La réhabilitation des sols contaminés grâce aux plantes

L’augmentation des activités industrielles, le développement urbain et l’agriculture intensive, ont conduit à une dégradation de la qualité de nos milieux (sols, air et eau). La majorité des composants utilisés sont souvent nuisibles et toxiques pour l’homme, la flore et la faune. Selon les conditions environnementales et leurs caractéristiques, ils sont plus ou moins mobiles, peuvent entrer dans la chaîne alimentaire et avoir des impacts sur la santé humaine et environnementale. Faisons la distinction entre contamination et pollution.

Une contamination résulte de la présence d’une substance là où elle ne devrait pas être et à des concentrations supérieures aux limites réglementaires. Elle est liée aux activités humaines. Une pollution est une contamination accidentelle à forte concentration et qui dégrade rapidement les milieux. Par conséquent, tous les polluants sont des contaminants mais tous les contaminants ne sont pas des polluants. Nous pouvons citer quelques exemples tristement célèbres tels que les mines d’or de Salsigne (Aude), à l’origine de graves pollutions par l’arsenic, le cyanure et des métaux lourds sur le site et le long de la vallée de l’Orbiel, exposant la population à des taux anormaux d’arsenic, l’usine Metaleurop Nord à Noyelles-Godault, dont les activités ont engendré une pollution importante par le plomb et le cadmium, sur plusieurs milliers d’hectares, ou le naufrage de l’Amoco Cadiz en 1978 au large du Finistère, de l’Érika en 1999 en Bretagne, provoquant la mort de la faune et de la flore marine.

Un classement en deux groupes

Les polluants ou contaminants se classent en deux groupes :
• Les composés organiques tels que les pesticides, les polychlorobiphényles (PCB), les hydrocarbures (HAP), les antibiotiques, les antidépresseurs ou encore les phtalates ;
• Les composés inorganiques, notamment les éléments traces métalliques, qui, même en faibles concentrations, peuvent être toxiques pour la santé humaine et environnementale. Les éléments le plus fréquemment retrouvés sont le plomb, le cadmium, le zinc, le cuivre, l’arsenic ainsi que le nickel et l’or, ces derniers étant des éléments à forte valeur marchande.

Dans le cadre de cet article, nous traiterons uniquement des moyens permettant de réduire les teneurs en éléments traces métalliques dans le sol, afin de les ramener à des concentrations non toxiques pour l’homme et son environnement.

Comment se défaire des contaminants dans le sol ?

Depuis des dizaines d’années, les villes françaises ayant connu une forte désindustrialisation se retrouvent avec des friches industrielles fortement contaminées. Elles doivent les réhabiliter avant de pouvoir accueillir des zones de vie. Le niveau acceptable résiduel des éléments traces est défini en fonction de l’usage envisagé du site : jardins urbains, supermarchés, cinémas, commerces… Pour les métaux lourds (éléments traces métalliques), la réglementation fixe actuellement les limites à 5 mg/l pour le zinc, 1 mg/l pour le cuivre, 50 μg/l pour l’arsenic, le cyanure, le chrome total, le nickel et le plomb, 5 μg/l pour le cadmium et 1 μg/l pour le mercure. Les sols pollués par des métaux peuvent être réhabilités en utilisant des méthodes chimiques, physiques ou biologiques. Ces méthodes peuvent être conduites ex situ, ou in situ. La première méthode nécessite l’excavation de la terre à traiter (Figure n° 1), contrairement à la méthode in situ qui est réalisée sur place avec des procédés chimiques ou physiques. Ces techniques, bien qu’efficaces et rapides, sont onéreuses et interfèrent avec l’activité biologique du sol, en détruisant les micro-organismes tels que les bactéries fixatrices d’azote, les mycorhizes, les champignons et les macro-invertébrés. Des méthodes biologiques plus respectueuses de l’environnement ont, depuis une quarantaine d’années, été utilisées par les industriels de la dépollution. Elles sont regroupées sous le terme de « phytotechnologies ». Elles font appel aux végétaux et aux micro-organismes associés pour le traitement in situ de sols contaminés. Elles ont l’avantage de gérer les risques liés au transfert des contaminants dans les milieux, en particulier dans la chaîne alimentaire. Les quatre méthodes sont schématisées sur la Figure n° 2 :

1. La rhizofiltration implique l’absorption et l’accumulation de composés organiques ou inorganiques dans les racines ;
2. La phytostabilisation concerne la complexation d’éléments inorganiques ;
3. La phytovolatilisation implique la volatilisation par les feuilles de composés organiques et inorganiques ;
4. La phytoextraction concerne l’hyperaccumulation d’éléments inorganiques.

La phytoextraction est l’approche la plus utilisée pour extraire les éléments traces des sols. C’est un processus naturel utilisé par tous les végétaux pour leur nutrition. En revanche, elle ne fait pas la différence entre un élément toxique et un autre qui lui est indispensable, comme entre le plomb (Pb++) et le calcium (Ca++). Le succès de cette technique est fortement lié au choix de l’espèce végétale associée à l’élément trace métallique que l’on veut extraire du sol. Plus de 500 espèces végétales appartenant à une cinquantaine de familles telles que les Brassicaceae, Fabaceae, Euphorbiaceae, Asteraceae, Lamiaceae, ont été caractérisées comme hyperaccumulatrices d’éléments traces métalliques. Les plantes odorantes telles que le Pelargonium odorant (Figure n° 3), se sont révélées être hyperaccumulatrices de plomb, pouvant en accumuler jusqu’à 8 grammes par kilogramme de matière sèche dans la biomasse, ce qui correspondrait à l’extraction de 47 tonnes par hectare annuellement. Malheureusement, le point faible de cette technologie est la durée nécessaire à l’immobilisation des sols, qui peut s’étendre sur plusieurs centaines d’années. Par conséquent, le succès de cette méthode repose sur l’utilisation de plantes à forte biomasse ayant une forte capacité d’extraction de l’élément considéré. Des amendements organiques ou biologiques peuvent contribuer à promouvoir l’extraction des éléments, ce qui réduirait la durée de l’immobilisation des terres, permettant ainsi aux gestionnaires de sites d’en disposer plus rapidement pour leurs projets d’aménagement.

Valorisation de la biomasse contaminée

Le devenir de la biomasse est fonction de l’élément trace et de l’espèce cultivée. Si elle est fortement contaminée, elle est transférée dans des installations classées pour son traitement. Des procédés chimiques permettent de fractionner la biomasse et de récupérer les métaux. Ainsi, des chercheurs américains ont démontré qu’ils pouvaient récupérer du nickel à partir d’Alyssum murale et d’Allysum corsicum cultivés au champ, chacun pouvant accumuler plus de 20 grammes de nickel par kilogramme de poids sec dans leurs parties aériennes, sans aucun signe de phytotoxicité. Ceci correspondrait à un rendement de 400 kg de nickel par hectare de culture, et une plus-value rentable de 16 000 dollars par hectare. Cette technologie appelée « phytomine » a également été optimisée sur de l’or en Nouvelle-Zélande. La biomasse peut, de plus, être valorisée en compost, utilisée à des fins énergétiques (méthanisation) ou encore servir à extraire des huiles essentielles dans le cadre des plantes odorantes.

 

Jean Kallerhoff
Professeure à l’INP-Ensat (Toulouse)