Jardinage et précarité

Dominique Hays

Après l’hortithérapie... l’hortiempathie » ?

 

Traiter du jardinage et des  personnes en difficulté est un pari difficile. Nous associons en l’occurrence une notion plurielle, le jardinage, à une autre assez floue. Que l’on parle, de « pauvreté », de « précarité » ou de « difficulté d’autonomie », nous restons face à des « états de vie » difficilement délimitables et les personnes concernées ne se trouvent d’ailleurs pas nécessairement pauvres, précaires et dépendants... Dominique Hays, de l’association « Les Anges Gardins » présente la dimension sociale de son activité.

 

Le jardin de cocagne de Vieille-Église est l'un des 120 jardins employant 4 000 jardiniers en insertion et nourrissant 20 000 foyers abonnés - © D Hays-Les Anges Gardins  Le jardin de cocagne de Vieille-Église est l'un des 120 jardins employant 4 000 jardiniers en insertion et nourrissant 20 000 foyers abonnés - © D. Hays - Les Anges Gardins

Le jardin de cocagne de Vieille-Église est l'un des 120 jardins employant 4 000 jardiniers en insertion et nourrissant 20 000 foyers abonnés - © D. Hays - Les Anges Gardins

 

En dépendant d’un modèle agricole qui tient par les aides alors que les réserves alimentaires de nos villes sont limitées à une poignée de jours, nous sommes pour la plupart assez en risque pour permettre à l’empathie de guider la création de jardins dans une optique de développement social : aujourd’hui, que ferions nous au jardin si nous étions à la place des personnes en difficulté ? Quels phénomènes peuvent impacter sur leur stratégie domestique dans un proche avenir ? Sous quelles formes le jardinage constituera t-il alors une réponse ?

 

Un travail utile et mesurable

Pendant un temps, depuis les jardins de l’abbé Lemire, peu de choses socialement innovantes se sont passées dans les jardins. Dans les années 90, les jardins de cocagne, vaguement inspirés des Suisses, se développent : « Vous voulez des légumes, ils veulent du travail, cultivons la solidarité ». Actuellement, plus de 100 jardins en France cultivent la terre avec une méthode agronomique d’avenir (la bio) et des gens dont on dit souvent qu’ils n’en ont pas. Beau paradoxe, dont les personnes en insertion se rendent d’ailleurs compte, qui fait la démonstration que la terre est un moyen efficace de remettre des milliers de personnes en situation d’utilité, en  meilleure estime d’elles-mêmes, en capacité d’apprendre et de s’intégrer à une économie qui pourtant n’a pas voulu d’eux. Les résultats sont là 20 ans plus tard. Sans doute parce que les instigateurs de ces jardins ne voulaient plus concevoir des d’activités occupationnelles mais donnaient un travail utile et mesurable aux yeux des gens qui l’assuraient. Mieux : ils marchaient dans l’activité avec eux.

 

Explosion d’initiatives

C’est aussi dans les années 90 que nous primes le frais à la rencontre des jardins communautaires new-yorkais. Voilà qu’en cultivant la terre, on resserrait les liens entre les communautés. Des jardins nourriciers du Bronx aux œuvres d’art végétales collectives des quartiers bobos de Broadway, nous en vîmes pour toutes les bourses, tous les esprits, toutes les cultures...  tout cela pour réunir le voisinage ! Retenu d’abord pour fabriquer du lien social, le concept de « jardin partagé » est donc né dès notre retour, avec un beau coup de main de la Fondation de France. Ce fut une explosion d’initiatives sociales formidables. Il est cependant regrettable que les Français qui découvrirent ces jardins n’aient retenu de cette diversité que les jardins dont ils se sentaient les plus en affinité. On manqua de considérer l’importance de la fonction nourricière de certains lieux visités, sans doute par incapacité de se décentrer de représentations personnelles privilégiant le « côté-créatif-qui-nous-va-bien »... Les jardins communautaires du Bronx auraient sûrement apporté des réponses aux questions que pose maintenant le mouvement international des Incroyables comestibles[1]: et si la robustesse face aux crises était le fruit d’une mobilisation joyeuse, populaire, citoyenne, en vue de générer d’abondantes cultures à partager ? L’idée chemine bien et mobilise en tout cas sur l’enjeu d’une alimentation relocalisée.

 


Formation aux techniques de jardinage - © D. Hays - Les Anges Gardins

Formation aux techniques de jardinage - © D. Hays - Les Anges Gardins

Capitaliser les techniques

Dès 2008, à partir de techniques simplifiées, notre association les Anges Gardins a créé des ateliers d’initiation au jardinage et à la cuisine, pour des populations en difficulté. Nous avons  vite constaté que le manque d’argent ou de savoir faire n’étaient pas les seuls problèmes. Il faut tenir compte des néophobies alimentaires. Liées au manque d’estime de soi, ces peurs constituent les principales entraves au changement. Il a fallu, là aussi, marcher au pas des personnes à toucher. Nous avons ensuite capitalisé nos techniques dans deux manuels : le Manuel des jardiniers sans moyens et le Manuel de cuisine pour tous, librement téléchargeables[2] ou que l’on peut se procurer en livre à un prix particulièrement modique. L’idée est ensuite venue de former de nouveaux transmetteurs de pratiques. Grâce aux ambassadeurs du jardinage et du bien vivre alimentaire[2] formés à partir du Nord-Pas-de-Calais, de Rhône-Alpes et d’Aquitaine, les opportunités d’apprentissage de techniques simples adaptées aux néophytes impécunieux sont multipliés. Ces formations sont prescrites aussi bien aux animateurs de terrain qu’aux directeurs de structures, responsables de services, chefs de projets susceptibles de développer des programmes d’autonomie alimentaire. Pour concevoir des jardins, il faut les vivre !



A Cuba, de vastes zones de maraichage publiques ou privées, en cœur de ville, contribuent à l'autonomie alimentaire des populations - © D. Hays - Les Anges Gardins

A Cuba, de vastes zones de maraichage publiques ou privées, en cœur de ville, contribuent à l'autonomie alimentaire des populations - © D. Hays - Les Anges Gardins

 

Les Anges Gardins, pour une dimension sociale du jardin

Les Anges Gardins est une association pour l'insertion, l'éducation permanente, le développement de pratiques sociales et d'activités liées à l'alimentation. Ses actions :
- Crée de nouvelles opportunités d'activités pour les publics fragiles sous forme d'atelier d'insertion, de l’étude de faisabilité à la mise en œuvre.
- Favorise l'accès aux savoir-faire de base en matière d'autoproduction vivrière et culinaire - Programme des chantiers participatifs visant l'appropriation d'une conscience sociale par l'action : « je fais, je retiens ».
Cette association constitue le cœur social des activités et implémente cette dimension sociale dans les projets de territoire.

 

Pousser les grilles

La situation actuelle, la baisse des crédits européens à l’aide alimentaire en 2014 et l’arrivée prochaine du pic pétrolier nous invitent à innover pour assurer la robustesse de nombreux foyers face aux crises. Cuba nous permet d’espérer : comment un pays qui ne savait produire que tabac et sucre, soudain sans pétrole, sans engrais, sans les vivres du Comecon, a pu assurer son autonomie alimentaire ? Par une implication de la collectivité publique, par un retour à la terre d’ingénieurs, d’enseignants, des petites gens, par des systèmes locaux astucieux. Par le libre accès à la terre, Cuba montre qu’une agriculture de proximité sans pétrole, est possible. Et qu’il ne faut pas attendre que nous soyons au fond du gouffre pour créer « maraîchages coopératifs », « parcs publics potagers », « trames nourricières » « universités populaires du jardinage »... et des ambassades du bien vivre alimentaire ! L’élu, le prescripteur, le chef de projet, l’animateur, l’encadrant jardinier, impliqués dans la création de jardins à vocation sociale doivent avoir à l’esprit que malgré d’indéniables différences, nous partageons suffisamment une part d’un même destin pour nous permettre de nous mettre à la place de ces personnes dont nous espérons « qu’ils poussent un jour les grilles ». Comme nous pouvons le voir par quelques exemples, on ne peut marcher autrement qu’ainsi,  « avec »,  sur le  chemin qui mène au jardin.