La polyploïdie : Un rôle majeur dans l’évolution du génome des plantes (1ère partie)

Processus commun à toutes les plantes à graines et à fleurs, la polyploïdie participe à l’adaptation et à l’amélioration des plantes. Dans cette première partie, nous traitons de son rôle dans l’évolution du génome des plantes.

La polyploïdie, un processus majeur d’évolution du génome

La polyploïdie, ou duplication d’un génome complet, est un processus majeur d’évolution du génome des eucaryotes et en particulier de celui des plantes. Avec l’avènement de la génomique et l’accès au séquençage du génome entier de nombreuses espèces végétales, il a été démontré que toutes les plantes à graines et à fleurs sont polyploïdes ou ont connu au moins un événement de polyploïdie au cours de leur histoire évolutive (Alix et al. 2017). Ce succès évolutif s’explique par le fait que la polyploïdie induit des modifications génomiques majeures, à l’origine d’une nouvelle variabilité génétique utile et nécessaire à toute sélection adaptative. Les polyploïdes nouvellement formés peuvent ainsi présenter des capacités d’adaptation supérieures à celles de leurs parents, leur conférant la possibilité de coloniser de nouvelles niches et d’évoluer en tant que nouvelles espèces. Ces différents atouts sont à l’origine du rôle majeur de la polyploïdie dans l’évolution des plantes cultivées et contribuent à l’intérêt que présente ce processus de duplication du génome en amélioration des plantes.

Formation et évolution d’un génome polyploïde

On distingue deux types principaux de polyploïdie (Figure n° 1) : l’autopolyploïdie, où la duplication ne concerne le génome que d’une seule espèce, et l’allopolyploïdie, où il y a duplication par réunion de génomes qui proviennent d’espèces différentes mais proches, impliquant une étape d’hybridation interspécifique. Le succès de la polyploïdie chez les plantes serait d’ailleurs étroitement associé à ce processus d’hybridation entre espèces. La formation d’un hybride entre génomes plus ou moins distants (AA × BB → hybride AB) s’accompagne souvent d’une baisse de fertilité voire de stérilité. L’avantage immédiat de l’allopolyploïde (AABB) sur l’hybride (AB) est de conserver les paires de chromosomes homologues, ce qui permet le maintien d’une méiose équilibrée et la production de gamètes viables, assurant un niveau de fertilité nécessaire à la création d’une nouvelle espèce.

La formation d’un génome polyploïde peut se faire en deux étapes, qui sont la rencontre des gamètes puis le doublement spontané du stock chromosomique. Le plus souvent, elle est issue de la rencontre de gamètes ayant deux fois plus de chromosomes qu’attendu : ce sont des gamètes diploïdes(1*), encore appelés non réduits, produits suite à une anomalie de la méiose. Toutes les espèces végétales produisent des gamètes « non réduits », à des taux très variables d’une espèce à l’autre (de 0,5 % à 25 %). Les conditions stressantes augmenteraient la production de gamètes diploïdes, favorisant ainsi la formation de génotypes polyploïdes. Il est très vraisemblable que les événements de polyploïdie soient liés à des changements environnementaux brusques ou à des conditions de stress, amenant à considérer la polyploïdie comme un caractère d’adaptation immédiate.

De manière inattendue, l’analyse détaillée de la séquence du génome de l’espèce diploïde Arabidopsis thaliana montre que ce génome, supposé être l’un des plus simples chez les végétaux, présente un taux de duplication particulièrement élevé. Ces données impliquent l’existence d’au moins un ancêtre polyploïde dans le scénario d’évolution d’A. thaliana (au moins deux si on remonte 65 millions d’années en arrière). L’analyse comparée des séquences de génome d’autres espèces diploïdes (par exemple du riz, de la vigne ou du pommier) permet de démontrer que tous présentent des vestiges d’événements de polyploïdie passés : on les qualifie de génomes paléopolyploïdes. L’ensemble de ces travaux amène à un scénario d’évolution des espèces végétales par cycles récurrents de polyploïdie, correspondant à une étape de création de diversité, et de retour à la diploïdie, étape de fixation des innovations génomiques sélectionnées.

Figure n° 2 : De nombreuses plantes cultivées ont été marquées par des événements de polyploïdie. On distingue des espèces paléopolyploïdes, aujourd’hui diploïdes, pour lesquelles l’événement de polyploïdie est très ancien. C’est le cas, par exemple, du maïs (A), du riz (B), de la vigne (C), du pommier (D). De nombreuses autres espèces cultivées présentent toujours les différentes copies de génome issues d’événements plus ou moins récents de polyploïdie. Ces événements ont eu lieu au sein d’une même espèce, comme pour la pomme de terre (4x, E), ou ont le plus souvent impliqué un événement d’hybridation interspécifique. Pour illustration, on peut noter le cas du bananier (3x, F), du tabac (4x, G), du caféier (4x, H), du colza (4x, I), du blé tendre (6x, J), du fraisier (8x, K), de la canne à sucre (8x, L). Les indications 3x, 4x, 6x, 8x correspondent aux niveaux de ploïdie des espèces : tri-, tétra-, hexa-, octoploïdie. Crédits photographiques : K. Alix (A, C, D, E, I, J, L), Pixabay https://pixabay.com/fr/ (B, F, G, H, K).

Polyploïdie et domestication des plantes cultivées

Il a été démontré que des événements de polyploïdie et notamment d’allopolyploïdie étaient à l’origine des premières formes de nombreuses espèces cultivées (Figures n° 2). On estime que 30 % des espèces cultivées sont polyploïdes contre 24 % des espèces végétales sauvages. Ceci résulterait d’une valeur sélective supérieure et d’une meilleure adaptabilité des génomes polyploïdes face aux pressions de sélection exercées durant la domestication. Le colza, espèce allotétraploïde, est ainsi originaire d’une hybridation spontanée entre un chou et un navet qui a eu lieu il y a environ 7 500 ans. Le blé tendre allohexaploïde est également né de la rencontre de trois espèces différentes de Triticées, il y a moins de 10 000 ans.
Si l’on classe les plantes cultivées en fonction du produit récolté (graine, fruit, racine…), il est intéressant de remarquer que les céréales et les plantes à racines et tubercules ont été largement marquées par la polyploïdie, avec respectivement plus de 40 % et 80 % des espèces qui sont polyploïdes. Il est possible que l’association, souvent observée, entre un taux de polyploïdie élevé et des graines ou des tubercules plus gros ait favorisé la sélection des premières formes polyploïdes.

La polyploïdie est un moteur d’évolution important chez végétaux et son utilisation en amélioration des plantes présente de nombreux avantages pour la création de variabilité génétique avec laquelle le sélectionneur va pouvoir travailler(2*). Néanmoins, la gestion de la duplication d’un génome entier s’accompagne aussi de contraintes pouvant limiter son utilisation. Mieux comprendre les mécanismes moléculaires à l’origine de la stabilité d’un génome polyploïde ne pourra qu’améliorer l’exploitation de la polyploïdie en création variétale.

Karine Alix
Professeure à AgroParisTech, génétique évolutive et amélioration des plantes

 

(1*)Le niveau de ploïdie de référence est la diploïdie (2x) produisant des gamètes haploïdes (1x). Dans le cas décrit ici, la rencontre de gamètes non réduits (2x) conduit à la formation d’un génotype tétraploïde (4x): la tétraploïdie est le résultat d’une seule duplication d’un génome diploïde (que ce soit par auto- ou allopolyploïdie) et aboutit à la présence de deux copies de génome. Un triploïde (3x) résulte de la rencontre de gamètes réduits (x) et non réduits (2x). Un hexaploïde (6x) correspond à la présence de trois copies de génome, impliquant deux croisements distincts.

(2*) Voir la seconde partie : « Polyploïdie et amélioration des plantes » dans le prochain numéro de Jardins de France.

RÉFÉRENCES

Alix K., Gérard PR., Schwarzacher T., Heslop-Harrison JSP. Polyploidy and Interspecific Hybridization: Partners for Adaptation, Speciation and Evolution in Plants. Annals of Botany 120:183-194.