La protection biologique intégrée au jardin potager

Michel Javoy

Sans attendre les dispositions issues du Grenelle de l’environnement, la recherche européenne, dès les années 1970, se préoccupe de la réduction de l’emploi des produits phytopharmaceutiques dans les cultures. Les applications pratiques ont rapidement été mises en œuvre dans le secteur professionnel des légumes cultivés sous serres et des productions fruitières puis, plus récemment, dans l’horticulture ornementale et la culture légumière de plein champ. Un nouveau concept, aujourd’hui très largement répandu, est né sous le vocable générique de protection biologique intégrée (PBI) ou, pour les fruits, de protection fruitière intégrée (PFI). La protection biologique intégrée des cultures utilise harmonieusement un ensemble de méthodes visant à réduire l’emploi des produits phytopharmaceutiques au strict minimum. Le transfert de ces méthodes au jardin d’amateur, avec quelques adaptations, est tout à fait réaliste.

La bryone dioïque qui s’accroche souvent dans les haies doit être éliminée. Cette plante envahissante est un redoutable réservoir à virus. - © M. Javoy

Un changement radical de mode de raisonnement de la protection des plantes.

La protection chimique utilisée comme seule technique de protection des plantes s’appuie sur l’application du principe « une plante, un bioagresseur détecté ou redouté, un produit de traitement » devant conduire à l’éradication du bioagresseur. Seules les conditions climatiques sont prises en compte pour apprécier la rapidité d’évolution des bioagresseurs et ainsi gérer le déclenchement des traitements. La protection biologique intégrée s’appuie sur un mode de raisonnement qui prend en compte la vie de la plante dans l’ensemble de son environnement. Ce qu’il convient d’appeler l’application des bonnes pratiques culturales revêt une importance primordiale. Il s’agit essentiellement de respecter le besoin des plantes en les plaçant dans des conditions de cultures proches des conditions optimales de croissance. La qualité et le bon emploi du sol ou des substrats, la satisfaction des besoins en eau sans excès, le choix variétal adapté à la saison et au mode de culture, la pratique des travaux en temps opportun sont des éléments fondamentaux qui permettent d’obtenir des plantes en bonne santé physiologique. Dans ces conditions, les plantes sont naturellement moins sensibles aux maladies et moins réceptives aux ravageurs.

 

Eviter de laisser entrer le loup dans la bergerie !

L’emploi rigoureux de mesures prophylactiques entre également dans la stratégie de la P.B.I. Ces dispositions sont destinées à limiter les risques de contamination et d’expansion des maladies ou des ravageurs. Suppression des plantes adventices à risques aux abords du jardin, élimination systématique des premières plantes malades, nettoyage et désinfection des outils, contrôle rigoureux de l’état sanitaire des semences et plants introduits, sont les bases essentielles qu’il convient d’appliquer.

 

L’importance du choix variétal 

Au sein des espèces cultivées, ornementales ou vivrières, le choix variétal, outre le fait d’être bien en adéquation avec les conditions de culture, peut faire appel à des variétés ou hybrides génétiquement tolérants ou résistants à certaines maladies des racines ou du feuillage. Les hybrides de première génération, appelés hybrides F1, sont obtenus par le croisement de deux lignées pures comportant dans leur patrimoine génétique des gènes de tolérance ou de résistances aux maladies récupérés par croisements successifs, le plus souvent dans des plantes sauvages de la même espèce (voir l’article : L’amélioration des variétés de légumes pour la résistance aux parasites de JN Plages). Rappelons ici l’intérêt du maintien d’une diversité biologique la plus large possible pour pouvoir servir de « réservoir de gènes » à l’évolution variétale. Les vielles variétés ne sont pas à exclure pour autant ; certaines se révèlent très sensibles aux bioagresseurs mais beaucoup sont aussi connues pour leur robustesse bien que n’étant pas stricto sensu génétiquement résistantes mais possédant des caractères morphologiques particuliers : port de plante, volume ou épaisseur du feuillage etc…

 


La culture simultanée de variétés différentes de laitues réduit le risque de forte contamination par une maladie ou un ravageur. - © M. JavoyNe pas mettre tous ses œufs dans le même panier !

C’est ici que le monde des jardiniers amateurs peut apporter une touche supplémentaire d’efficacité dans ses pratiques au potager. Les professionnels, pour assurer une production homogène et de qualité réclamée par le marché, réduisent  souvent le choix variétal et séparent les variétés au sein des cultures. A l’inverse l’amateur à tout intérêt à diversifier le plus possible les variétés d’une même espèce, à les cultiver en mélange et à échelonner les dates de semis ou de plantation. L’expérience montre que le risque de contamination et de dissémination d’un bioagresseur est alors réduit même si le « patchwork » cultural ainsi constitué ne comporte pas de variétés génétiquement résistantes. Ceci peut s’expliquer par des différences, même minimes, de morphologie de plantes, de composition de sève et de stade de sensibilité entre les variétés au moment de la survenue de la contamination. Pour les variétés de légumes fruits à récolte échelonnée ; tomates, aubergines, poivrons, concombres, melons…Il est encore possible de réduire les risques de propagation des bioagresseurs en « éclatant » le dispositif de culture. Au lieu de disposer les plantes, toutes regroupées, en rangs ou en carrés, il est possible de les disperser à divers endroits du jardin. Les conséquences pour le jardinier sont que les plantes ne sont plus sagement alignées ; j’admets que ce sera difficile pour certains ; mais aussi qu’il ne mangera pas tous les jours la même variété de la même espèce, ce qui est plutôt bien. Il faut manger diversifié même quand la nourriture vient de son jardin !


Utiliser toute la panoplie des techniques horticoles

Des techniques horticoles très anciennes, comme le greffage sur des porte-greffes génétiquement tolérants aux maladies racinaires, peuvent être utilisées, chaque fois que cela est possible. Ces porte-greffes, de même espèce que la plante cultivée (greffage intra spécifique) ou d’espèces très voisines (greffage inter spécifique) sont aussi issus, le plus souvent, de plantes sauvages repérées dans la nature. Des plants greffés sont disponibles au commerce pour les tomates, les concombres et melons et les aubergines. Il est aussi possible au jardinier d’exercer sa dextérité en assurant lui-même, à partir du semis et de l’élevage des porte-greffes et des variétés à greffer, l’opération de greffage. Très souvent les porte-greffes utilisés confèrent à la variété cultivée une plus forte vigueur. Le jardinier doit alors adapter ses techniques de taille et de conduite de la plante pour ne pas être déçu ; par exemple n’avoir que des feuilles sur des plants de tomates ! Au contraire, bien maîtrisée, la vigueur augmentera la production et permettra de réduire le nombre de plants nécessaires.

 

La centaurée est particulièrement attractive pour les pucerons noirs. - © M. JavoyLa lutte intégrée est le pilier incontournable de la PBI

La panoplie des actions indirectes qui visent à limiter le risque de développement des maladies et des ravageurs est complétée par l’action directe de l’emploi des auxiliaires biologiques. Ce mode de lutte, à ce jour essentiellement utilisé contre les ravageurs des plantes, par ailleurs exposé dans le présent dossier, nécessite l’acceptation par le jardinier d’un niveau tolérable de dégâts dans ses cultures. Les auxiliaires utilisés peuvent provenir du jardin et de son environnement proche ou, pour certains d’entre eux, être achetés dans le commerce horticole. L’apport indigène du jardin, en tout état de cause, est la voie à privilégier, quitte à la compléter par des apports exogènes. Tout doit être mis en œuvre pour attirer, nourrir, élever et respecter les auxiliaires du jardin. Pour les pucerons, ravageurs fréquemment rencontrés dans les cultures, une bonne technique consiste à installer dans le jardin, le plus souvent dans des pots pour pouvoir les déplacer, des plantes attractives sur lesquelles les colonies viennent se fixer préférentiellement. Les pucerons attirent à leur tour les auxiliaires parasitoïdes qui s’y reproduisent et essaiment ensuite dans le reste du jardin. Pour les auxiliaires achetés et introduits dans le jardin, milieu ouvert, il n’est pas possible, comme dans le milieu fermé des serres professionnelles, de réaliser des lâchers importants qualifiés « d’inondatifs » pour maîtriser rapidement un ravageur. Consécutivement, même pour les auxiliaires achetés, il convient de tout mettre en œuvre au jardin pour les conserver et assurer leur reproduction. Contrairement à la lutte chimique classique qui vise l’éradication des ravageurs ou, pour le moins, la réduction drastique de leurs populations ; la PBI respecte le maintien d’un équilibre entre les ravageurs et les auxiliaires. L’équilibre biologique est par nature très instable car il relève de multiples paramètres plus ou moins maîtrisables par le jardinier :

   - La croissance et la conduite des plantes.
   - La récolte.  
   - Les conditions climatiques : température et hygrométrie, ensoleillement.
   - Les conditions climatiques extérieures : lumière en particulier.

 

Installer un cercle vertueux

Il arrive souvent que cet équilibre soit rompu, toujours au profit des bioagresseurs. Pour le rétablir, l’emploi de produits phytopharmaceutiques n’est pas exclu de la PBI, mais il se fait dans des conditions très restrictives. Seuls les produits compatibles avec les auxiliaires biologiques peuvent être utilisés, le plus souvent sous forme de traitements localisés limités à quelques plantes pour renforcer l’action des auxiliaires. Les traitements ne doivent être déclenchés qu’après une observation minutieuse des plantes aboutissant à un constat d’insuffisance potentielle des auxiliaires. Les traitements généralisés, même limités à une seule espèce de plantes sont à proscrire. La protection biologique intégrée des cultures est actuellement essentiellement dirigée contre les ravageurs des parties aériennes des plantes. Cependant des travaux de recherches aboutissent désormais à l’utilisation de microorganismes susceptibles d’assurer une protection des plantes contre les champignons et bactéries responsables des maladies des racines. (voir l'article : Quels sont les microorganismes, agents de lutte biologique, disponibles pour lutter contre les maladies d’origine tellurique ? de C. Alabouvette). Périodiquement les stratégies de protection biologique applicables peuvent être remises en cause par l’arrivée de nouveaux ravageurs ou de nouvelles maladies. La circulation mondiale permanente des produits horticoles est largement responsable de cette situation. Malgré les contrôles sanitaires rigoureux, il arrive souvent qu’un parasite qui ne pose pas de problèmes majeurs dans son pays d’origine parce qu’il est naturellement en équilibre biologique avec ses propres parasites, devienne un redoutable fléau pour des cultures du pays de destination. La Recherche doit sans cesse imaginer de nouveaux modes de protection des plantes, avec toujours pour objectif de réduire le plus possible l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. Dès lors, un cercle vertueux peut s’installer ; la réduction globale de l’emploi des produits phytosanitaires facilite très largement le retour des auxiliaires biologiques naturellement présents dans notre environnement.Une surveillance de tous les instants nécessite l’engagement du jardinier. Observer, décider, agir en temps utile sont les maîtres-mots. Des formations spécifiques à l’emploi de la PBI sont proposées au jardinier pour reconnaître les symptômes, observer les ravageurs et les auxiliaires et prendre les bonnes décisions.

 

janvier-février 2013