L’agroécologie : une discipline en mouvement

L’agroécologie s’institutionnalise et, ce faisant, elle devient une référence pour réorienter les systèmes agricoles et agri-alimentaires. Mais elle ne se réduit pas à une forme d’agriculture. Elle a aussi des fondements et une visée scientifique, qui nous invitent à transformer la pensée agronomique, notre rapport à la nature et à notre alimentation.

Un agriculteur observe la présence de Macrolophus sur des soucis plantés en bordure de serre © S. Bellon, Inrae

 

La construction de l’agroécologie

L’agroécologie vient de loin. Développée en Europe et dans plusieurs pays américains, elle est présente dans la littérature scientifique internationale depuis près d’un siècle, même si des communicants l’ont popularisée en français (Rabhi, 2015 ; Le Foll, 2017). Pour mieux comprendre la trajectoire interculturelle de l’agroécologie, il faut s’attacher aux acteurs et aux auteurs qui y ont contribué antérieurement et dans d’autres pays.

Parmi les acteurs, ce sont sans doute les agriculteurs, les éleveurs et les jardiniers eux-mêmes qui en ont posé les bases. Ils l’ont fait avec leur connaissance de l’environnement et leurs pratiques, qu’ils échangent, commentent et adaptent. Autant d’éléments d’agri-cultures qui sont encore utilisés comme références en agroécologie, en incluant des systèmes traditionnels, avec leur diversité et leur singularité, mais aussi leurs adaptations.

Le cas de la milpa amérindienne (ou « trois sœurs ») est souvent cité. En associant maïs, courges et haricots grimpants, on combine intérêts agronomiques et nutritionnels. Cette association traditionnelle est évolutive. Depuis une trentaine d’années, des chercheurs mexicains l’ont complétée en y intercalant des arbres fruitiers (« Milpa intercalée d’arbres fruitiers » ou MIAF). Inversement, les effets du changement climatique et de propositions concurrentes (maïs hybride) conduisent parfois à simplifier cette association, en éliminant les légumineuses.

Les premiers auteurs se référant explicitement à l’agroécologie ont publié au début du siècle passé et privilégié les grandes cultures. Parmi eux, Basil Bensin fait figure de pionnier. Il a produit entre 1928 et 1951 plusieurs textes, dont trois au moins font référence à l’agroécologie, qu’il définit comme « écologie appliquée à l’agriculture ». Deux autres auteurs, Azzi et Papadakis, ont publié deux livres ayant le même titre : Écologie agricole. Dans la seconde moitié du XXe siècle, des zoologistes allemands, Friederichs et Tischler, ont complété cette vision avec l’écologie des bio-agresseurs et de leurs parasitoïdes.

D’autres auteurs reconnus sont venus à l’agroécologie à partir de l’entomologie, comme Miguel Altieri, qui a contribué à consolider le versant académique de l’agroécologie. Un autre auteur clef, Stephen Gliessman, l’a aussi élargie à d’autres apports disciplinaires, en particulier au contact d’Hernàndez Xolocotzi qui, entre les années 1940 et 1970, a montré l’intérêt de combiner les apports de l’écologie scientifique à des savoirs empiriques. Cette deuxième génération a permis une évolution conceptuelle et contribué à installer un troisième moment de l’agroécologie, dans les années 2000, avec la création de communautés dédiées mais aussi avec une diversité d’acceptions.

 

Définitions et principes

Les contours de l’agroécologie se sont affirmés. Ainsi, les définitions ont évolué vers une meilleure prise en compte de la multiplicité des enjeux et des acteurs concernés par une transformation de l’agriculture. Nous pouvons distinguer quatre périodes dans la littérature internationale du domaine (Doré et Bellon, 2019).

Dans les années 1980, plusieurs publications précisent les fondements de l’agroécologie comme « un ensemble de méthodes et de pratiques, socle d’une révision des liens entre agriculture et écosystèmes dont le but est de garantir la préservation des ressources naturelles ». La « révision » appelle aussi à une transition, décrite comme une trajectoire selon le schéma « ESR » pour « Efficience, substitution et re-conception ». La substitution d’intrants donne lieu à de nombreuses préparations et expérimentations fermières.

Dans l’État indien d’Andhra Pradesh, plusieurs dizaines de milliers d’agriculteurs sont engagés, depuis 2015, dans un programme dénommé « Agriculture naturelle à budget zéro » (ZBNF). Il s’appuie sur quatre piliers :

1. ferment de vie: préparations à base d’urine et de bouse de vaches indigènes, fermentées et/ou agrémentées d’ingrédients pour stimuler l’activité microbienne;

2. ferment d’immunité: enrobage microbien de semences et plants pour protéger les racines des plantules ;

3. paillage de surface pour protéger la surface du sol, le contrôle des adventices, la rétention d’eau;

4. microclimat pour améliorer l’efficience de l’utilisation de l’eau.

Dans les années 1990, l’agroécologie est redéfinie, en précisant ses principes et objets, comme « l’application des concepts et principes de l’écologie à la conception et à la gestion d’agroécosystèmes durables ». Dans les années 2000, la définition de l’agroécologie s’ouvre à l’ensemble du système alimentaire. Elle souligne l’importance de restaurer des relations étroites entre ceux qui produisent et ceux qui mangent (exemple des Amap). Depuis 2009, l’agroécologie est considérée comme à l’interface entre sciences, pratiques et mouvements sociaux.

Ces trois dimensions sont présentes au Brésil, même si le poids des mouvements sociaux paraît plus important. Le réseau Ecovida est une expérience d’expansion de l’agroécologie. Centré dans un premier temps sur la commercialisation de produits biologiques, Ecovida a engagé, dès la fin des années 1990, un programme participatif de garantie. Ce système certifie les producteurs sur la base d’une participation active des acteurs concernés et est fondé sur la confiance et les échanges de connaissances. Il permet aussi de réduire les coûts de certification pour les petits producteurs et dispose aujourd’hui d’une notoriété très large dans le marché
intérieur brésilien.

Dans les années 2000, la définition de l’agroécologie souligne l’importance de restaurer des relations étroites entre ceux qui produisent et ceux qui mangent. Ici, un verger maraîcher (combinant fruits et légumes) © S.Bellon

Plus récemment, des agroécologues ont adopté une posture plus radicale afin de développer des alternatives au pouvoir politique et économique et situer l’agroécologie comme transdisciplinaire, participative, et orientée vers l’action. Ces approches et définitions de l’agroécologie, reconnues à échelle internationale, attestent de la fécondité et du renouveau du champ de l’agroécologie au cours des quarante dernières années.

 

Perspectives

Les dynamiques de l’agroécologie sont significatives, et ce, depuis près d’un siècle. Son déploiement suscite de nouvelles démarches pour innover (Calame, 2016 ; Meynard, 2017) et contribuer à la transformation des agricultures (Bellon et Ollivier, 2012). Les connaissances circulent par des canaux multiples (ouvrages, vidéos sur Internet, échanges entre pairs, formations). Une transition agroécologique se joue aussi dans les espaces sociaux, culturels, institutionnels, politiques et économiques. En revanche, la valorisation marchande de l’agroécologie est encore incertaine.

 

Stéphane Bellon
Ingénieur de recherche, Inrae Paca, unité écodéveloppement, Avignon

 

À LIRE

Bellon S., Ollivier G., 2012. L’agroécologie en France:
L’institutionnalisation d’utopies. In L’agroécologie en Argentine et en France. Regards croisés, L’Harmattan Éd.; pp 55-90.

Calame M., 2016. Comprendre l’agroécologie. Origines, principes et politiques. Éd. Charles Leopold Meyer.

Doré T., Bellon S., 2019. Les mondes de l’agroécologie. Quae Éd.

Le Foll S., 2017. La première graine. Calmann-Levy Éd.

Meynard J.-M., 2017. L’agroécologie, un nouveau rapport aux savoirs et à l’innovation. OCL 2017, 24(3), D303.

Rabhi P., 2015. L’Agroécologie, une éthique de vie. Actes Sud Éd.

http://docs.eclm.fr/pdf_livre/220ManuelAgroecologie.pdf

https://lorexplor.istex.fr/mots-agronomie.fr/index.php/Agroécologie