Jardins de la paix des Hauts-de-France : un message de paix sur les lieux de bataille

Blessée par la brutalité des conflits du XXe siècle, la Région des Hauts-de-France a choisi d’affirmer sa résilience par l’art paysager et la création artistique. L’association art & jardins Hauts-de-France a notamment sollicité des paysagistes du monde entier pour qu’ils créent des jardins sur de hauts lieux de bataille, offrant une approche différente, sensible et complémentaire aux commémorations du centenaire de la Grande Guerre.

Les Jardins de la paix, appelés à faire revivre les histoires individuelles au sein de la « Grande Histoire », créent des lieux propices au souvenir de la Grande Guerre, mais aussi à la réflexion sur le monde actuel. Pour les réaliser, chaque paysagiste sollicité, venant d’un pays qui a participé à ce conflit mondial, a été ainsi invité à apporter « un peu de sa culture, pour dessiner un patrimoine vivant et humaniste où la nature et la créativité offrent des perspectives de réconciliation entre les hommes et leur environnement ».

Au Quesnoy, deux paysagistes belges sont partis à l’assaut des remparts. 
À Vimy, des paysagistes canadiens ont imaginé un jardin inspiré par la forêt boréale – © Yann Monel – Jardins de la Paix

 

Maîtres d’œuvre de ce projet original, l’association art & jardins Hauts-de-France – organisatrice par ailleurs depuis 2010 du festival annuel Art, villes & paysages dans les Hortillonnages d’Amiens – et la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale ont bénéficié pour cette opération du soutien de la Région Hauts-de-France, du ministère de la Culture – DRAC Hauts-de-France, des départements de cette région, ainsi que de fondations et entreprises mécènes.

Tous ces créateurs venus du monde entier portent ainsi le message de la nécessité de réfléchir à la paix et aux moyens de la préserver. Beaucoup de ces jardins intègrent d’ailleurs des assises et des espaces permettant de faire une pause, pour se souvenir de la guerre, mais également méditer sur l’avenir d’une paix, bien fragile, à protéger.

Une dimension internationale

Dès novembre 2018, douze jardins ont été inaugurés et rendus accessibles au public. Au Quesnoy, dans le Nord, dans les douves des fortifications Vauban, la paysagiste Xanthe White et son équipe commémorent les soldats néo-zélandais, avec un jardin à visiter de préférence à l’aube ou à la tombée de la nuit, pour ressentir le Rangimarie de la culture maorie, cet instant spirituel où l’esprit est le plus ouvert à la paix. Pas moins de 600 personnes participaient à son inauguration le 3 novembre, dont de nombreux Néo-Zélandais. Sur cette même commune, les paysagistes belges Mathieu Allain et Thomas Van Eeckhout sont partis à l’assaut des remparts, comme le bataillon qui a rendu leur liberté aux Quercitains.

À Craonne, dans l’Aisne, là où le Chemin des Dames fut le théâtre d’une des plus grandes offensives de la guerre, de nombreux habitants, une chorale d’enfants et les élus locaux ont inauguré le 6 novembre les trois jardins installés. L’un, réalisé par l’équipe de Lorenza Bartolazzi, Luca Catalano et Claudia Clementini, porte le nom « 592 »: il honore la mémoire des 592 disparus parmi les combattants italiens, enterrés non loin de là. Le deuxième, réalisé par les paysagistes marocains Karim El Achak et belge Bernard Depoorter, est un « Jardin des Hespérides », dont le tracé rigoureux évoque l’art du jardin arabo-musulman, pour rendre hommage aux soldats marocains tombés sur le sol français. Le troisième est allemand et baptisé « Cultiver la mémoire ».

Thilo Folkerts y a délimité trois cercles au milieu des arbres, soulignant la topographie bosselée du site. Les visiteurs seront invités à y planter des bulbes qui fleuriront au fil des saisons, illuminant le sousbois du blanc des perce-neige ou du mauve des crocus.

À Craonne, dans l’Aisne, l’un des trois jardins inaugurés en novembre honore la mémoire des 592 disparus parmi les combattants italiens – © Yann Monel – Jardins de la Paix
© Yann Monel – Jardins de la Paix

À Thiepval, haut lieu de la bataille de la Somme rayé de la carte en 1916, deux équipes britanniques ont travaillé : Dan Bowyer (Pays de Galles) et Andrew Fischer Tomlin (Angleterre) ont installé, avec l’aide d’apprentis paysagistes, un long banc en bois de 40 mètres serpentant au milieu des arbres et portant gravées les initiales des soldats anglais tombés au combat.

Quant à Helen et James Basson (Angleterre), ils ont conçu le jardin « Pax Dryades », inspiré par les cicatrices laissées par la guerre dans le paysage : deux allées sinueuses plantées d’arbustes évoquent les tranchées et les barbelés qui les longeaient.

C’est à l’Historial de Péronne (80), Musée de la Première Guerre mondiale, que Gilbert Fillinger, directeur d’art & jardins Hauts-de-France a rencontré le 8 novembre le président de la République Emmanuel Macron pour lui présenter les Jardins de la paix et le message porté par ces paysagistes internationaux.

Des lieux de réflexion

Le « Jardin du troisième train », en forêt de Compiègne (60), conçu par le paysagiste allemand Marc Blume, l’artiste plasticien et architecte-paysagiste français Gilles Brusset et l’architecte italienne Francesca Liggieri, aménage l’allée qui accède du parking à la clairière de l’Armistice. Le tracé, qui symbolise les tranchées, est bordé d’une longue banquette basse sertie de miroirs, qui incite à la contemplation. Le « Jardin d’Eutychia » à Péronne dont le nom fait référence à la déesse grecque du bonheur, est aménagé dans les douves du château par Peter Donegan et Ian Price, représentant respectivement l’Irlande et l’Irlande du Nord. Chacun peut s’y installer et profiter des deux jardins en contrebas de l’Historial.

Enfin, trois jardins ont été réalisés dans le Pas-de-Calais, avec le soutien du Conseil départemental, et seront inaugurés en 2019. À Vimy, des paysagistes canadiens, Karyna SaintPierre, Julie Parenteau et Pierre-Yves Diehl, ont imaginé un jardin inspiré par la forêt boréale. Sur la colline de NotreDame-de-Lorette, les Français Élise et Martin Hennebicque ont installé un jardin d’ombre et de lumière. À Arras, ce sont deux paysagistes écossaises, Anna Rhodes et Melissa Orr, qui rendent hommage aux 2 500 joueurs de cornemuse de la Grande Guerre, dans un jardin qui sera inauguré le 9 avril.

À Thiepval, le jardin « Pax Dryades », est inspiré par les cicatrices laissées par la guerre dans le paysage – © Yann Monel – Jardins de la Paix

Quatre nouveaux jardins seront encore réalisés et inaugurés au cours de cette année 2019 : un jardin portugais sera créé au Quesnoy par Samuel Alcobia, Pedro Gusmaõ et Ricardo Gomes. Un jardin australien marquera à Fromelles une collaboration avec la Commonwealth War Graves Commission (CWGC). Une équipe tchèque et slovaque dessinera le jardin de la paix du site de Neuville-Saint-Vaast. Et en Belgique, Mathieu Gontier et Wagon Landscaping se chargeront d’ériger le jardin français du « Memorial Museum Passchendaele 1917 ».

La volonté, à terme, est de créer un circuit des Jardins de la paix, avec une trentaine de réalisations d’ici quatre ans. Toujours en lien avec les lieux de mémoire, ils permettront de dessiner un patrimoine paysager international et d’offrir des perspectives de réconciliation entre les hommes, et entre les hommes et leur environnement. Une belle occasion également pour découvrir ou redécouvrir la richesse des paysages de cette région.

Marie-Hélène Loaëc
Journaliste horticole, membre du conseil d’administration de la SNHF