Introduction des palmiers en Europe, en France et en particulier à Bordeaux

C’est un long chemin que celui des palmiers vers nos latitudes. Les deux seules espèces indigènes d’Europe fréquentent, aujourd’hui, nombre de leurs cousins venus d’ailleurs. Notamment via Bordeaux.

Semis naturel
Semis naturel de Trachycarpus fortunei © P. Richard
Phenix theophrasti
Phoenix theophrasti, Crête © Wouter Hagens CC BY-SA 3.0

Les palmiers à l’origine

La répartition mondiale actuelle des palmiers raconte déjà un peu de leur histoire. Cantonnés aux zones intertropicales ou tempérées chaudes, seules deux espèces sont indigènes en Europe, le dattier de Crête (Phoenix theophrasti Greuter) et le palmier nain, ou faux palmier doum (1*) (Chamaerops humilis L) à la forme cespiteuse (touffe à plusieurs tiges). Elles témoignent peut-être d’une époque où la répartition était plus étendue. Ce groupe nous renvoie à la période médiane du Crétacé (~110 Ma), soit un groupe très ancien dans l’évolution des Angiospermes. Il est peu commode de faire le lien entre les distributions naturelles passées et présentes des taxons de ce groupe. Si les palmiers sont autant diversifiés (plus de 2600 espèces), la relative stabilité climatique pan-équatoriale (chaud, humide) au cours du temps a favorisé cette stabilité. Aujourd’hui, les apports humains ont permis l’adaptation de nombreux taxons loin des régions d’origine. Les migrations naturelles, hors transports continentaux par zoochorie (2*), restent le fait des courants marins comme c’est le cas du cocotier, dont la drupe est capable de flotter durant un temps assez long dans la mer avant de trouver un rivage où les conditions d’humidité conviennent à cette plante exigeante en eau.

Les mouvements vers l’Europe

On trouve de nombreuses traces fossiles de palmiers en Europe datant de l’Oligocène au Miocène (30 à 6 Ma), ancienne période de climat tropical mais peu de traces de palmiers dans l’Antiquité européenne, Grèce et Rome. Seuls le dattier de Crête, déjà mentionné, et le palmier doum des Égyptiens apparaissent dans l’iconographie. L’essor du christianisme et des religions du livre va apporter, par les rives de la Méditerranée, l’usage du palmier essentiellement pour son feuillage. Difficile de savoir s’il s’agit du dattier ou du palmier nain, déjà implantés. En tant que culture vivrière, la première plantation connue est celle de la palmeraie d’Elche (Comunitat Valenciana), en Espagne, probablement installée par les Carthaginois, trouvant là un terrain propice. Par ailleurs, des vestiges de culture du dattier sont attestés au Moyen-Orient à partir du quatrième millénaire avant notre ère.

« Deux nouvelles espèces, Phoenix iberica et P. chevalieri ont récemment été décrites (Rivera et al. 2007). Endémiques au sud de l’Espagne, elles seraient trouvées naturellement dans les barrancos (ruisseaux intermittents) et les ravins du bassin de la rivière Chicamo (province de Murcie) et cultivées à Elche et à Fortuna (province d’Alicante, Espagne) » (Gros-Balthazard 2013). Il est encore difficile de savoir s’il s’agit de populations relictuelles naturelles ou ensauvagées de l’espèce P. dactylifera. C’est au XIXe siècle que les horticulteurs découvreurs, amateurs de plantes et autres botanistes vont rapporter en Europe des palmiers des quatre coins du monde. La serre des palmiers du Jardin botanique Royal de Kew, en Angleterre, construite à partir de 1840, en sera un des relais. Sur la Riviera, centre d’acclimatation à ciel ouvert, la Villa Thuret, à Antibes (Alpes-Maritimes), aujourd’hui jardin botanique, est, dès 1857, un centre d’acclimatation, par la volonté de son créateur. Dès 1878, Charles Naudin, son directeur de l’époque, évoque ses travaux sur Jubaea spectabilis (3*) mais aussi sur Trachycarpus excelsus (4*), dont nous allons reparler. Les Washingtonia (W. filifera (Linden ex-André) H.Wendl. ou W. robusta H.Wendl.) ou leurs hybrides, originaires du côté Pacifique des États-Unis et du Mexique, très rustiques vis-à-vis du froid et de la sécheresse, sont très vite remarqués. Si Louis van Houtte introduit le W. robusta en Europe, il est planté sur la Côte d’Azur par Édouard André, qui développe des activités d’acclimatation dans sa propriété de Golfe Juan, la villa Colombia.

Abondamment utilisé aujourd’hui, le palmier des Canaries (Phoenix canariensis Hort. ex Chabaud) bien qu’importé à Nice dès 1864, mettra plus de temps à obtenir la faveur publique. Nous ne pourrons pas citer tous les palmiers acclimatés aujourd’hui en Europe, évoquons seulement de celui qui, le premier, a fait les beaux jours de l’exotisme naissant au milieu du XIXe siècle : le palmier à chanvre.

L’aventure bordelaise

À la séance du 12 juillet 1861 de la Société botanique de France, J. Gay s’exprime sur l’introduction et les usages économiques d’une plante venue de Chine depuis peu, et qu’il nomme Chamaerops excelsa Thunb. Voici son récit: « Kaempfer, qui a le premier parlé de cet arbre, le comprend dans son catalogue des plantes japonaises, sous le nom indigène de sjuro ou sodio. Tout ce qu’il en dit, c’est qu’il est cultivé au Japon comme arbre d’ornement. Heureusement, M. Fortune, témoin oculaire, est plus précis lorsqu’il parle d’un palmier à port élégant, dont il ne sait pas le nom, mais qui est, selon toute apparence, notre Chamaerops excelsa, et qui fournit aux Chinois
des fibres textiles. M. Fortune a vu cet arbre cultivé avec le plus grand soin dans les provinces centrales et septentrionales de l’empire. »

Il s’agit bien du palmier à chanvre (Trachycarpus fortunei (Hook.) H.Wendl.), peut-être le seul vraiment adapté à notre climat ouest européen. Par son origine, les régions montagneuses du centre et de l’est de la Chine, il possède une grande amplitude écologique. Robert Fortune, botaniste anglais, aventurier à ses heures (5*), ramène des graines de Chusan, (province de Zhejiang) vers 1850. Voyons ce que rapporte encore J. Gay : « M. de Siebold est, à ma connaissance, le premier qui ait introduit le Chamaerops excelsa en Europe, et cela en 1830… Les graines ont été élevées en serre, et de Leyde, les plants ont passé dans les jardins botaniques d’Amsterdam, Gand, Bruxelles, Bonn et Kew, à Londres. C’est en effet M. de Montigny, consul général en Chine qui, en même temps qu’il dotait la France du yack du Tibet (Bos grunniens L.), y introduisait plusieurs végétaux utiles, au nombre desquels est notre Chamaerops excelsa.

Jeune Trachycarpus
Jeune Trachycarpus fortunei, région de Bordeaux © P. Richard

Notre honorable consul a tiré ses graines de la province de Kiang-Nan, et il les a expédiées de Chang-Haï, à diverses reprises… En 1853, M. de Montigny avait envoyé des semences à M. Hardy, directeur du Jardin d’acclimatation du Hamma, près d’Alger. À ce moment était en poste en Algérie un militaire français du nom de Durieu de Maisonneuve, futur directeur-fondateur du Jardin botanique de Bordeaux, en 1857. Ce n’est qu’à cette date que M. Decaisne envoya du Muséum d’Histoire naturelle de Paris des plantes en direction de quatre points du sud de la France, dont Bordeaux.

Quelques années plus tard, Durieu de Maisonneuve indiquait que la plante avait passé avec succès le cap de faibles gelées successives. Le palmier à chanvre était définitivement implanté dans le sud-ouest de la France. Si Bordeaux ne fut pas le premier endroit à accueillir cette plante, elle y fructifia rapidement et ses graines furent, à partir de là, répandues dans la région. On peut encore voir aujourd’hui deux des individus plantés par Durieu de Maisonneuve dans le jardin public de Bordeaux. » Ce qui est toujours vrai… Dans le sud-ouest de la France en particulier, le palmier à chanvre s’est trouvé un contexte écologique favorable, car il fructifie et germe spontanément avec abondance, pour peu que le substrat soit modérément fertile, mésophile, avec un pH et un C/N équilibrés.

 

Philippe Richard
Ancien directeur du Jardin botanique de Bordeaux

(1*) Le vrai est Hyphaene thebaica L., le palmier doum d’Égypte, une vraie curiosité car le seul palmier à tige dichotomique.
(2*) Par les animaux.
(3*) Aujourd’hui Jubaea chilensis Baill.
(4*) Aujourd’hui Trachycarpus fortunei (Hook.) H.Wendl. – T. excelsus est un autre taxon.
(5*) Pénétrant au péril de sa vie en Chine interdite aux étrangers, il a ramené à Hong Kong les plants de thé à l’origine des cultures anglaises de l’Empire des Indes.