Haut lieu de biodiversité

Marion Gosselin

La forêt est plus qu’un ensemble d’arbres. C'est un écosystème complexe, une communauté d'êtres vivants très diversifiés, en relation entre eux et avec leur milieu.

La forêt, haut lieu de biodiversité © Sergei Karapanov

Qui soupçonne que certaines espèces vivent préférentiellement tout en haut des arbres et que sous un mètre carré de sol forestier se pressent des dizaines de milliers de micro-organismes ? Seul écosystème terrestre à se déployer autant dans les trois dimensions, la forêt off re une multitude de niches écologiques. De ce fait, elle abrite un grand nombre d'espèces, dont certaines vivent inféodées à des microhabitats particuliers comme le bois mort ou les cavités d'arbres dans le microclimat de peuplements forestiers ombragés. Certaines espèces sont déterminantes pour le fonctionnement de la forêt : pensons par exemple au rôle des champignons mycorhiziens dans la croissance des arbres ou au rôle des micro-organismes du sol dans le recyclage de la matière organique.
La diversité biologique des forêts est un formidable potentiel d’adaptation aux changements : grâce à la diversité des gènes au sein d'une même espèce, certains individus peuvent développer des résistances à la sécheresse ou aux maladies, et plus la diversité d'espèces est grande, plus il y a de chances que quelquesunes résistent aux perturbations (tempêtes, sécheresses, pollutions) ou participent à la reconstitution de l'écosystème.
 

La diversité comme moyen d'adaptation et de résistance aux changements climatiques. - © Sergeï KarapanovUne richesse inestimable… mais fragile

Symbole de nature préservée dans l’imaginaire collectif, la forêt n'est pas épargnée par l'érosion globale de a biodiversité. La diversité des formes de vie qu'elle abrite a beau être immense, elle n’est pas inépuisable. On estime que 16 % des espèces d'oiseaux forestiers sont menacées. Les espèces communes (non menacées) ont connu un déclin d'abondance de 11 % entre 1989 et 2009 d’après le suivi des oiseaux communs mené par le Muséum National d'Histoire Naturelle.
Les pays européens qui disposent de Listes Rouges sur les espèces associées au bois mort chiff rent entre 20 et 50 % la proportion des espèces menacées d'extinction. Elles représentent le quart des espèces forestières (soit plus de 10 000 espèces, dont une majorité de champignons et de coléoptères). Leurs habitats sont perturbés par la gestion, ce qui explique leur grande vulnérabilité. L’état de la fl ore et de la faune du bois mort fait néanmoins débat, car la quantité de bois mort est probablement plus élevée aujourd'hui que pendant la période allant du Moyen Âge au XIXe siècle, lorsque le bois était la principale source d’énergie. Cela étant, l'existence de conditions antérieures plus défavorables ne garantit pas que les conditions actuelles permettent la survie de ces organismes dépendants du bois mort. Le phénomène d'extinction s'étale dans le temps et les effets négatifs du passé ont pu conduire à des communautés actuelles encore fragilisées.
 


Protéger les espèces et leurs habitats

Les forêts anciennes, les espèces typiquement forestières ou menacées ainsi que leurs habitats, les sujets sensibles aux interventions sylvicoles et les milieux forestiers humides constituent les éléments prioritaires à conserver pour maintenir la biodiversité de nos forêts.
Dans un état boisé de façon continue depuis au moins deux siècles, les forêts anciennes n’ont pas connu de passage par un défrichement pour l'agriculture. Une grande majorité des forêts domaniales sont des forêts anciennes. Leur biodiversité est souvent plus riche que celle des forêts récentes, car certains organismes typiquement forestiers mettent beaucoup de temps à recoloniser une forêt après conversion agricole. Quant aux espèces typiquement forestières, on ne les trouve qu'en forêt. Leur cycle de vie en dépend fortement. Ce sont également les arbres forestiers, ceux qui structurent l'écosystème forestier et souvent sous l’influence directe de la sylviculture.
De nombreuses espèces sont sensibles  aux interventions sylvicoles. D’une manière générale, la sylviculture tronque les deux extrémités du cycle forestier : les stades pionniers (bouleaux, trembles) sont écourtés pour favoriser directement la croissancedes essences commerciales comme le chêne ou le hêtre, alors que les stades de très vieux peuplements disparaissent, puisque les arbres adultes sont coupés pour renouveler les peuplements bien avant leur mortalité naturelle. Les nombreuses espèces inféodées aux gros et vieux arbres, au bois mort, ou encore aux arbres à cavités, en pâtissent. Il faut penser aussi aux micro-organismes du sol, particulièrement sensibles au tassement par les engins d'exploitations, ou aux espèces animales sensibles au dérangement, comme la cigogne noire ou le grand tétras. Les espèces menacées sont moins armées pour supporter des perturbations, en raison de leurs capacités démographiques, adaptatives, ou de leur faible diversité génétique. Ainsi, toute perturbation sera néfaste aux espèces peu mobiles, s'il n'y a pas d'autre habitat favorable à proximité immédiate. Les espèces rares, aux populations peu nombreuses, sont aussi souvent des espèces menacées. L'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) établit et actualise les Listes Rouges des espèces menacées. L'ours brun, le lynx, le cerf de Corse (sous-espèce du cerf élaphe), la cigogne noire, l'aigle botté, la gélinotte des bois, le grand tétras, mais aussi de petits passereaux comme le gobe-mouche gris ou le pouillot siffleur font partie des espèces forestières françaises menacées. La fl ore forestière est globalement peu menacée, et ne représente pas un enjeu très fort de biodiversité, même si elle compte quelques espèces rares comme la pivoine, le sabot de Vénus, la gagée jaune, ou encore, chez les arbres, l'alisier de Fontainebleau. En France, plus de la moitié de zones humides ont disparu depuis 1960, à l'instar de leur évolution en Europe et dans le monde. La gestion forestière doit accompagner le fonctionnement naturel de ces habitats fragiles. Il suffi rait d’éviter le drainage, de protéger les surfaces non exploitées en bordure des ruisseaux, les préserver lors des exploitations…
 


Les insectes sont une part importante de la biodiversité forestière. - © B NusillardAu service de la société

Nos forêts sont une ressource importante de biens et de services. Outre les activités économiques (exploitation du bois, chasse, tourisme), il y a aussi les services non marchands comme la protection des sols contre l'érosion ou la purifi cation de l'air et des eaux. Parmi ces services, la biodiversité, c'est-à-dire la variété des formes de vie, constitue une richesse inestimable de la forêt, source d'émerveillement, mais aussi support de connaissances scientifiques ou d'activités économiques.
Face à la crise énergétique et aux changements climatiques, la France s'est engagée à favoriser fortement les énergies et matériaux renouvelables, dont le bois. La forêt se trouve souvent au carrefour de sollicitations variées et de plus en plus diffi ciles à concilier : prélèvement accru de bois, préservation de la biodiversité, protection des peuplements forestiers face aux risques climatiques…
Pour que les plantations soient moins exposées aux risques de tempête, les sylviculteurs tendent actuellement à produire des arbres en moins de temps qu'auparavant. Mais cette baisse des âges de régénération risque, si elle est généralisée et marquée, de compliquer la sauvegarde de la biodiversité, souvent liée aux vieux peuplements.
Il faut alors trouver des compromis, à l'échelle de chaque parcelle, en laissant par exemple sur pied quelques gros et vieux arbres et en maintenant du bois mort à terre lors du passage en coupe. À l'échelle de territoires plus vastes, il faut favoriser et étoffer le réseau national de réserves forestières intégrales, où les peuplements évoluent sans intervention humaine. Les forestiers ont progressivement intégré au cours des dernières années la préservation de la biodiversité dans leur gestion quotidienne : pour les forêts publiques, l'Office National des Forêts a actualisé en 2009 ses directives pour la prise en compte de la biodiversité ; pour les forêts privées, les professionnels informent les propriétaires et proposent des stages.

 

La biodiversité forestière reste mal connue

La biodiversité forestière est, selon les groupes d’espèces considérés, moins ou autant menacée que le reste de la biodiversité française. Les données disponibles sont cependant très fragmentaires, car la France manque encore cruellement de systèmes de suivi. Les listes actuelles d'espèces menacées se limitent aux vertébrés et aux végétaux supérieurs. On est ainsi incapable d’évaluer des groupes à fort enjeu pour la diversité forestière, tels les organismes du bois mort, ou pour le fonctionnement de l'écosystème, tels les organismes du sol.

 

Le bois mort, un milieu qui fourmille de vie : champignons, mousses, lichens, insectes... - © Yoan PailletQue pouvons-nous faire ?

Pour commencer, respectons la réglementation qui vise à protéger les espèces et leurs habitats : ne cueillons pas les plantes protégées (si la cueillette est autorisée, prélevons des quantités raisonnables), évitons le dérangement de certains animaux sensibles, ne nous engageons pas sur les chemins interdits au public ! Jouons aussi le jeu de l'écocertification dans nos achats de produits issus de la forêt. Dans le jardin ou en forêt, maintenons quelques bois morts, sur pied ou à terre, et ne brûlons par les branchages qui restent après la coupe. Ils offriront le gîte et le couvert à une quantité d'espèces, invertébrés, champignons ou mousses, qui en ont besoin. Question de survie.
Mais avant tout, apprenons à modifier notre regard, en l’éduquant à l'écologie pour voir la forêt comme un écosystème où tout élément, du plus gros chêne jusqu'au petit bout de bois mort, assure l'habitat d'une multitude d'espèces. Acceptons aussi des parcelles forestières, particulièrement celles à distance des chemins, non sécurisées par rapport aux branches mortes, moins « propres » mais plus vivantes.

 

Lynx d'Europe © Jean-Louis Pratz

« Supprimer une espèce, c’est arracher une page de la grande encyclopédie de la vie, amputer ce merveilleux florilège qu’est sa fabuleuse profusion de formes, de couleurs, d’odeurs, de comportements, de plans d’organisation, de stratagèmes et de stratégies de conquête des milieux, de valorisation des ressources que l’évolution a inventé pour que, malgré les mille embûches d’une nature fondamentalement violente, les organismes parviennent à rester dans le jeu de la vie. »
Extrait du discours de J. Blondel (2004), docteur honoris causa de l'Université Catholique de Louvain.