Georges Gibault

Daniel Lejeune

 

Parmi les bibliothécaires de la SNHF, une personnalité émerge nettement, celle de Georges Gibault.

Notre étude historique  parue en 2010[1], relevait à la tête de notre bibliothèque, la succession de MM. Pigeaux (1865-1877), Vauthier (1878-1882), Glatigny (1883-1894), Bois (1894-1897) et Gibault (1898-1926).

George Gibault Georges Gibault avait fait de la bibliothèque de notre société, l’univers de tous ses instants. D’une formation horticole solide, acquise au Muséum puis à Versailles mais d’une constitution physique qui ne lui avait jamais permis d’en exercer l’art de terrain, il s’était entièrement dévoué à l’exercice d’une vaste érudition au service des plantes, des jardiniers et de leur histoire. Polygraphe, Georges Gibault nous a laissé une remarquable histoire des légumes[2] et un grand nombre d’articles et de monographies tout à fait passionnantes pour qui veut bien les relire. Il est aussi -et peut-être surtout-, celui qui a réalisé le premier grand classement de la bibliothèque et dressé son catalogue en 1900

Voici ce qu’en disait en 1942 son ami Désiré Bois[3]

« La Revue Horticole vient de faire une grande perte en la personne de son collaborateur Georges Gibault, mon vieil et excellent ami. Né à Paris le 4 avril 1856, il était l’aîné de six enfants. Son parrain, médecin, s’attacha à lui, le prit sous sa tutelle. Dès sa jeunesse, il montra pour l’étude et pour les plantes, l’attrait qui domina sa vie. Tous deux du même âge, nous avions environ quinze ans quand nous fîmes connaissance au Muséum national d’Histoire naturelle où nous étions élèves jardiniers dans le service de la chaire de culture, placé sous la direction du Professeur Decaisne. Nous sympathisâmes aussitôt, animés d’un semblable désir de nous instruire, rapprochés aussi par notre amour de la nature, en particulier des plantes. Constamment en contact dans notre travail, au cours de notre maître, dans l’étude des collections, à la bibliothèque, notre amitié grandit, puis devint bientôt une profonde affection que rien ne troubla jamais. Il dut cependant abandonner le Jardin des plantes, sa constitution quelque peu délicate ne lui permettant pas le rude travail du jardinage. Pour cette raison, il quitta l’Ecole d’Horticulture de Versailles, où il était entré ensuite. Pendant quelques années, nous nous perdîmes de vue, restant sans nouvelle l’un de l’autre. Je quittai moi-même le service de la Culture pour celui de la Botanique où Edouard Bureau, le professeur titulaire, m’avait appelé à remplir les fonctions de préparateur (on dit aujourd’hui « assistant »). C’est alors que nous nous retrouvâmes. Il avait passé l’examen d’herboriste, puis ayant fait entre temps un petit héritage, il put désormais suivre son penchant pour l’histoire naturelle sans se préoccuper de gagner sa vie, ce que son tempérament peu robuste et sa surdité auraient rendu bien difficile. Cette surdité, qui s’accrut peu à peu jusqu’à devenir complète, supportée avec une douce, religieuse, souriante philosophie, aida au développement de sa personnalité indépendante dans laquelle la vie intérieure atteint à un très haut point grâce à la finesse de son esprit ouvert, curieux d’apprendre, avisé, à la recherche de son imagination, à sa prodigieuse mémoire, à sa « sagesse ». Il profita dès lors de ses loisirs pour suivre les cours qui l’intéressaient particulièrement, les herborisations du Muséum, et fréquenter avec assiduité les grandes bibliothèques de Paris. Ce fut un autodidacte dans toute l’acception du mot. Les ouvrages d’horticulture avaient sa préférence, ainsi que ceux traitant d’archéologie et d’histoire. Peu à peu, sa voie se détermina, et ses études l’entraînèrent finalement vers l’histoire de l’horticulture. Il se mit à publier de 1895 jusqu’à sa mort, d’abord en collaboration avec moi. Notre premier article était intitulé « Le premier projet de jardin pittoresque en France, le jardin « délectable » de Bernard Palissy ». En 1905, avec un pharmacien, Bouyssou, il fit paraître un opuscule « Les plantes médicinales indigènes ». Il écrivit une centaine d’articles et de notes sur des questions d’archéologie et d’histoire, concernant surtout l’architecture des jardins, la floriculture, l’arboriculture fruitière et d’ornement, spécialement les plantes potagères. Ses travaux parurent dans la Revue Horticole, Le Jardin, Le Petit Jardin, la Vie à la Campagne, Fermes et Châteaux. Sa curiosité l’entraîna à faire des recherches sur des sujets étrangers à l’horticulture. Habitant le IV ème arrondissement, il publia dans « La Cité », revue historique et archéologique de cet arrondissement, des articles très intéressants sur le vieux Paris. Dans ses dernières années, il collabora à la revue des « Amis de Saint-Germain ». Dans toutes ces publications se retrouvent, avec sa remarquable érudition, le ton enjoué, l’humour de bon aloi, qui faisaient le charme de sa conversation toujours intéressante, souvent instructive, émaillée de citations heureuses. Mais son œuvre principale fut l’HISTOIRE DES LEGUMES, ouvrage magistral, devenu classique à l’étranger comme en France, apprécié de tous pour son intérêt, sa bonne présentation, l’agrément et la facilité de sa lecture. Il valut à Gibault d’être nommé « Honorary Fellow » de la RHS de Grande-Bretagne, titre honorifique exceptionnellement donné par cette association à quelques rares personnalités du monde horticole. Lorsque, en 1895, nommé secrétaire-rédacteur du bulletin de la SNHF, j’abandonnai les fonctions de bibliothécaire de cette société, Gibault me remplaça dans cette charge de bénévole, de caractère scientifique, pour laquelle il était si qualifié, qui exige une parfaite honorabilité et dont il s’acquitta jusqu’à sa fin avec un entier dévouement, une conscience extrême. Les lecteurs qui eurent affaire à lui ne sauraient oublier l’accueil affable qu’il leur réservait, se tenant à leur disposition même en dehors des jours et heures réglementaires, les conseils qu’il leur donnait, pour les guider dans leurs recherches, les renseignements que sa connaissance approfondie de tant de sujets lui permettait de leur fournir. Dès sa nomination comme bibliothécaire, il s’attacha au classement de la riche collection d’ouvrages et de documents de toutes sortes, constituant de précieux éléments d’études pour lui-même et en publia en 1900, un catalogue méthodique suivi de suppléments (1905, 1910). De l’analyse des nombreuses revues et publications reçues par la bibliothèque, il tirait la substance d’une rubrique spéciale des plus intéressantes, la « revue des publications » du journal de la SNHF. D’une très grande modestie, sans visées ambitieuses, supportant patiemment les vicissitudes de la vie, il se dépensa pour autrui de la façon la plus désintéressée. Ennemi de l’intrigue et de l’arrivisme, les succès mérités le réjouissaient toujours. Une telle contribution à l’intérêt général ne pouvait passer inaperçue. La croix de chevalier de la Légion d’honneur, les palmes d’Officier de l’Instruction publique et la croix d’Officier du Mérite agricole vinrent reconnaître ses mérites. Après s’être dévoué à lui pendant dix-huit ans, lui épargnant par sa sollicitude tous les soucis de la vie matérielle qui auraient pu résulter de son infirmité, sa seconde femme lui ferma les yeux le 15 septembre 1941. Ni les difficultés qui résultèrent pour lui de la guerre, ni les souffrances qu’il endura pour mourir, n’altérèrent l’habituelle sérénité de ce sage et de cet ami de l’horticulture. »

 


[1] Daniel LEJEUNE, Histoire de la SNHF XIXe-XXe,  édition SNHF 2010

[2] Histoire des légumes, comprenant 95 légumes différents, Librairie Horticole, 1912.

[3] De l’Académie d’Agriculture, Professeur honoraire au Muséum, Rédacteur en chef honoraire de la Revue Horticole.


Voici une liste absolument inexhaustive des écrits de Gibault[4]

Journal de la SNHF :

1895 p 309 (en collaboration avec Désiré Bois) : le premier projet de jardin pittoresque en France (Bernard Palissy)
1896 p 658 : étude historique sur le haricot commun
1897  p 245 : les erreurs et les préjugés dans l’ancienne horticulture
1898 p 65: la condition et les salaires des anciens jardiniers, p 153 : le premier emploi des mots Horticulture et Horticulteur, p 1109 : les origines de la culture forcée
1899 p 803 : le plus ancien catalogue de fleuristes
1900 p 554 : noms et adresses d’horticulteurs parisiens du 17e siècle
1901 p 18 : le cassissier et l’origine du mot cassis, p 298 : une décoration florale en 1680
1902 p 156 : culture de l’oignon à Anguilcourt le Sart, p 215 un poème pomologique du XVIe siècle
1903 p 462 : un cours de botanique au XVIIIe siècle
1904 p 96 manuscrits du maître aux fleurs, p 261 la vente du muguet à Paris, p 582 pots à fleurs de l’ancienne Egypte
1905 p 16 : un ancien catalogue de grainetier fleuriste : catalogue de la maison Andrieux pour 1760, p 710 : la bibliographie et la littérature horticoles anciennes
1906 p 601 : introduction d’Espagne en France au XVI ème siècle, de bonnes variétés de légumes ; p 710 : Etude sur la bibliographie et la littérature horticoles anciennes
1907 p 185 : la carotte noire comestible
1908 p 95 : l’origine du Choux de Bruxelles
1909 p 301 Le vieux-neuf horticole
1910 p 605 : rapport de Philippe L. de Vilmorin sur le manuscrit de l’Histoire des légumes
1912 p 619 : Saint-Fiacre guérisseur, p 824 : les anciennes lois relatives au jardinage
1913 p 240 : La chataigne de terre ou terre-noix
1914 p 95 : Les surprises hydrauliques (édité en tiré à part par l’imprimerie de la cour d’appel), p 379 : Introduction des marronniers d’Inde en France
1929 p 226 : note sur les graines qui conservent leur faculté germinative pendant plusieurs siècles (cas des fouilles de Lutèce)
 

Revue Horticole :

1896 p 191 : La décoration florale des fenêtres dans l'Antiquité, au Moyen-âge et à la Renaissance ; p 454 : les couronnes de fleurs et les chapeaux de roses dans l'Antiquité et au Moyen-âge ; p 496: Les arbres fruitiers dans les cimetières de l'ancienne France
1901 p 46 : Le Cassissier et l'origine du mot Cassis ;  p 286 et p 311 : Les Dieux des jardins dans l'Antiquité
1928-29 p 298 : La récolte des myrtilles en Alsace
1934-35 p 103 : L’origine des abris vitrés, des châssis et des couches ; p 543 : Les plus gros arbres de France (le Tilleul de Wangenbourg) ; p 574 : un bon piège pour les forficules
1938-39 p 50 : Les arbres possèdent-ils un sens olfactif ? ; p 426 : Les plus anciens herbiers conservés 

Moniteur d’Horticulture :

1909 p 132 : Le Topinambour p 167 : Le Cresson alénois p 167; p 231, 240 : L’Ananas  ; p 253, 266 : L’Oseille ; p 279, 289: Le Cresson de Fontaine
1910 p 129,143 : Le Poireau ; p 239, 244 : La Rhubarbe
1912 p 153,165 : Saint-Fiacre, Guérisseur
1914 p 32, 43, 57, 69, 80 : Engrais et amendements dans les anciens jardins 

Le petit Jardin :

1903 p 271, 283, 336 : Fleurs nationales et fleurs politiques
1904 p 370,381,391,401,411,421 : Les plantes alimentaires indigènes
1906 p 364L : Les souverains et l’Horticulture
1907 p 278,328 : plantes potagères abandonnées
1913 p 257 : Les Jardins de Fontainebleau
1933 p 212 : La culture du Thym
1934 pp…149, 167…série d’articles sur les termes horticoles et les noms de végétaux dans l’argot, le bas-langage et les locutions familières 
1935) pp 2, 20, 66, 87, 188, 234,251.. série d’articles sur les termes horticoles et les noms de végétaux dans l’argot, le bas-langage et les locutions familières (suite) ; p 282, 301, 309, 330, 364, 379… série d’articles sur l’origine de la culture et des instruments horticoles
1936 p…série d’articles sur l’origine de la culture et des instruments horticoles (suite) ; p 59 :  les mémoires de Pierre Louette, jardinier de Talma ;  p 205, p 221 : Saint Fiacre ; p 247 : Les arbres de la liberté
1937 pp172, 182, 187 : série d’articles sur l’origine des fleurs artificielles,  p 317 : le poème sur l’asperge de C. MONTELET 

Autres publications :

Le Cardon et l’Artichaut Paris, Gibault 1907
Les "jonchées" à Notre-Dame et à la Maison des poliers. (P. Champion 1912)
La condition et les salaires  des anciens jardiniers (Maison Rustique 1898)
Les surprises hydrauliques  dans les anciens jardins (Journal de la SNHF 1914)

Citons enfin le numéro spécial de La vie à la campagne du 15 mars 1911 “deux siècles de jardins à l’anglaise”, écrit en collaboration avec René-Edouard André, et sous la direction d’Albert Maumené.

 


[4] L’ensemble de ces références est naturellement consultable dans les conditions d’accès habituelles, à la bibliothèque médiathèque de la SNHF 84, rue de Grenelle.

 

mars-avril 2013