La laitue : une large diversité enrichie par des espèces sauvages européennes

Un champ de laitues en été en Ile-de-France. La salade demeure le légume-feuille le plus consommé en France – © Inra

 

Quoi de plus banal, dans nos assiettes, que quelques feuilles de salade ? La laitue, sa représentante la plus remarquable, est connue depuis l’Antiquité. Originaire d’Asie centrale, elle est aujourd’hui encore le légume-feuille le plus consommé en France. Derrière cette simplicité apparente se cachent cependant un genre riche, une culture complexe, des agents pathogènes et des ravageurs féroces. Vous en reprendrez bien quelques bonnes feuilles ?

 

La laitue, Astéracée originaire d’Asie centrale, a été domestiquée avant notre ère. La laitue cultivée appartient au vaste genre Lactuca, dont certaines espèces colonisent nos jachères et bords de route. Elle était consommée au Proche-Orient dans l’Antiquité comme salade ou pour l’huile de ses graines. Elle a été dispersée dans tout le Bassin méditerranéen par les Romains. Des ouvrages du Moyen-Âge signalent des Lactuca de type pommée ou romaine en France et en Espagne. Depuis le XVIIIe siècle, la sélection a créé une large diversité de types, encore présents au XXe siècle. Cette diversification continue avec de nouvelles créations au XXIe siècle. Cultivé sur tous les continents, tout au long de l’année en plein champ ou sous abri en Europe, c’est le légume-feuille le plus consommé en France.

 

Laitue tige ou celtuce (1)

Batavia (2)

La laitue est le principal légume-feuille consommé en frais en France et regroupe différents types commerciaux : laitue beurre (étiquetée laitue sur les étals – photo 4), batavia (2), feuille de chêne (3) et lollo, romaine (5), rougette et sucrine. Tous ces types sont parfaitement intercompatibles (*1) et offrent une large diversité au jardinier comme au consommateur. De plus, essentiellement en Asie, est cultivée la laitue tige (ou celtuce – photo 1) dont la tige est consommée cuite. Les sélectionneurs ont récemment créé de nouveaux types, avec, en particulier, des multifeuilles comportant, au niveau commercial, les Salanova® (photo 7).

À l’inverse, de très anciennes variétés ont été conservées et sont toujours disponibles, au moins en graines, dans les jardineries. Parallèlement à sa place importante en agriculture en France, la laitue est souvent présente dans les jardins potagers.

Peu exigeante en température, elle peut être cultivée toute l’année en France, sous abri froid en hiver ou au champ en été. La production commercialisée est de 278 millions de têtes sous abri en 2018-2019, dont 198 dans le Sud-Est, et 226 millions de têtes en plein champ en 2018.

Laitue plante avec graines (8)

Lactuca perennis, capitules à ligules bleues (9)

Le genre Lactuca

Le genre Lactuca est caractérisé par la présence de « lait », le lactucarium, un liquide blanc collant qui s’écoule des blessures des feuilles ou des tiges, en particuliers chez L. virosa, la laitue vireuse. Ce lactucarium a des propriétés pharmacologiques sédatives et analgésiques, proches de celles de l’opium mais sans effet d’accoutumance. Une centaine d’espèces seraient identifiées, dont 17 en Europe, 33 en Afrique de l’Est et 40 en Asie. La plupart sont des plantes herbacées avec de fines épines sur les nervures sous les feuilles. Elles sont autogames (*2) annuelles (comme L. serriola) ou bisannuelles (comme L. virosa). Il y a aussi des espèces pérennes, comme L. perennis, qui est présente dans les massifs calcaires et secs du sud de la France. Elle n’a pas d’épines sous les feuilles et n’est pas amère comme beaucoup d’autres Lactuca, ses feuilles étaient traditionnellement consommées en salade (elle est nommée localement Breou).

Floraison chez les laitues

Comme chez toutes les Astéracées (ancien­nement Compositées), la fleur des laitues est un capitule, avec 12 à 20 fleurons en général, tous ligulés. Chez toutes les espèces sauvages, les capitules sont éclatés à maturité, ce qui favorise la colonisation des friches alors que la laitue cultivée (L. sativa) a un capitule fermé à maturité. La majorité des espèces possède des ligules jaunes, mais certaines, dont L. perennis, sont à ligules bleues (photo 9). Chez toutes les espèces, sauvages et cultivées, la floraison est favorisée par des jours croissants et une période de froid au stade rosette. Cette montaison est accompagnée d’une augmentation de l’amertume. Ainsi, il est important de bien choisir les variétés pour les récoltes d’été afin d’utiliser celles dites « résistantes à la montée ». La biologie florale favorise l’autogamie et rend délicate la production d’hybrides. En conséquence, les variétés cultivées sont des variétés fixées (*3). Cependant, des transferts de pollen par des insectes ne sont pas impossibles. Par ailleurs, le virus de la mosaïque de la laitue (LMV), transmis par pucerons en culture, est transmissible par la graine. Pour avoir une production de graines de qualité en France, il est donc recommandé de placer les porte-graines sous abri insect-proof pour éviter les pucerons vecteurs du LMV et les insectes pollinisateurs.

Diversité de la laitue cultivée

La laitue cultivée se distingue des formes sauvages par plusieurs caractères morphologiques, dits de domestication : formation d’une pomme, absence d’épines sous les feuilles, diminution du latex et de l’amertume, capitules resserrés dans les bractées à maturité. D’après le botaniste Boissier, elle pourrait provenir de formes sauvages originaires des montagnes du Kurdistan. L’extension de la laitue en Europe daterait de la domination romaine. À la fin du XVIe siècle, les auteurs citent trois ou quatre variétés en France, huit en Angleterre. À partir du XVIIe siècle, le nombre de variétés va augmenter. La Quintinie, qui développe la culture forcée vers 1690, cultivait près d’une quinzaine de variétés. De Combles (1749) énumère 25 laitues pommées et Le Bon Jardinier en cite une quarantaine en 1880. Une partie de ces anciennes variétés est toujours disponible pour les jardiniers comme Merveille des quatre saisons, Trocadéro, Blonde du Cazard, Grosse blonde paresseuse, Sucrine et bien d’autres.

Cependant, si ces variétés sont bonnes en consommation directe, la plupart ne sont pas adaptées à une com­mercialisation ni à une culture intense, car trop fragiles et sans résistance à certains bioagresseurs. Aussi la sélection, depuis les années 1960, a-t-elle créé des variétés à feuilles épaisses, de morphologie adaptée aux diverses cultures (abri ou champ, hiver ou été) et différents marchés (frais ou 4e gamme (*4)) et possédant des résistances à plusieurs bio-agresseurs (mildiou, LMV (*5), puceron). Cette sélection intense (en 2018, on compte plus 2 200 variétés au catalogue officiel européen, dont 490 inscrites en France, et 20 à 50 nouvelles variétés en inscription en France chaque année) pour des caractères agronomiques s’est accompagnée d’une diversification de morphologie et de type. Actuellement, les professionnels disposent, pour toutes les saisons et tous les types de culture, d’une large gamme de couleurs de feuilles (blondes, vertes, anthocyanés), d’aspects et de formes de pommes. Le turn-over très important pour les variétés professionnelles est dû, en partie, au développement de souches de mildiou qui contournent les résistances des variétés.

Des espèces apparentées au secours de la laitue

Parmi les espèces sauvages européennes, un petit groupe est compatible avec la laitue et a pu être utilisé par les sélection­neurs comme source de biodiversité, en particulier pour introduire des résistances à des agents pathogènes dans la laitue cultivée. Une grande majorité des variétés récentes possède des gènes de résistance introduits de L. serriola, en particulier pour la résistance au mildiou causé par Bremia lactucae. Quelques variétés possèdent des résistances venant de la laitue à feuilles de saule (L. saligna) avec laquelle les croisements sont plus délicats. Enfin, des résistances diverses, non seulement au Bremia mais aussi à des pucerons et à des virus, ont été identifiées chez la laitue vireuse (L. virosa). Mais cette espèce est plus éloignée de la laitue et les croisements sont difficiles à réaliser. Le travail est long et le succès, pour créer une belle variété résistante, n’est pas toujours garanti. Ces espèces sauvages de nos friches et bords de chemins constituent néanmoins une biodiversité très utile pour lutter contre les bioagresseurs.

Brigitte Maisonneuve

Chargée de recherche Inra, Unité de génétique et amélioration des fruits et légumes Domaine St-Maurice, Montfavet

À lire

Laitues, 2003. B. Maisonneuve. In : Histoires de Légumes, des origines à l’orée du XXIe siècle, M. Pitrat et C. Foury, Quae Éditions, p. 212-221.

http://ephytia.inra.fr/fr/C/5359/Salades-Generalites-sur-les-salades-et-leur-production

Les salades sauvages, 2017. Collectif d’auteurs. Les écologistes de l’Euzière (4e édition)

*1 Croisements faciles entre ces types donnant des hybrides fertiles.
*2 Reproduction par autopollinisation (le pollen féconde sa propre fleur ou celles de la même plante).
*3 Variétés homogènes multipliées par autopollinisation.
*4 Produit frais prêt à consommer, vendu en sachet.
*5 Lettuce Mosaic Virus (virus de la mosaïque de la laitue).