L’aventure du Dahlia du Mexique au jardin
Noëlle Dorion
Le Dahlia introduit en France au XIXe siècle, en provenance du Mexique a rapidement gagné nos jardins et nos parcs. Son extrême diversité morphologique ainsi qu’une création variétale active en fait le roi des floraisons estivales. Comme la plupart des géophytes, les dahlias se multiplient végétativement mais la fragmentation du système racinaire trop risquée au plan sanitaire a été remplacée par le bouturage de tige ce qui n’empêche pas un contrôle très strict de la production. Depuis 2011, les dahlias peuvent bénéficier d’un signe officiel de qualité : le Label Rouge
Charles Baltet, mentionne une première introduction du Dahlia à partir du Mexique en 1712. En France, il est reçu en 1802, sous forme de racines, par De Cadolle à Montpellier et par Thouin au Muséum. On imagine, à cette époque, que cette plante dont les racines sont consommées par les indigènes du Mexique, pourrait servir de substitut à la pomme de terre, décimée par le mildiou. Malheureusement, cette tentative tourne court, et « en raison d’une saveur ingrate » comme le mentionne Jean Turc, la vie de légume du dahlia n’a finalement pas fait recette. Par contre, dès le début du 19ème siècle, le caractère ornemental et l’extrême diversité de cette plante attirent l’attention des botanistes et des sélectionneurs, notamment d’André Thouin (1747-1824). C’est ainsi qu’en 1850, le manuel du Jardinier de Louis Noisette mentionne déjà 150 variétés. Il s’en crée actuellement 3 à 5 mille par an.
Un peu de biologie pour comprendre
Le Dahlia est originaire des hauts plateaux (1500-4300 m) du Mexique et d’autres Pays d’Amérique centrale. De ce fait, il est adapté aux températures moyennes, aux intensités lumineuses élevées, aux sols bien drainés, ainsi qu’à une photopériode relativement stable et courte (proximité de l’équateur) qui favorise en particulier l’induction de la tubérisation des racines et l’induction florale. Les dahlias cultivés sont en effet des géophytes (voir articles de Marcel Le Nard même dossier) dont la pérennité est assurée par l’accumulation de réserves dans les racines. La partie supérieure de ce système tubérisé, appelée collet est à l’origine des futures tiges florales. A une température constante de 15°C, avec une photopériode de 13-14 heures, la plupart des cultivars ont une croissance continue. Dans nos jardins, les dahlias présentent une phase de repos, consécutive à la destruction des tiges par le froid hivernal. On peut même parler de dormance puisqu’un traitement au froid de quelques semaines (3-5°C) favorise la reprise de croissance, caractéristique qui peut être utilisée pour accélerer la reprise de croissance. Si on se réfère aux évènements métaboliques qui ont lieu dans le bulbe de Tulipe ou dans la racine d’endive (même type de réserves que le Dahlia), il est probable que les températures basses accélèrent la mise à disposition des sucres utilisables par les bourgeons pour leur croissance printanière. A noter toutefois, que dès 0° C, les températures basses risquent d’endommager les futurs bourgeons et le système tubérisé. Les dahlias seront d’autant plus sensibles que le sol est humide. C’est pourquoi, le maintien en terre des racines pendant l’hiver (3-4 ans), ce qui est courant actuellement, nécessite un paillage approprié.
Capitules, ligules et tubes
Le genre Dahlia appartient à la famille des astéracées et comprend une trentaine d’espèces. Elles ont donné lieu à des croisements bien avant leur introduction en Europe, de telle sorte que les plantes introduites étaient déjà très probablement des hybrides dont on a même fait une nouvelle espèce, Dahlia variabilis. S’agissant d’une astéracée, « la fleur » est en fait un capitule portant de nombreuses vraies fleurs (fleurons) en forme de ligules et de tubes. Les fleurons tubulés fertiles sont généralement au centre du capitule le plus souvent cachés sauf sur les capitule dit simple. Les capitules sont induits très tôt pendant la phase de croissance quand la plante a formé un petit nombre de feuilles (5-7 paires de feuilles), dépendant des variétés et alors que les jours printaniers sont encore courts. Les premiers capitules induits le sont en position terminale sur la tige puis sur les ramifications axillaires. Un jardinier averti pourra ainsi s’il le souhaite privilégier l’un ou l’autre type, en éboutonnant judicieusement. En plus de la taille des plantes (plus de 80 cm à moins de 50 cm), c’est la taille du capitule (+ de 25 à moins de 5 cm de diamètre) et l’aspect des fleurs qui sert de base à la classification horticole. Les dahlias sont classés en 13 catégories comprenant par exemples les dahlias « pompons » (forme nid d’abeille), « cactus », « décoratifs », à fleurs alvéolées… Les tiges puis les capitules se développent, à partir de mai, profitant des réserves de leurs racines mais aussi des nutriments fabriqués chaque jour sous l’effet des températures et de la forte intensité lumineuse (photosynthèse) du printemps et de l’été pour finalement s’épanouir en été et en automne, illuminant ainsi toute l’arrière saison. En même temps que les capitules sont induits (mars/avril), la tubérisation de nouvelles racines débute. Ce renouvellement est indispensable à la pérennité de la plante puisque les plus anciennes vont s’épuiser pendant la phase de croissance et de floraison. Mais l’accumulation des réserves dans les nouvelles racines se fait aussi grâce à la photosynthèse. Ainsi, comme pour la plupart des géophytes, la floraison qui conduit à la reproduction par graines et la tubérisation qui permet la reproduction végétative, sont des processus simultanés et concurrents. Ainsi théoriquement, être capable de privilégier l’un ou l’autre phénomènes, c’est pouvoir privilégier la floraison en se moquant de la pérennité des racines ou privilégier la multiplication en se contentant de quelques fleurs pour vérifier la conformité.
Une sélection traditionnelle
Qu’il s’agisse des entreprises, ou même des amateurs, la création de variétés de dahlias est une spécialité française très dynamique. Comment procède t-on et quels sont les qualités recherchées ? Dans un premier temps, le sélectionneur choisit des parents, parmi les variétés existantes ou les espèces sauvages en fonction de l’objectif recherché. Il les plante à proximité les unes des autres pour une fécondation dirigée. Ce sont alors les abeilles et les bourdons qui se chargent de transporter le pollen d’une plante à l’autre. Le sélectionneur recueille les graines en fin de saison et après germination, commence un long travail de sélection. En effet, répondre aux objectifs fixés nécessite la réalisation de nombreux croisements, l’observation et l’évaluation de nombreuses descendances. Comme l’indique Jean Turc : « C’est là une activité passionnante, demandant une expérience certaine. Le résultat peut être remarquable, mais il nécessite d’abord un nombre important de fécondations entre plantes de variétés différentes, puis une culture délicate des graines ». Le progrès génétique espéré, en dehors des aspects esthétiques, dépend de l’utilisation à laquelle on destine la variété. Par exemple, on recherchera une hauteur de 40 cm, une floraison possible en moins de 70 jours à 17°C, des capitules supérieurs à 10 cm de diamètre et une floraison relativement groupée (3 capitules épanouis au moment de la commercialisation) pour des plantes que l’on veut produire comme potées fleuries. Pour des variétés utilisables comme fleurs coupées, les objectifs seront : une tige rigide, d’une longueur à couper supérieure à 35 cm et surtout une survie en vase supérieure à 5 jours. C’est un point délicat pour les dahlias dont les tiges creuses sont, souvent, colonisées par de nombreux microorganismes. D’autres objectifs de sélections sont poursuivis dans le cas des dahlias de jardin (plate bandes, massifs, jardinières). Il s’agit, par exemple, de trouver des variétés ayant des tiges et des fleurs plus résistantes au vent, à la pluie et peu sensibles à l’oïdium. Chaque année, Jeanne de Laval et Ernest Turc, obtenteurs-producteurs mettent au commerce de nombreuses nouveautés. Il aura fallu environ 5 ans pour les créer ce qui est relativement court comparé à la Tulipe (15 à 20 ans). Il faut semer environ 5000 graines pour conserver environ 15 plantes intéressantes et finalement ne retenir que 5à 7 nouveautés après 4 années de tests. Les années suivantes, les plantes sélectionnées sont multipliées jusqu’à obtenir un stock de racines de qualité, suffisant pour la commercialisation.
Multiplication sous contrôle
Donc, pour que l’utilisateur puisse profiter rapidement de la nouveauté, il faut la multiplier, mais pas n’importe comment. Il existe des variétés de dahlia multipliées par semis, cependant, la grande majorité est issue de la multiplication végétative qui permet de fixer facilement les obtentions. Dans ce cas, deux problèmes importants et contradictoires vont se poser. Il faut trouver un procédé de multiplication très efficace au plan du rendement mais aussi au plan de la qualité. En effet, s’agissant de multiplication végétative, la transmission des virus est un risque majeur de même que le risque de non-conformité à la plante mère. Celle-ci peut résulter de la présence de virus, de l’intensité ou des modalités de multiplication qui augmentent les risques (ou chance…) d’apparition de mutants surtout chez une espèce éminemment variable comme le dahlia, et enfin d’un système de traçabilité défaillant (se rappeler que les organes vendus n’ont pas de fleurs). Depuis 2011, des variétés de dahlias sélectionnées par un jury de spécialistes indépendants et qui présentent toutes les caractéristiques de qualité (conformité, absence de virus visibles, évaluation par rapport à des variétés témoins) bénéficient du « Label Rouge » . Lorsque la nouveauté est définitivement sélectionnée, la quantité de racines pouvant servir à la multiplication est encore faible. Pour multiplier la plante de façon accélérée, il n’est pas question d’utiliser le procédé traditionnel (séparation des racines avec un fragment de collet) que le jardinier pratique quelquefois dans son jardin. Au contraire, il s’agit de mettre en œuvre un procédé quasiment industriel. Tout d’abord, il faut s’assurer que la plante sélectionnée est saine en particulier qu’elle ne présente pas de virus. Si ce n’est pas le cas, le recours à la culture in vitro est nécessaire. Au laboratoire, on met alors en application le résultat des recherches de Morel et Martin (1952). Ils ont, en effet, montré qu’en mettant en culture dans des tubes à essai, des méristèmes de dahlia il est possible de régénérer des plantes indemnes de virus. Les plantes saines issues de ce procédé fournissent les racines à la base de la multiplication. Les racines une fois arrachées (novembre) sont nettoyées et stockées à 9°C, à l’obscurité, sans ventilation. En février, elles sont plantées dans des bacs, en serre d’abord à 15°C pendant 2 semaines puis à 20°C environ. De jeunes tiges se développent alors au niveau du collet. Elles sont systématiquement prélevées quand elles atteignent 5 cm de longeur. Plusieurs coupes successives peuvent être réalisées sur les mêmes racines. Ainsi, et selon les variétés, un système racinaire peu produire jusqu’à 30 boutures herbacées par an. Elles sont mises à enraciner dans des plaques alvéolées, conservées en serre à environ 20°C jusqu’à la plantation mécanisée, en avril, au champ. Pendant la croissance et la floraison, les cultures sont contrôlées, les plantes virosées ou non-conformes sont éliminées de sorte que le stock de racines récoltées en fin de saison possède toutes les qualités requises. Le cycle de multiplication est réitéré autant de fois que nécessaire pour obtenir suffisamment de racines commercialisables. A ce moment là, une partie de la récolte est mise au commerce, l’autre utilisée pour la multiplication …et ainsi de suite, tant que la variété est maintenue au catalogue. Le nombre de cycle de multiplication augmentant les risques de non-conformité, il est parfois nécessaire de recourir à la culture in vitro pour régénérer la variété initiale et recommencer tout le processus de production de racines.
Les conseils au jardin
Pensez à planter des dahlias dans votre jardin, leur diversité et les progrès de la sélection permettent de choisir des variétés adaptées à tous vos souhaits d’association et d’installation. Rappelez-vous de leurs caractéristiques biologiques pour leur fournir les conditions d’environnement les plus favorables et pour plus de détails pratiques, reportez-vous aux articles de Jean Turc (2003) et Marie-Hélène Loaec (2008) déjà paru dans Jardins de France. Enfin pour mettre toutes les chance de réussite de votre côté, en vous rappelant avec quel soin ils ont été sélectionnés et multipliés, choisissez des Dahlias « Label Rouge ».
Remerciements
Merci à Philippe Turc, Directeur des Etablissements Ernest Turc et à Marcel Le Nard Directeur de recherche honoraire à l’INRA pour leur relecture attentive et les précisions apportées à cet article.
Pour en savoir plus :
C. Baltet (1892), L’horticulture française, ses progrès et ses conquêtes depuis 1789. Conférence pour l’exposition universelle de 1889 (24 septembre 1889).
A. De Hertogh et M. Le Nard (1993), Dahlia 273-283 in The physiology of Flower bulbs, ed. by De Hertogh et Le Nard (Elsevier)
MH. Loaec (2008), Le dahlia une plante moderne. Jardins de France (avril) 22-27
Morel et Martin (1952), Guérison de dahlias atteints d’une maladie à virus. Comptes Rendus Académie des Sciences, 235 : 1324-1325
J. Turc (2003), La splendeur des Dahlia, Jardins de France (Septembre) 16-19
www.snhf.org/qui-sommes-nous-/les-sections/dahlia.html
www.jejardine.org/images/stories/2_A_chaque_plante_sa_personnalite/dahlia/des_formes_diverses.pdf
Ce sont des variétés présentées par des producteurs à la sélection d’un jury composé d’amateurs, journalistes, distributeurs, producteurs d’autres types de végétaux, collectivités, enseignants. Ces variétés peuvent déjà être au commerce depuis longtemps mais posséder des caractéristiques qui justifient l’obtention du Label Rouge. Elles peuvent aussi être des nouveautés récentes ou non encore commercialisées. Une fois sélectionnées, ces variétés sont produites selon un cahier des charges très strict (régénération variétale in-vitro régulière, densité de culture bien précise, récolte après 20 semaines de culture minimum pour une bonne maturité, coupe manuelle de la tige pour une meilleure conservation) et contrôlé par un organisme de certification, le tout sous le contrôle de l’Etat à travers l’INAO. Leur mise en marché est également très règlementée : taille de bulbe minimum, procédure de traçabilité complète, identification du Label Rouge sur le chromo ; ainsi que le suivi de leur qualité à travers des prélèvements effectués par les services de l’Etat. Aujourd’hui, environ 100 variétés disposent de ce Label Rouge et sont commercialisées à travers les réseaux de distributions classiques ou VAD.
par Philippe Turc, Directeur des Etablissements Ernest Turc