Les espaces-nature en ville Une chaîne de valeurs, du préverdissement à l’écoquartier
Élisabeth Fournier
« Responsables d’espaces nature en ville, nous intervenons à tous les niveaux du processus d’aménagement d’espaces collectifs ouverts en ville : aide à la décision, commande publique, conception, réalisation, gestion. Nous avons initié une vision plus globale et plus adaptée avec la gestion différenciée ou le zéro pesticide par exemple », explique Élisabeth Fournier, secrétaire générale de l’association Hortis ( Réseau des responsables d’espaces nature en ville) . »
Loi MAPTAM (Loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles), loi Grenelle, avec les trames vertes et bleues, concernent la majorité des êtres humains qui vivent désormais en ville, en proie aux changements climatiques. Les évolutions d’aujourd’hui ne font que confirmer l’importance de la chaîne qui préside au processus d’aménagement.
Estimer la valeur du site
Toute démarche préalable au projet nous emmène dans le passé : le sol, la biodiversité, l’histoire, les traces de la géographie comme les cours d’eau ou celles de l’occupation humaine avec les voies d’accès préexistant aux traces des bâtis anciens.
À cette démarche qualitative s’ajoutent les estimations quantitatives. Aujourd’hui, certains éléments d’estimation de cette valeur, comme le prix du foncier, comportent des éléments de variation : ce prix augmente si un espace vert se trouve à proximité car huit Français sur dix préfèrent vivre à proximité d’un espace vert (enquête Unep, les entreprises du paysage).
Les autres valeurs chiffrées, entre autres pour les services écosystémiques rendus, sont aussi actuellement étudiées.
Des espaces non considérés qui ont un prix
Grâce à l’action des gestionnaires, une valeur est aujourd’hui accordée à des espaces autrefois non considérés, comme les pieds d’arbres, les interstices urbains, les adventices poussant sur les murs, les toits. Des actions s’y développent comme le zéro pesticide ou les plantations sur trottoirs par les riverains.
Mais comment mesurer la valeur apportée par le projet lui-même ? Dans le cadre des services écosystémiques rendus, citons des exemples liés à la santé, aux enjeux sociaux. Le développement des usages sur un site participe à l’augmentation de la valeur de sociabilisation. Des exemples :
• Estimer les impacts d’un projet sur la santé, orienter les aménagements bâtis ou ceux des espaces extérieurs : telle est l’expérimentation menée en ce moment par Bordeaux- Métropole, sur la ZAC du Tasta à Bruges, sous l’égide de l’École des Hautes Études en Santé Publique, relayée par l’Agence régionale de la Santé.
• Le programme Healthy Parks Healthy People, mis en oeuvre par Parks Victoria (Australie) et un groupe de recherche universitaire, mesure scientifiquement l’importance des espaces-nature pour la santé et le bien-être.
• Enfin, les labels et certificats, en particulier ÉcoJardin, Villes et villages fleuris qui attestent de la prise en compte de ces enjeux au niveau d’un site ou d’une ville entière, ainsi que le Certified Parks Professional France de l’académie de World Urban Parks dans le cadre du partenariat avec Hortis, pour un professionnel des Parcs.
La pression du public
Des éléments sont sources de baisse de la valeur d’un site, en termes de biodiversité et d’usages :
– Les végétaux envahissants : les éradiquer ou envisager d’autres approches ?
Dans le futur parc Ausone à Bruges, sur 7 ha, Graziella Barsacq, paysagiste, tire parti de cette végétation pour créer des carrés de plantes ayant envahi la friche : « l’intention est de faire un parc écologique urbain, un lieu d’observation et de compréhension des dynamiques écologiques sur les sols urbains remaniés et soumis à des pollutions courantes ».
– Les sites interdits ou limités d’accès au public en ville : caractère privatif, pollué, dangereux, réservé à un usage très limitatif, ou dont le devenir n’est pas fixé. À une époque où la population urbaine croît de façon exponentielle, en demande forte d’espaces de proximité, il s’agit de s’interroger sur les raisons de ces limitations d’accès.
La pression du public, l’évolution des connaissances et des mentalités, puis des réglementations, participent à l’évolution dans le temps de la valeur d’un site.
Préparer la valorisation d’un site
Dans les années 1980, le « préverdissement » a permis d’enrichir en végétation des friches industrielles, dans un esprit de maîtrise de dépenses, en vue d’un usage ultérieur non encore défini.
Dans le cadre de l’opération de rénovation urbaine de 440 ha sur les hauteurs de Nancy, 80 ha ont été préverdis, sur les anciennes carrières Solvay. Appelé aujourd’hui « Parc de Haye », ce site présente 25 ha de trame forestière, avec un jardin botanique forestier de 17 ha, une trame de rues et d’avenues et une esplanade des sports. Pour Alexandre Chemetoff, paysagiste et urbaniste, chargé du schéma directeur d’ensemble, « les restaurations, constructions et aménagements pour le plateau de Haye proposent une autre façon de vivre en ville, à la lisière de la forêt. Une relation à la forêt, que chaque nouvel îlot de logements s’emploie à inventer dans ses vues, ses extensions (balcons, loggias) et ses cours arborées ouvertes sur les bois ».
Aujourd’hui, nous avons des exemples de plus en plus fréquents où les aménagements sont conçus comme temporaires, pour une bonne dizaine d’années, en vue d’être ouverts au public au plus vite, sans attendre les délais longs d’un projet de plus grande envergure.
Passage de relais ou co-construction ?
Souvent, le gestionnaire se plaint du projet n’ayant pas pris assez en considération l’entretien. Le concepteur est parfois déçu de voir son projet réinterprété au fil du temps par un gestionnaire non averti de ses intentions. La rupture de la chaîne de valeurs porte préjudice à l’espace en question et aux utilisateurs, sans parler du contribuable. De nombreuses rencontres aujourd’hui entre concepteurs et gestionnaires, ainsi qu’avec les habitants, permettent d’appréhender la façon de mieux transmettre.
En termes de valeurs, nous parlons maintenant de coût global. La prise en compte, dès l’amont, des modes de gestion du site permet de le réduire considérablement. Le Parc de l’eau à Saragosse, 120 ha, un des plus grands parcs urbains d’Espagne, a un coût d’entretien 30 % moindre que celui des parcs équivalents et, à ce titre, certifié “Green Globe”.
L’approche paysagère de l’écoquartier
L’écoquartier est la forme emblématique de ce que peut être une co-construction de projet. Au-delà des innovations environnementales liées au bâti (BBC, THPE, toitures végétalisées, matériaux locaux, optimisation du rayonnement solaire…), il s’agit de fonder les intentions sur l’approche paysagère d’établissement d’une ville-jardin, où mixité sociale, haute valeur environnementale, déplacements doux sont fortement privilégiés. Ce fut le cas pour “Ginko”, à Bordeaux, fondé sur la participation des habitants pendant et après la réalisation du quartier ainsi que la liaison à l’eau, mêlant aspects fonctionnels et d’agrément, canaux, noues, récupération d’eau pour les jardins privés…
Vision globale et ouverture
Cette vision plus globale, caractéristique du développement durable, décrite dans les services écosystémiques, est essentielle à toutes les échelles des projets. Elle correspond à une ouverture des métiers les uns vers les autres, une ouverture vers les utilisateurs et habitants. Elle doit cependant permettre de conserver et développer les spécificités, les expertises des uns et des autres.