Le dérèglement climatique : N’empêchera pas le gazon de rester vert !

Le gazon n’aime ni les grandes amplitudes thermiques, ni les trop fortes variations hydriques. Le climat anglais est son paradis. Dans le contexte actuel, où le dérèglement climatique nous affecte très régulièrement, beaucoup d’utilisateurs se posent la question du remplacement du gazon naturel par des solutions alternatives. Pourtant, des options existent. La sélection a beaucoup progressé. Le choix des espèces est bien plus large. Tout est réuni pour que l’on puisse toujours bénéficier des multiples avantages du gazon naturel.

Les bienfaits du gazon naturel

Pourquoi s’entêter à vouloir conserver un gazon vert le plus longtemps possible ? Tout d’abord, le gazon fait baisser significativement la température et donne une sensation de fraîcheur très appréciable en période de canicule. Le delta de température au sol entre un gazon artificiel et un gazon naturel peut atteindre plus de 20 °C en plein soleil! La capacité d’évaporation des feuilles joue un rôle de climatisation naturelle. Comme toutes les plantes vertes, le gazon est une usine de stockage de gaz carbonique ! La photosynthèse reste le phénomène le plus incroyable qui existe dans le monde végétal. En utilisant l’énergie lumineuse du soleil, les plantes absorbent le CO2 pour le transformer en sucres plus ou moins complexes. Un gazon bien entretenu, mais tondu pas trop court, a une capacité de stockage de CO2 comparable à celle d’une forêt, et ceci seulement quelques mois après le semis, contrairement aux arbres. Mais il ne faut pas oublier qu’une pelouse est aussi un refuge pour la biodiversité. Bon nombre de petits vers ou d’insectes servent de festin à nos populations d’oiseaux. Cet univers naturel présente la capacité de créer un environnement moins bruyant et moins stressant, particulièrement dans les zones urbaines où les poussières sont piégées par le feutre du gazon (feuilles et racines en cours de décomposition) plutôt que de rester en suspension dans l’air. De même, les racines du gazon sont particulièrement efficaces pour éviter l’érosion des sols mais aussi pour empêcher le ruissellement de l’eau et favoriser sa pénétration en profondeur. Les racines de certaines espèces ont une fonction de mèche entraînant l’eau en profondeur. Son action drainante est primordiale en période hivernale ou pendant des épisodes de pluies très intenses.

Gazon sportif ou gazon extensif : des contraintes différentes

Le gazon s’exprime sous bien des formes avec des entretiens très variables. Le green de golf tondu à 3 mm ou le terrain de football de Ligue 1 demandent un suivi quotidien, avec des exigences en intrants (eau, fertilisants…) souvent non limitantes. À l’opposé, on rencontre de plus en plus de zones enherbées (talus, bord de cours d’eau, trottoirs, parkings) où l’entretien est volontairement très limité afin de créer un espace naturel favorisant la biodiversité. Et puis, on trouve aussi des espaces verts publics ou privés où l’exigence esthétique reste prioritaire, mais pour lesquels l’entretien est réduit au minimum. Il est bien évident que le changement climatique affecte différemment ces types de gazons. Avec la hausse significative des températures pendant la période estivale, on voit apparaître sur les stades des maladies (Grey Leaf Spot, Brown Patch) qui n’étaient pas ou peu présentes en Europe. La sélection est très active pour trouver des variétés tolérantes en comparant les différentes souches de maladies. La réduction de la période hivernale, avec une augmentation des températures en fin d’hiver, favorise l’émergence d’autres maladies (rouilles) beaucoup plus tôt  dans la saison. Les gazons plus extensifs sont, quant à eux, principalement menacés par le manque d’eau et la hausse des températures.

Rouilles précoces sur pâturins © C. Galbrun, DLF
Rouilles précoces sur pâturins © C. Galbrun, DLF

Un choix d’espèces plus larges

La culture du gazon en France est relativement récente. Elle était réservée à un usage ornemental dans les parcs et jardins prestigieux. Le développement des maisons individuelles et l’amélioration des espaces verts dans les villes ont suscité une demande croissante pour des variétés adaptées à un usage gazon alors que, par le passé, on utilisait des variétés fourragères. Les progrès pour améliorer la finesse et la densité du gazon ont été spectaculaires. Mais l’augmentation des fréquences des canicules et la réduction des pesticides ont changé la demande. Si l’aspect esthétique reste un critère important, on s’oriente davantage vers des gazons plus rustiques, demandant moins d’entretien. Le marché français utilise principalement cinq grandes espèces : ray-grass anglais, fétuques fines (rouges et ovines), fétuques élevées, pâturins, agrostides. Les ray-grass et fétuques fines ont toujours dominé le marché avec parfois près de 90 % des ventes mais, aujourd’hui, on note une baisse de l’utilisation des fétuques rouges au profit des fétuques élevées (plus résistantes au sec). La sélection variétale a permis de réagir rapidement aux problèmes liés au dérèglement climatique. On peut noter plusieurs changements importants :

• La création de ray-grass tétraploïdes spécifiques à l’usage gazon est une évolution majeure des dernières années. Ces nouveaux ray grass, moins fins et moins denses, sont plus tolérants aux maladies et plus résistants à la sécheresse. Ils ont remplacé une part significative des ray-grass diploïdes.

• L’amélioration des fétuques élevées pour leur comportement hivernal et pour la finesse des feuilles contribue également à une utilisation plus générale de cette espèce, que ce soit en espaces verts ou sur terrains de sport. En conservant une très bonne  tolérance à la sécheresse, la fétuque élevée permet d’offrir des mélanges de gazons très polyvalents satisfaisant les utilisateurs soucieux de limiter, et même de supprimer, les arrosages si le sol est suffisamment profond.

• Les fétuques ovines se justifient de plus en plus en situation de sol difficile, comme on peut trouver dans les cimetières, sur les trottoirs ou les parkings. Les conditions estivales extrêmes sont souvent fatales à beaucoup d’espèces, mais les fétuques ovines, avec un système foliaire limitant l’évaporation, arrivent à survivre.

• En cas de températures extrêmes, les espèces tropicales (photosynthèse en C4) peuvent donner de bons résultats. Le Cynodon dactylon (Bermudagrass), très résistant à la sécheresse, reste l’espèce la mieux adaptée à nos latitudes à condition de prévoir un sur-semis avec un ray-grass pour compenser la dormance hivernale du Cynodon.

• Le trèfle a longtemps été l’ennemi du jardinier dans le gazon. En sélectionnant des trèfles moins agressifs, on bénéficie des avantages de la légumineuse (fixation de l’azote de l’air grâce à la symbiose avec les bactéries et intense activité estivale) sans en avoir les inconvénients. Si les conditions sont très sèches, on peut opter pour une luzerne rampante en association avec une fétuque élevée. Le résultat est spectaculaire si ces espèces peuvent développer leur système racinaire en profondeur.

Des critères de sélection qui évoluent

Illustration par drone de l’aspect vert des micro-trèfles (carrés plus verts) © C. Galbrun, DLF
Illustration par drone de l’aspect vert des micro-trèfles (carrés plus verts) © C. Galbrun, DLF

Quand les conditions sont difficiles, il est important d’avoir un gazon qui s’installe vite. C’est particulièrement le cas au printemps. Les sols se réchauffent très tôt en sortie d’hiver et les mauvaises herbes sont rapidement très actives. On rencontre maintenant des graminées  estivales sur tout le territoire et les espèces à gazon, qui sont trop lentes à l’installation, sont souvent dominées par la pression des adventices. La taille des semences, l’énergie germinative, les traitements de semences et la vitesse de couverture du sol sont des caractéristiques majeures pour assurer la meilleure installation possible. Il est très important que le gazon soit déjà bien installé avant l’arrivée de l’été, particulièrement quand les températures dépassent les 40 °C! On voit alors apparaître des symptômes jusque-là inconnus. La tolérance à la chaleur, avec ou sans irrigation, devient un paramètre dont il faut tenir compte. Ce critère vient s’ajouter à la résistance à la sécheresse et à la résistance aux maladies. En cas d’irrigation importante, la pression des maladies peut devenir très problématique et il est important de trouver des solutions prophylactiques (fertilisation et irrigation raisonnées) et de continuer d’améliorer les résistances génétiques.

Mais la résistance à la sécheresse reste le critère incontournable pour survivre aux étés caniculaires. Le choix des espèces naturellement tolérantes est primordial mais il faut aller plus loin. Outre les observations classiques de comportement estival, on dispose maintenant d’outils pour identifier les plantes avec les racines les plus profondes et, surtout, comprendre le mécanisme et les cycles de régénération des racines. En collaboration avec l’Université de Copenhague, le programme Radimax a pour but d’intégrer le phénotypage racinaire à la sélection génomique, ce qui permet d’envisager une meilleure efficacité de la sélection. De même, l’utilisation de drones équipés de caméra RGB permet également de calculer des index foliaires en tenant compte de l’aspect vert du gazon. Ces mesures objectives sont une aide précieuse à la sélection pour la résistance à la sécheresse.

« Le delta de température au sol entre un gazon artificiel et un gazon naturel peut atteindre plus de 20 °C en plein soleil! »

Amélioration de l’aspect esthétique de la fétuque élevée © C. Galbrun, DLF
Amélioration de l’aspect esthétique de la fétuque élevée
© C. Galbrun, DLF

 

 

Personne ne peut contester les multiples avantages du gazon naturel. Le changement climatique apporte des contraintes supplémentaires liées à la gestion de l’eau et à la hausse des températures, mais en choisissant des mélanges adaptés et en modifiant nos méthodes d’entretien, il est possible de réussir à conserver un paysage attrayant sans basculer dans le minéral ou le synthétique. Le gazon n’est pas une contrainte, c’est un concentré de nature pour le bénéfice de tous.

Christophe Galbrun
Sélectionneur recherche gazon, DLF Recherche France