La richesse végétale contribue à l’urbain et à l’avènement de la vile-paysage

J’affirme encore combien il est essentiel de construire une nouvelle pensée de la ville, autour de la ville-paysage et d’entreprendre en appui une véritable politique de végétalisation.

Quelle chance magnifique d’avoir comme alliés les arbres ! Il s’agit d’imaginer le milieu de vie des villes de demain. Le projet ne se limite pas à aménager un cadre, un espace, mais plus que cela. Il s’agit d’imaginer un milieu vivant. Et c’est en cela que l’arbre devient un allié extrêmement « performant ». Il peut non seulement produire de l’espace tout en apportant ses vertus écologiques, mais il amène plus encore : une valeur vitale au bien-être des hommes, l’arbre est un être poétique. Et c’est en cela que lui et ses compagnes, les plantes, vont nous guider vers ces moments de contemplation, ces oasis méditatives dans nos vies urbaines sursaturées.

Parce que l’arbre crée des failles dans le continuum technique et oppressant de la ville. Une présence vivante, une fenêtre, un ailleurs possible à la mécanique urbaine. Les plantes offrent cette douceur, cette sensualité qui apaise face aux façades froides et aux machines sans vie. L’arbre propose un espace de négociation: c’est qu’il procède et de l’architecture et de l’humain; il exprime cet entre-deux pacificateur… Voilà comment j’ai utilisé l’arbre et les plantes dans mes projets hyper-urbains ! La plupart de ceux-ci se sont développés sur des espaces pollués, des dalles de béton, des bas-côtés sordides, des murs sans fenêtre, des recoins perdus… Deux exemples pour montrer que la démarche paysagère et la culture paysagère sont tout à fait appropriées pour « inventer la ville du XXIe siècle : Les Jardins sur dalle du RER à Vincennes (94) et la Promenade du Paillon à Nice (06).

Les Jardins sur dalle à Vincennes

Trois bandes de béton de 25 mètres sur 100 mètres, décollées du sol de la ville, stériles mais utiles : les couvertures du RER à Vincennes. On aurait pu faire « de la ville comme au XVIIIe, XIXe et XXe siècles, en utilisant le vocabulaire de l’architecture : alignement de poteaux, rue-couloir, place-salle de séjour, façade-cloison entre espaces, portes, fenêtres, etc. On aurait pu réécrire ces trois bandes géométriques, conséquentes de la technique constructive, en trois alignements suivant la bande d’une dalle de béton orthonormée. Très simple, d’accord, mais aussi très triste, car le minéral c’est mort, et je trouve la mort triste (pas vous ?). Et, aimer les arbres, et les plantes, c’est avant tout aimer la vie. Ce n’est donc pas le parti que j’ai pris en m’inspirant plus d’un jardin que d’une colonnade néo classique, car je considère que le jardin peut très bien servir de modèle à la ville, modèle tout à fait capable de susciter des réponses efficientes aux problématiques urbaines telles que les fonctions et usages. Ainsi, plutôt que de m’en tenir à faire de ces espaces linéaires des couloirs « fonctionnalistes », des planchers à circuler dont l’esthétique militaire du défilé peut séduire les amoureux de l’ordre, j’ai eu l’ambition de prouver que les arbres en foisonnement, en générosité, en vitalité, pouvaient très bien résoudre les problèmes d’espaces, de pratiques fonctionnelles tout y ajoutant une belle dose de bien-être et de jouissance. Ainsi les trois bandes de béton, plutôt que des places minérales ou des mails stériles, sont-elles devenues trois jardins d’un même ensemble : jardins du Levant, du Midi et du Couchant. Là débute la démarche paysagère, c’est-à-dire l’exploration du substrat facteur de paysage : en effet ces trois dénominations sont issues directement de l’histoire du site puisque le jardin central constitue le prolongement de la « Rue du Midi », artère principale et signifiante de Vincennes. Chacune de ces trois bandes de béton a été recouverte d’une nappe pédologique et abondamment plantée, et offre alors, grâce à la générosité et à la richesse végétale, une ambiance bien particulière pourtant directement issue de son quartier environnant.

Jardins après construction
Les Jardins sur dalle du RER à Vincennes (94), après. © agence PENA
Jardins avant construction
Les Jardins sur dalle du RER à Vincennes (94), avant. © agence PENA
Jardins en construction
Les Jardins sur dalle du RER à Vincennes (94), pendant. © agence PENA

Cette abondance végétale a permis, par ailleurs, de traiter efficacement les différences topographiques, dues au niveau de la dalle, allant jusqu’à trois mètres au-dessus de celui de la ville. La profusion végétale forme alors un événement paysager à la fois insolite et sympathique. Le choix des compositions végétales a aussi été conséquent de cette même logique, une inspiration provenant de la situation sans pour autant la singer: une végétation débordante dans le Couchant, l’automne favorisé, bois de pins et composition de grandes vivaces, recépage de paulownia pour effet de feuilles gigantesque, ambiance de jungle urbaine avec des niches suspendues au-dessus des rues !

Celui du Midi, restant très tenu et régulier, en poursuite de la Place de la Mairie, axé sur la rue, avec un canal central afin de valoriser la pente (obligatoire) de la dalle, plantation d’un verger à fleurs coloré mais ordonné et axé sur des carrés arbustifs multicolores. Et enfin, le jardin du Levant, comme un archipel d’îles végétales (impossibilité de creuser des trous dans le béton!) d’où jaillissent les cépées de Prunus yedohensis aux floraisons printanières exceptionnelles formant un ciel de fleurs blanches !

Ainsi, les compositions végétales et la recherche horticole dont elles ont fait l’objet ont contribué à adoucir la ville, à apaiser les paysages urbains des quartiers en s’inspirant directement de leur identité propre, mais en leur apportant un lieu complémentaire et fédérateur, structuré autour d’une présence végétale accueillante et bienfaitrice.

Jardins sur dalle
Michel Pena a eu l'ambition l’ambition de prouver que les arbres pouvaient ésoudre les problèmes d’espaces, de pratiques fonctionnelles tout y ajoutant une belle dose de bien-être et de jouissance © agence PENA

La Promenade du Paillon

Pour ce qui de la Promenade du Paillon à Nice, nous avons affiché le même désir et la même volonté: un grand jardin peut composer aussi bien, sinon mieux, la ville que des voiries, des constructions, des dalles minérales ou des esplanades vides. J’ai écrit beaucoup sur le thème « le paysage pour remembrer la ville. » Une bande de 60 mètres sur 1,5 kilomètre qui aurait pu être traitée comme un mail unitaire d’un bout à l’autre, comme un couloir de circulation fonctionnaliste. Sans doute quelques architectes auraient apprécié ce schéma, très « structurant », et qui aurait poursuivi la référence du « boulevard urbain » chère aux historicistes ! Mais nous ne sommes bien entendu pas du tout d’accord avec cette vision « structuralisante » de la ville, sclérosante et d’un autre temps.

Nous considérons que nous avons besoin d’un certain ordre dans la ville, mais aussi qu’il y a bien d’autres formes d’ordre que celui des villes architecturales. Le fait de reprendre le thème géographique de la rivière enterrée fut le concept de base du projet. Une rivière verte entourée de ses deux ripisylves. Une référence géographique et naturaliste pour offrir d’autres espaces, d’autres pratiques, d’autres paysages.

Là encore, l’abondance de la végétation, sa richesse (plus de 1 000 arbres plantés de 170 espèces différentes) choquera sans doute les « monospécifistes » et autres « endémistes ». Les premiers, qui voient en la ville un édifice avec ses trames de poteaux, ses colonnades, ses couloirs et ses salles de séjour ou, à l’inverse, les seconds, qui voudraient retrouver la végétation « locale » et endémique, ce qui n’a plus aucun sens ici, du fait de l’absolue artificialisation du site, et du changement climatique à venir. Donc, nous pensons que l’horticulture EST une culture. Plus même : un art.

Promenade du Paillon
Ambiance Amérique et Mexique sur la Promenade du Paillon à Nice (06) © agence PENA

Ce que nous voulons

Nous, nous voulons imaginer la ville comme un jardin et nous considérons que bien des espaces minéraux et stériles le sont pour de mauvaises raisons (de fonctionnalité et d’entretien). Nous voulons prouver que ceux-ci, comme les rues de nos villes, pourraient complètement changer de forme et offrir des environnements de vie bien plus riches et vivables grâce à une approche paysagère.

Il est plus qu’évident que la ville doit prendre pour modèle d’organisation de l’espace, non plus la forme architecturale, telle un bâtiment horizontal, mais la forme du jardin, comme environnement fertile, et mettre en place une véritable troisième nature, adaptée aux exigences sociales et à l’enrichissement des milieux de vie.

Un Ficus macrophyla
Un Ficus macrophyla témoigne de l'abondance de la végétation sur la Promenade du Paillon © agence PENA
Jardin ville voiries
Pour Michel Pena : « Un grand jardin peut composer aussi bien, sinon mieux, la ville que des voiries, des constructions, des dalles minérales ou des esplanades vides » © agence PENA

Michel Pena
Paysagiste