Histoire botanique et diversité des graminées

La cinquième plus grande famille de plantes à fleurs, les graminées, regroupe des espèces extrêmement diversifiées. Dans le même temps, l’évolution technologique a permis, également, de les reclasser et de raconter, au niveau chromosomique, leur évolution.

 

Cinquième plus grande famille de plantes à fleurs en nombre d’espèces, celle des graminées s’est particulièrement diversifiée depuis 65 millions d’années (au cours du Cénozoïque). C’est en particulier la famille dominante dans les écosystèmes prairiaux et de savane. Elle couvre (avec les forêts de bambous) près de 40 % de la surface terrestre tant en zones tropicales que tempérées ou montagnardes. Mais c’est surtout la famille la plus importante pour l’homme puisque quelques espèces fournissent à elles seules une très forte proportion de l’alimentation humaine, qu’il s’agisse des céréales (blé, riz, maïs, orge, sorgho…) ou du sucre (canne à sucre, sorgho), mais aussi l’essentiel de l’alimentation animale au travers des fourrages, ainsi que des usages techniques (constructions en bambous, certains « roseaux » étant des Phragmites et des Arundo), récréatifs (gazons) ou, plus récemment, énergétiques (Miscanthus).

Une famille « classique » et homogène

Dès le début du XVIIe siècle, cette famille a été distinguée du reste des plantes à fleurs et, à l’époque, lui étaient attribués des noms tels que Graminearum, Culmiferarum, Staminearum ou Apetalearum, qui marquent tous des caractères plus ou moins discriminants de la famille. Le port des plantes, avec des tiges fines, une ramification  très proche du collet, des feuilles étroites, donne ce que l’on nomme « gazon » ou plus couramment « herbe » et ce qui se dit gramen/graminis ou gramineus/graminea/gramineum en latin.

Mais aussi, la présence de tiges cylindriques, creuses entre les nœuds : les chaumes (culmis en latin), l’absence de pétales (d’où Apetalearum) ou le fait que les étamines soient très distinctes du reste de la plante à l’anthèse (le reste de la plante étant globalement vert) la distinguent.

Aujourd’hui, elle peut porter tout à la fois le nom Gramineae ou celui de Poaceae. Encore une fois, et comme une demi-douzaine d’autres familles, les règles de nomenclature botanique autorisent deux noms scientifiques pour cette famille : Gramineae, dérivé d’un terme morphologique (Gramen) et dont l’usage est ancien, et Poaceae, construit à partir du nom d’un genre inclus dans cette famille, Poa, qui a été établi en 1895 selon les règles standardisées de construction des noms de familles botaniques.

De deux, à cinq-sept et, désormais, douze sous-familles

Classification des transformations morphologiques et chromosomiques au sein des Poaceae © D.R.
Classification des transformations morphologiques et chromosomiques au sein des Poaceae © D.R.

 

À l’instar de toutes les autres familles de plantes à fleurs, la fin du XXe siècle et le début du XXIe ont été l’occasion de revoir de manière assez drastique la classification de la famille, au travers d’une mise en correspondance entre les niveaux de classification et les ensembles retrouvés dans des phylogénies. Ces dernières retracent l’histoire évolutive du groupe, via l’analyse phylogénétique de données moléculaires. Classiquement, et sur la base de travaux de Brown en 1814 et de Bentham en 1878, la famille était divisée en deux groupes, nommés Panicoidae et Pooideae, si on les reconnaissait comme des sous-familles.

 

 

Au cours du XXe siècle, l’accumulation de données morphologiques, anatomiques (en particulier des épidermes, des embryons ou des feuilles), chimiques (types de grains d’amidons) ou chromosomiques a conduit divers auteurs dont Avduloc, Prat, Stebbins & Crampton, Jacques-Félix, Watson & Dallwitz ou Clayon & Renvoize, à proposer une division de la famille en cinq à sept sous-familles, avec en particulier et dans tous les cas les sous-familles des Pooideae, Panicoideae, Bambusoideae, Chloridoideae et Arundinoideae. Au début des années 2000, le Grass Phylogeny Working Group, puis Kellogg ou Soreng et collaborateurs ont proposé de nouvelles classifications de la famille qui ont eu pour principe de mettre en cohérence histoire évolutive (retracée sur la base d’analyses phylogénétiques de données moléculaires) et classification, en ne retenant que des groupes dits monophylétiques, c’est-à-dire dont tous les membres sont issus d’un même et unique ancêtre commun.

Le résultat est une répartition de la famille en 12 sous-familles, 52 tribus, 90 sous-tribus (plus quelques super-tribus et quelques super sous-tribus), le tout pour organiser près de 770 genres et un peu plus de 11 500 espèces. Deux noms informels existent également pour deux clades particuliers : BOP, le clade rassemblant Bambusoideae, Oryzoideae et Pooideae (ou BEP en utilisant le nom Ehrhartoideae), d’une part, et PACMAD d’autre part, qui est le clade composé des sous-familles Panicoideae, Aristidoideae, Chloridoideae, Micrairioideae, Arundinoideae et Danthonioideae.

Quels âges ?

La lignée menant aux Poaceae aurait divergé vers -100 millions d’années (Ma) du reste de l’ordre des Poales, mais la diversification des lignées encore existantes remonterait à -70 Ma à -55 Ma, alors que les plus anciens fossiles attribués aux graminées sont datés de 55 Ma. Toutefois, à l’échelle des tribus, la diversification la plus  marquée, et ayant conduit au plus grand nombre d’espèces, est survenue entre -30 et -20 Ma, peu avant l’apparition des écosystèmes dominés par ces mêmes graminées.

Quelques transformations morphologiques et chromosomiques

Du point de vue de l’évolution morphologique, l’épillet, c’est-à-dire une structure dans laquelle chaque fleur est protégée par deux structures foliacées, est apparu quasiment dès l’origine de la famille, mais probablement en plusieurs étapes. En effet, dans la sous-famille des Anomochlooideae, la première à diverger, on trouve des inflorescences ne présentant pas de vrais épillets.

Pour ce qui est des fleurs, elles sont composées typiquement d’un ovaire à une seule loge, de deux stigmates et de trois étamines, mais la morphologie des familles les plus proches des Poaceae, à savoir les Joinvilleaceae  et les Ecdeiocoleaceae, ainsi que certains genres des sous-familles ayant divergé précocement dans les Poaceae, orientent vers une organisation florale ancestrale avec trois carpelles (et trois stigmates) et six étamines.

D’un point de vue chromosomique, la famille des Poaceae semble avoir subi une duplication du génome avant la diversification des clades BOP et PACMAD. À une échelle taxonomique plus fine, de très nombreux genres de Poaceae montrent des phénomènes de polyploïdisation et d’hybridation qui complexifient la résolution de leur histoire évolutive. Ces phénomènes de polyploïdisation et d’hybridation sont même « rampants » au sein de toutes les tribus de la famille, et même plusieurs fois dans certaines tribus, ce qui a induit des processus de spéciation réticulée, très compliqués à démêler.

Inflorescence de Lolium perenne
Inflorescence de Lolium perenne
Epillet de Lolium perenne (10 fleurs protégées par leurs glumelles, 1 glume [G])
Epillet de Lolium perenne (10 fleurs protégées par leurs glumelles, 1 glume [G])
Une fleur [F] de Lolium perenne, avec ses deux glumelles (g1 et g2)
Une fleur [F] de Lolium perenne, avec ses deux glumelles (g1 et g2)

De C3 vers C4

La famille des Poaceae est aussi connue pour contenir un nombre non négligeable d’espèces dont la photosynthèse est de type C4 (4 500 espèces de Poaceae, soit 40 % de la famille, mais aussi 60 % de toutes les plantes en C4). Toutefois, ce type de photosynthèse n’est pas apparu de manière unique, mais environ une dizaine de fois dans  le clade PACMAD (comprenant entre autres le maïs, la canne à sucre ou le sorgho), mais jamais dans le clade BOP (comprenant entre autres le blé, l’orge ou le riz). Cette diversification du type de  photosynthèse est ancienne, l’apparition des premières graminées en C4 remonterait ainsi à 35 millions d’années, soit bien avant le  développement de savanes riches en espèces en C4.

Valéry Malécot
Maître de conférences en botanique à l’Institut Agro Rennes Angers, campus d’Angers, chercheur au sein de l’UMR IRHS (Institut Agro, Inrae, Université d’Angers) 

BIBLIOGRAPHIE

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Physiology 125: 1198-1205.
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Kubitski K. (ed.) The families and Genera of Vascular Plants Volume
XIII. Springer, Cham, Heidelberg, New York, Dordrecht, London.
Lee S., Choi S., Jeon D., Kang Y. & Kim C. 2020. Evolutionary impact of whole genome duplication in Poaceae family. Journal of Crop Science and Biotechnology 23: 413-425.
Hodkinson T.R. 2018. Evolution and taxonomy of the grasses (Poaceae): a model family for the study of species-rich groups. Annual Plant Reviews Online 1: 1-39.
Soreng R.J., Peterson P.M., Romaschenko K., Davidse G., Teisher J.K., Clark L.G., Barbera P., Gillespie L.J. & Zuloaga F.O. 2017. A worldwide phylogenetic classification of the Poaceae (Gramineae) II: An update and a comparison of two 2015 classifications. Journal of Systematics and Evolution 55: 259-290.

ÉPILLETS ET ANIMAUX DOMESTIQUES

© cynoclub - Adobe Stock
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À maturité, les épillets des inflorescences de graminées ont tendance à se séparer du pied mère. Ces épillets sont adaptés à une dissémination par les animaux et se retrouvent ainsi régulièrement dans les pelages et toisons. De plus, la forme des épillets, souvent en fuseau étroit, induit une possibilité de déplacement de l’épillet quasiment unidirectionnelle, ce qui peut conduire l’épillet entre des doigts, au bord des yeux ou dans des orifices (oreilles, narines…). Dans des cas extrêmes, certains épillets peuvent même traverser la peau. Les animaux domestiques, les chiens en particulier, vont réagir à cette présence comme ils le feraient du fait d’une démangeaison de la partie considérée (grattement/frottement de l’oreille, mordillement de la patte, éternuement, larmoiement…). L’extraction  des épillets, après localisation par fibroscopie ou échographie, nécessite normalement l’intervention d’un vétérinaire, mais un bon brossage et une « inspection » après chaque promenade évitent l’essentiel des inconvénients.