La polyploïdie : Un rôle majeur dans l’évolution du génome des plantes (2ème partie)

Processus commun à toutes les plantes à graines et à fleurs, la polyploïdie participe à l’adaptation et à l’amélioration des plantes. Dans cette seconde partie, nous traitons de comment il est possible de l’utiliser dans le cadre de la sélection.

Introduction

Si la polyploïdie est un processus d’évolution spontané chez les espèces végétales (1*), il est possible de la provoquer et d’en exploiter certains avantages en amélioration des plantes (Sattler et al. 2016). Elle peut être induite de manière artificielle (2*), en utilisant différents agents chimiques antimitotiques comme la colchicine – celle-ci agit en bloquant la division cellulaire – en vue de réaliser un doublement des stocks de chromosomes. Il est  également envisageable de jouer directement sur l’augmentation du taux de production de gamètes non réduits (3*) ; cela permet de réaliser des croisements raisonnés, aboutissant à l’obtention de génotypes polyploïdes d’intérêt. Associée à l’hybridation, la polyploïdie est ainsi à l’origine de belles innovations variétales, qui ont marqué le domaine de l’horticulture.

 

Augmenter la taille ou la qualité d’organes d’intérêt

Lavandin © David J. StangCreative Commons

Une des premières conséquences de la polyploïdie est l’augmentation de la quantité d’ADN dans le noyau cellulaire, qui se traduit par une augmentation de la taille des cellules, pouvant entraîner à son tour une augmentation de la taille des organes.

Une étude sur le kiwi (Actinidia chinensis) a ainsi démontré que les fruits de plantes autotétraploïdes obtenues par traitement à la colchicine étaient en moyenne 50 % plus gros que ceux des plantes diploïdes parentales. La variété de kiwi deliciosa est même hexaploïde, c’est-à-dire que son génome est constitué de trois copies complètes. Des caractères similaires ont été obtenus, à titre expérimental, chez le cassis (Ribes nigrum), le melon (Cucumis melo) ou encore le kumquat (Fortunella spp.).

La triploïdie (4*), responsable d’une baisse de fertilité voire de stérilité, est également utilisée pour la production de fruits avec peu ou pas de graines. Les cultivars de banane dessert (Musa acuminata) sont tous triploïdes, d’origine naturelle, et l’absence de graines nous permet de les consommer. On a aussi créé de nouvelles variétés de raisin (Vitis spp.) ou de pastèque (Citrullus vulgaris) sans pépin, toutes triploïdes.

Chez les espèces ornementales, la polyploïdie a été et est toujours exploitée pour améliorer la taille des fleurs et leurs coloris, ainsi que la durée de floraison. Le tournant important qu’a connu l’innovation variétale dans le monde des iris (Iris), au début du XXe siècle, est lié à la sélection de variétés tétraploïdes, remarquables pour la taille de leurs fleurs et la palette de leurs coloris (5*).

Le genre Rhododendron est encore un bel exemple de l’utilisation de la polyploïdie. Une équipe de l’Université de Coimbra, au Portugal, a caractérisé 170 variétés de Rhododendron : ils en ont identifié 84 qui étaient polyploïdes (surtout tri- et tétraploïdes). Bon nombre d’entre elles font partie des variétés les plus connues comme ‘Pink Pearl’ et ‘Val d’Aulnay’ (3x) ou ‘Supernova’ (4x).

Un autre genre emblématique est celui des roses, Rosa, avec de nombreux cytotypes (6*) polyploïdes (tri-, tétra- penta- et hexaploïde). La plupart des roses modernes cultivées sont ainsi tétraploïdes, avec une origine hybride souvent complexe, impliquant des croisements entre rosiers européens et asiatiques, qui ont marqué la création des roses modernes du XIXe siècle. Ces innovations ont permis la création de différentes formes de fleurs, mais aussi de couleurs, et une augmentation de la période de floraison en lien avec le caractère remontant.plantes

Restaurer la fertilité de formes hybrides

Une des bases fondamentales de la création variétale est de disposer d’une diversité génétique suffisante pour sélectionner les génotypes les plus intéressants. L’hybridation interspécifique est un moyen efficace pour créer de la diversité et générer des innovations. Mais un hybride entre espèces différentes présentes généralement une baisse importante de fertilité, réduisant l’intérêt de cette nouvelle combinaison de génomes. Cependant, cette fertilité peut être restaurée en ayant recours à la polyploïdie (1*). Un exemple intéressant est celui du lavandin (Lavandula × intermedia).

Il s’agit d’un hybride naturel entre les espèces L. angustifolia (la lavande fine) et L. latifolia (la lavande aspic) mais cet hybride est stérile. Le lavandin présente de meilleurs rendements en huile essentielle que les autres lavandes et est à l’origine de la majorité de la production d’huile de lavande dans le monde, même si la qualité de son huile est moindre. L’intérêt de la polyploïdie pour restaurer la fertilité du lavandin a pu être démontré. Cela permet désormais d’envisager la mise en place de programmes de sélection basés sur ces formes polyploïdes ainsi que la valorisation de nouvelles formes hybrides.

Au sein du genre Lilium, l’intérêt de créer des formes hybrides réside dans la complémentarité des résistances à différents pathogènes. Les croisements concernent des génotypes assez éloignés car appartenant à des groupes taxonomiques différents : les hybrides obtenus sont très peu fertiles. Néanmoins, l’identification des rares hybrides produisant des gamètes non réduits a permis la réalisation de croisements qui ont conduit à une descendance polyploïde. Au sein de cette dernière, les formes allotétraploïdes, qui combinent les deux génomes parentaux, représentent un matériel de choix pour lancer des programmes de création de variétés hybrides d’intérêt.

Des travaux similaires ont été menés chez la tulipe (Tulipa) pour favoriser des schémas d’amélioration par introgression (7*) de caractères de résistance aux maladies. Les génotypes polyploïdes sont à l’origine d’un brassage génétique important et permettent la combinaison de caractères d’intérêt. La variété tétraploïde de tulipe triomphe ‘Judith Leyster’ en est une belle illustration. Chez la verveine ornementale (Glandularia) et le géranium (Pelargonium) le passage par des génotypes polyploïdes permet la sélection pour des caractères d’architecture de la plante ou de couleur des fleurs et des feuilles.

La polyploïdie est un moteur d’évolution important chez les végétaux et son utilisation en amélioration des plantes présente de nombreux avantages pour la création de variabilité génétique avec laquelle le sélectionneur peut travailler. Néanmoins, la gestion de la duplication d’un génome entier s’accompagne aussi de contraintes pouvant limiter son utilisation. Mieux comprendre les mécanismes moléculaires à l’origine de la stabilité d’un génome polyploïde ne pourra qu’améliorer l’exploitation de la polyploïdie en création variétale.

 

Karine Alix
Professeure à AgroParisTech, génétique évolutive et amélioration des

RÉFÉRENCES

Sattler M.C., Carvalho C.R., Clarindo W.R. 2016.
The Polyploidy and its Key Role in Plant Breeding. Planta 243: 281–296.

 

(1*) Voir la première partie « Polyploïdie, évolution et domestication des végétaux » dans le n° 656 de Jardins de France.

(2*) À la date de cet article, un numéro spécial « Artificial Polyploidy in Plants » est en cours de réalisation dans Frontiers in Plant Science : https://www.frontiersin.org/research-topics/10479/artificial-polyploidy-in-plants

(3*) Des gamètes non réduits sont des gamètes diploïdes avec deux fois plus de chromosomes qu’attendu.

(4*) Le niveau de ploïdie de référence est la diploïdie, avec deux jeux de chromosomes (2x). Elle est associée à la production de gamètes haploïdes (1x). Un individu triploïde (3x) résulte de la rencontre de gamètes réduits (x) et non réduits (2x). Les noyaux de ses cellules présentent donc trois jeux complets de chromosomes.

(5*) Voir « Deux cents ans d’iris hybrides » dans le n° 655 de Jardins de France.

(6*) Le cytotype se réfère au contenu chromosomique d’une cellule.

(7*) Une introgression correspond à l’introduction, par croisements et sélection, d’une région portant un gène d’intérêt et provenant d’une espèce donnée dans le génome d’une autre espèce, ces espèces étant apparentées.