L’acclimatation des plantes aux sollicitations mécaniques du vent : La thigmomorphogénèse

« La contrainte crée l’adaptation », dit l’adage. Les plantes l’ont bien compris, qui s’adaptent à tous les climats, à tous les sols, à tous les vents. Pour ceux-ci, leur acclimation porte un nom : la thigmomorphogénèse, que les chercheurs tentent de mieux connaître.

Les arbres de lisière de forêt restent debout après une tempête contrairement aux arbres situés à l’intérieur des parcelles : habituellement protégés des vents courants, ils s’avèrent moins acclimatés et donc moins résistants © Creative Commons CC0

Qu’est-ce que la thigmomorphogénèse ?

Au cours de leur développement, les plantes sont en permanence soumises à des conditions de croissance fluctuantes: eau, lumière, température, vent… Pour y faire face et survivre de façon pérenne dans cet environnement, l’arbre module son fonctionnement physiologique : on parle de processus d’acclimatation. Cette acclimatation conduit à une modification du développement des différents organes (racines, tiges, branches, houppier) ainsi que de la formation de bois. Malgré sa présence sur l’ensemble du globe et ses très fortes fluctuations spatiales et temporelles, le vent n’était, jusque très récemment, toujours pas considéré comme un facteur majeur influençant la croissance des arbres. Depuis quelques années, les travaux sur ce sujet se sont intensifiés autour des réponses physiologiques, telles que la croissance, des arbres soumis à des sollicitations mécaniques comme celles induites par le vent. L’ensemble des réponses spécifiques à ces sollicitations mécaniques est dénommé « thigmomorphogénèse ».

Figure n° 1 : Flexions répétées de tiges de jeunes peupliers en serre simulant l’impact mécanique du vent. L’intensité des flexions est contrôlée par l’utilisation de gabarits spécifiques © B. Niez

Un développement des organes adapté

Les impacts liés à la thigmomorphogénèse peuvent être observés à différentes échelles, tout d’abord au niveau de l’architecture globale de l’arbre (croissance des organes tels que la tige et les branches), ensuite au niveau du type de bois formé et, enfin, au niveau moléculaire.

L’un des effets mécaniques majeurs du vent sur la structure complexe d’un arbre est la flexion des tiges et des branches. La mise en évidence de l’impact de la thigmomorphogénèse sur le développement de l’arbre a été rendue possible grâce à de nombreuses expérimentations consistant en l’application répétée de flexions contrôlées des tiges pendant des périodes de croissance plus ou moins longues (Figure n° 1).

On observe alors qu’à l’échelle de l’architecture des arbres, la thigmomorphogénèse a pour conséquences une réduction de la croissance en hauteur, une très forte augmentation de la croissance en diamètre ainsi qu’un système racinaire renforcé (Figure n° 2).

Cette modulation géométrique conduit à la formation d’arbres d’aspect plus « trapu » dont la résistance est accrue face aux futures sollicitations mécaniques : la réduction de la hauteur d’une tige ou d’un arbre diminue fortement les efforts mécaniques appliqués par le vent par un effet de bras de levier. Par ailleurs, l’augmentation en diamètre de la tige accroît considérablement sa rigidité tandis qu’un système racinaire plus important participe au meilleur ancrage de la structure. On parle alors de bénéfice adaptatif du processus de thigmomorphogénèse. Un exemple illustrant ce bénéfice adaptatif est l’arbre de lisière de forêt. Il n’est pas rare d’observer que ces arbres, soumis quotidiennement aux sollicitations du vent, restent debout après une tempête contrairement aux arbres situés à l’intérieur des parcelles qui, habituellement protégés des vents courants, s’avèrent moins acclimatés et donc moins résistants.

Figure n° 2 : Impact des sollicitations mécaniques sur la croissance en diamètre de l’arbre. a. Section de la tige d’un jeune peuplier sous un vent directionnel. b. Section de tige d’un jeune peuplier tuteuré © B. Niez

A contrario, lorsque l’on plante un arbre en le tuteurant ou en le haubanant très fortement, on ne lui laisse que très peu de possibilités de se mouvoir. Il ne perçoit alors pas les effets mécaniques du vent et développe ses systèmes aérien et racinaire en conséquence. Il suffit d’enlever son tuteur pour que sa structure se retrouve inadaptée face aux assauts du vent ! C’est pour cette raison que l’on voit apparaître, depuis quelques années, des systèmes de maintien plus souples, qui permettent aux arbres de se mouvoir un peu, de percevoir des stimulations et favorisent ainsi leur acclimatation mécanique.

Un autre exemple observable typique du processus de thigmomorphogénèse est celui des arbres soumis à des sollicitations mécaniques dans une direction privilégiée, comme cela peut être le cas en bord de mer ou dans des couloirs venteux tels que la vallée du Rhône. On observe alors une croissance en diamètre renforcée dans la direction principale du vent. L’ovalisation de la tige qui en résulte renforce ainsi la rigidité du tronc de manière efficace en orientant la production de biomasse préférentiellement aux endroits les plus sollicités. Enfin, il a été montré, récemment, que l’arbre garde cette capacité d’acclimatation mécanique même en cas de sécheresse. Ceci met ainsi en lumière le caractère vital pour l’arbre du processus de thigmomorphogénèse.

Un bois plus résistant

Les vents forts des îles hawaiiennes induisent une déformation des arbres, réponse mécanique à cette contrainte : c’est la thigmomorphogénèse © J.-B. Capelle

Descendons maintenant à l’échelle du bois, matériau cellulaire complexe, assurant trois fonctions vitales de l’arbre :  en premier lieu le soutien mécanique, puis la conduction de la sève brute des racines jusqu’aux feuilles et, en dernier lieu, le stockage des réserves. Là encore, la thigmomorphogénèse conduit à de nettes modifications structurelles et fonctionnelles de ce matériau. Ce bois particulier est appelé « bois de flexion » puisqu’il est formé au cours de l’oscillation des arbres dans le vent. Des études sur peuplier ont montré que ce bois est moins poreux, donc plus dense, et qu’il bénéficie de propriétés particulières, comme une plus grande aptitude à résister à de grandes déformations. Cela veut dire qu’un arbre constitué de ce bois particulier sera apte à supporter des vents plus forts sans dommage.

S’il semble que les mécanismes physiologiques en jeu soient assez généraux, leur efficacité varie d’une variété à l’autre et tous les arbres ne présentent pas la même capacité à s’endurcir pour mieux résister au vent.

Quelles applications pour ces recherches, ou pourquoi étudier la thigmomorphogénèse ?

Le XXIe siècle connaîtra de forts changements climatiques qui affecteront les températures, la pluviométrie, mais aussi les régimes venteux, qui vont modifier les processus d’acclimatation des arbres. Dans ce contexte, la compréhension du processus de thigmomorphogénèse et de ses mécanismes est primordiale afin de donner aux sylviculteurs et aux chercheurs des clefs pour sélectionner les arbres les plus appropriés et mieux adapter la gestion des forêts à ces nouvelles conditions environnementales.

Éric Badel, Catherine Lenne, Benjamin Niez
Université Clermont-Auvergne, Inra, PIAF

La thigmomorphogénèse, phénomène d’acclimatation aux sollicitations mécaniques, n’est pas propre aux arbres. Il semble très répandu dans le règne végétal si l’on en croit les travaux réalisés sur des plants de tomate, des rosiers, de la luzerne ou même Arabidopsis. La filière horticole l’a bien compris et semble s’intéresser de plus en plus à ces régulations de développement qui pourraient pallier l’utilisation de réducteurs chimiques de croissance. En effet, sous serre, l’étiolement observé des tiges trop longues et fragilisées peut être combattu par des stimulations mécaniques forcées (ventilation, peignage…) pendant la culture. Ces traitements semblent donner des résultats prometteurs en vue d’une meilleure maîtrise de la croissance.

La thigmomorphogénèse semble très répandue dans le règne végétal si l’on en croit les travaux réalisés sur des plants de tomate © Creative Commons CC0

POUR EN SAVOIR PLUS

Badel E., Ewers F.W., Cochard H., Telewski F.W. 2015. Acclimation of Mechanical and Hydraulic Functions in Trees: Impact of the Thigmomorphogenetic Process. Front. Plant Sci. 6:266. doi: 10.3389/fpls.2015.00266 Niez B., Dlouha J., Moulia B., Badel E. 2019 WaterStressed or Not, the Mechanical Acclimation is a Priority Requirement for Trees. Trees 33(1):279-291. doi: 10.1007/
s00468-018-1776-y

https://www6.ara.inra.fr/piaf/Presentation/Equipes/MECA