]. Il n'y a pas de murs, mais la sujétion quotidienne y est terrible, de 4h du matin jusqu'à 8h du soir, interdisant de fait tout instant d'oisiveté. Une seule heure quotidienne est consacrée à la classe et d'ailleurs, l'instruction est considérée comme un moyen de libération dangereux (abandon de l'affectation rurale ultérieure, prédisposition à des activités de faussaire...). Les punitions y sont collectives mais les châtiments corporels sont exclus. La passivité et la productivité sont récompensées. Le Val d'Yèvre fut un échec social. Sa fermeture fut décidée en 1925. Tout comme l'époque médiévale, l'ère industrielle aura donc produit une variété d' Hortus conclusus . Là tourne court et s'arrête la comparaison !


[1] Eric Pierre : Revue de l'enfance "irrégulière", pratiques éducatives et systèmes judiciaires, n°5, 2003

[2] Hervé Bazin, dans son célèbre roman autobiographie Vipère au poing (1948), évoque encore cette menace.

[3] Revue Horticole 1876 p 96, Elie Abel Carrière : biographie de Jean-Pierre Barillet-Deschamps

[4] Jean Genet : Miracle de la Rose (1946) et Journal du Voleur (1949)

[5] Jacques Prévert : La chasse à l'enfant