Jacques Mouchotte

Jean-François Coffin

AU BONHEUR DE LA ROSE

Il a passé toute sa carrière chez le célèbre obtenteur de roses qu’est Meilland. Jacques Mouchotte baigne dans les roses depuis son plus jeune âge. Il ne cesse de parler du bonheur que lui procurent ces fleurs. Extraits de son parcours guidé par les coups de pouces du destin.

Jacques Mouchotte - © MEILLAND INTERNATIONAL

Jacques Mouchotte - © MEILLAND INTERNATIONAL

A peine à la retraite depuis trois mois que Jacques Mouchotte sillonne déjà l’Europe et le monde pour donner des conférences sur sa passion que sont les roses. Elles remplissent sa vie depuis son plus jeune âge. « J’ai grandi à Aix-en-Provence où j’ai assimilé très tôt la rose à la joie et au bonheur », explique Jacques Mouchotte. Tout a commencé sur le chemin de la maternelle qui passait devant la roseraie de la faculté d’Aix. « L’entrée étant interdite, cela créait du mystère. Parfois, mon père venait me chercher en moto devant, ce qui me rendait fier et ajoutait du plaisir. » Adolescent, il a vite identifié Meilland comme créateur de roses, « même si je ne savais pas où il se trouvait ». Puis le destin est intervenu par plusieurs coups de pouce.

 

Le pied dans la porte

La première intervention du destin se manifeste en 1969, comme un coup de foudre : « alors que je rendais visite à ma copine de l’époque qui habitait au Cap d’Antibes, je tombe devant le portail de chez Meilland. Je vois encore les inscriptions « Meilland, centre de recherches », me demandant si un jour je pourrais y entrer ». Deuxième coup de pouce du destin : n’ayant pas réussi le concours à l’agro et math sup après sa prépa, Jacques Mouchotte intègre l’IUT d’agronomie de Clermont-Ferrand. Or, le directeur des études était conseiller scientifique chez Meilland ! « Nous devions faire un stage en entreprise. Meilland figurait dans la liste des possibles. Je postule et comme j’avais un bon niveau, je suis accepté ». En fait, le stage s’est avéré être de la programmation informatique. Mais Jacques Mouchotte avait mis le pied dans la porte. Et le lendemain de la fin du stage, il intégrait l’entreprise comme salarié, seulement comme ouvrier agricole payé au Smic.

 

Passionné par la recherche

Au bout d’un an, ne voyant pas d’évolution, Jacques se met à chercher ailleurs. Un poste de chef de culture était proposé à Provins. « J’informe mon employeur que je souhaitais répondre à cette offre. Interpellé par ma démarche, il me demande « que voulez-vous chez nous ? » Ma réponse : travailler dans la recherche ». C’est là qu’intervient le troisième coup de pouce du destin : le responsable recherche jardin de chez Meilland devant partir à la retraite dans deux ans, il fallait lui trouver un successeur. « On a pensé à moi et pendant deux ans, j’ai été formé à ce poste. J’ai passé six mois chez Meilland-Richardier à Tassin où j’ai failli être remercié pour des raisons relationnelles ». Jacques Mouchotte effectue ensuite un séjour aux USA, pays très important pour Meilland. Il en revient en 1978 et prend le poste de responsable recherche jardin, au Canet des Maures.


 

De toutes les batailles de la rose

« L’état d’esprit dans l’entreprise était idéal. « Foutez la paix à mes chercheurs » était le mot d’ordre d’Alain Meilland, le patron. J’avais donc une liberté totale, sans aucun chef sur le dos ». La stratégie de Meilland étant de trouver des usages nouveaux aux rosiers, le premier objectif de Jacques Mouchotte a été la création de rosiers miniatures. Il est à l’origine des fameux « Meillandina ». Il a participé à toutes les batailles pour ouvrir des marchés à la rose, telles, pour n’en citer que quelques-unes, les nouveautés comme les rosiers couvre-sol ou les rosiers pour haies, nouveautés vite copiées par les concurrents. Et il n’oublie pas de citer " l'efficacité superbe de toute mon équipe terrain" qui a contribué à ces succès. La base du travail de Jacques Mouchotte a été l’exploitation de la variabilité génétique du rosier. « Le monde de la rose avance en s’appuyant sur les bases génétiques ancestrales et il reste de nombreuses années de travail à plusieurs générations d’obtenteurs qui n’auront pas besoin d’avoir recours aux organismes génétiquement modifiés pour continuer à remplir leur fonction de rêve et de beauté dans la société humaine », explique-t-il dans une conférence qu’il vient de donner à Padoue.

 

Grand Chelem 

Sa plus grande fierté sont les multiples concours de roses nouvelles auxquels il a participé. A chaque fois il a gagné une médaille, que ce soit aux États-Unis, au Japon, en Argentine ou ailleurs dans le monde. Il a réalisé, selon lui, le « Grand Chelem » de la rose ! « Mon parcours a dépassé deux mille fois mes rêves les plus fous. J’ai fait le tour du monde plusieurs fois. J’ai appris des langues ». N’y a-t-il que des roses dans sa tête ? Dans le peu de place qu’elles lui laissent, il cuisine, ce qu’il adore. Il y a quinze ans, il a lancé l’idée d’un repas à l’occasion de la Saint-Valentin pour la quarantaine de salariés de l’entreprise, moyennant une participation modique. Chaque fois, il trouvait une recette nouvelle. Et le week-end de préparer avec son épouse le repas pour le servir en début de semaine. « C’est devenu une institution que l’on attend avec impatience dans l’entreprise et qui contribue beaucoup aux relations internes. »

 

Diplomate maison

Jacques Mouchotte n’a aucun regret, sauf celui de ne pas avoir pu former son successeur et lui transmettre son expérience. « Il y a eu un changement de génération ». Il n’a pas pour autant rompu avec l’entreprise. Alain Meilland lui a proposé de participer en tant qu’observateur aux concours de roses qui se déroulent dans le monde, un peu comme le diplomate de la maison. Il consacre aussi du temps à son autre passion qu’est l’informatique sur laquelle il s’ est mis « dès l’apparition du premier Mac ». Il a mis au point un « très bel outil informatique » pour la création de nouvelles variétés. Il travaille actuellement sur un logiciel adapté à la création de rosiers, notamment sur leur couleur jaune, avec l’accord d’Alain Meilland.

 

Un gentil qui aime gagner

Il habite une maison avec jardin. Naturellement, il a dès le début planté des rosiers. « A l’époque, c’était une maison au milieu d’un champ de roses ». Mais les arbres du jardin ont grandi, créant de l’ombre à leur détriment. On pourrait penser, qu’à la retraite, Jacques Mouchotte bichonnerait son jardin, comme de nombreux retraités. Pas question, programme minimum ! Il préfère consacrer son temps à d’autres activités. Aujourd’hui, il continue de parcourir le monde où on l’appelle pour des conférences : Australie, Chine, ... Et ça fait à peine quelques semaines qu’il est à la retraite ! Autre activité dont il est fier : Il prend beaucoup de plaisir à participer au conseil scientifique de la SNHF. Quant à ses traits de caractère, il semble toujours dans les nuages, sans arrêt des idées s’entrechoquent dans sa tête. Et quand on lui demande comment son entourage le perçoit : « Je suis toujours passé pour un gentil. Je déteste les conflits ». Il exècre aussi la compétition tout en avouant qu’il aime bien gagner. Quoi qu’il en soit, la rose est sa vie : elle ne lui a apporté et lui apporte toujours « que du bonheur ! »

novembre-décembre 2013